2 Juillet 2020 À en croire certaines preuves, le sulfureux milliardaire Dan Ger

2 Juillet 2020 À en croire certaines preuves, le sulfureux milliardaire Dan Gertler essaierait d'échapper aux sanctions américaines dont il fait l’objet grâce à un réseau de blanchiment d'argent présumé DES SANCTIONS, MINE DE RIEN GLOBAL WITNESS JUILLET 2020 Des Sanctions, Mine de Rien 1 Le 8 mars 2018, un homme entre dans une banque du Boulevard du 30 juin, une artère chaotique et encombrée au cœur de Kinshasa, la capitale tentaculaire de la République démocratique du Congo (RDC). Il se rend à Afriland First Bank pour y déposer de l'argent ; au total, six millions de dollars en espèces et en trois dépôts distincts sur le compte d'une entreprise opaque qu'il a créée moins de deux mois plus tôt. Il semble s'agir d'une société fictive, et la provenance des six millions de dollars déposés à la Afriland Bank ce jour-là reste obscure. L'argent dort sur le compte de l'entreprise pendant plusieurs mois avant d'être envoyée à l'étranger par des chemins détournés, transitant d'abord par un intermédiaire congolais, puis une deuxième société suspecte, avant qu'une partie de cette somme ne soit envoyée à l'étranger. L'homme dont nous parlons n'est pas le client type des banques kinoises. Selon les registres de la banque, il s'agirait de Shlomo Abihassira (parfois épelé « Abuhatzeira » dans la presse), fils d'un riche et célèbre rabbin israélien1. À première vue, rien ne justifie sa présence en RDC ni les importants dépôts d'argent qu'il y effectue. Pourtant, il a bien un lien avec le pays ; c'est la raison-même de sa présence à Afriland Bank ce jour-là. Abihassira est un vieil ami de la famille de Dan Gertler, un magnat du secteur minier qui domine depuis vingt ans ce secteur lucratif en RDC. Gertler a tiré profit de son amitié avec Joseph Kabila, président de la RDC de 2001 à 2019, pour faciliter l'accès du secteur des ressources naturelles congolaises aux sociétés minières occidentales – tout en accumulant une fortune colossale au passage2. Néanmoins, il ne cesse de défrayer la chronique. Accusé de payer des dessous de table pour sécuriser sa mainmise sur le secteur minier congolais, aider ses amis et écraser ses ennemis, Gertler et ses contrats miniers suscitent l'intérêt des enquêteurs et des procureurs à travers le monde. Un temps mascotte du secteur minier, Gertler est devenu le talon d’Achille de ses anciens partenaires commerciaux en RDC. Plusieurs multinationales comme Glencore, Och- Ziff et Eurasian Natural Resources Corporation (ENRC) ont collaboré avec Gertler. Toutes ont été ou sont actuellement sous le coup d'enquêtes menées par les services répressifs américain, suisse et britannique portant sur leurs activités congolaises3. Le 21 décembre 2017, quelques mois avant qu'Abihassira ne dépose ses millions en espèces dans une banque de Kinshasa, l'affairisme de Gertler finit par le rattraper : il tombe sous le coup de sanctions américaines suite à ses « contrats miniers et pétroliers entachés de corruption estimés à plusieurs centaines de millions de dollars » en RDC4. Du jour au lendemain, Gertler, 18 de ses entreprises, sa fondation familiale et toutes les autres sociétés dont lui ou son bras-droit Pieter Debooute détient une participation majoritaire, sont exclus de l'économie américaine. Toute personne physique ou morale américaine a interdiction de réaliser des transactions avec eux5. La réputation internationale de Gertler était déjà entachée par des années de médiatisation de contrats douteux6 ; sa liberté d'entreprise est désormais considérablement restreinte par ces sanctions américaines. Pour un homme d'affaires international, c'est une véritable peine de mort financière. Pourtant en RDC, Gertler reste un ponte. À l'annonce des sanctions américaines en décembre 2017, le président Kabila, allié de Gertler, est encore au pouvoir pour 12 mois7. Son règne, qui a duré presque deux décennies, est caractérisé par le népotisme et la corruption. GLOBAL WITNESS JUILLET 2020 Des Sanctions, Mine de Rien 2 Sous Kabila, le fonctionnement des institutions publiques est opaque et paralysé par de puissants fonctionnaires abusant de leurs fonctions à des fins personnelles8. Ce contexte offre à Gertler une opportunité de sortir de l'impasse : il est en mesure d’exploiter les failles juridiques et les faiblesses de la gouvernance des banques, du registre des sociétés et du secteur minier congolais pour se soustraire aux sanctions. Dans la semaine qui suit sa désignation en tant que personne sanctionnée, Gertler est déjà occupé à réorganiser son empire commercial. Sa constellation de sociétés offshores, basées dans des paradis fiscaux comme les Îles Vierges Britanniques (IVB), sont redomiciliées en RDC ou remplacées par des sociétés congolaises. Environ à la même époque, fin 2017, de nouvelles entreprises aux liens subtils et décelables mais jamais flagrants avec Gertler font leur apparition sur les registres de sociétés. Au moins deux de ces nouvelles entreprises, pourtant sans le moindre antécédent en RDC ou dans le domaine minier, décrochent même des droits sur des permis miniers semblant avoir été obtenus à prix cassé à la veille des élections congolaises de 20189. C'est exactement le schéma des précédentes négociations de Gertler, qui avait acheté à l'État des droits miniers pour un prix modique juste avant les élections de 2011, avant de faire d'énormes bénéfices en revendant certains d'entre eux10. Global Witness et la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) ont réuni des éléments de preuve suggérant l’existence d’un effort concerté visant à contourner les sanctions, mais Gertler et les autres individus concernés ont vigoureusement démenti toute entreprise en ce sens. Selon eux, il n'y a jamais eu de tentative ou conspiration visant à échapper aux sanctions. Ils affirment qu’il n'existe aucun montage de blanchiment d'argent. Quant aux suspicions de Global Witness et PPLAAF, ils les jugent « ridicules » et assurent que tous les éléments révélés à leur encontre ont des justifications commerciales tout à fait légitimes. Enfin, Dan Gertler n'aurait aucun rapport avec tout cela. Toujours selon nos protagonistes, Abihassira n'a jamais servi de « mule » pour Gertler, et ne se trouvait même pas en RDC lorsque les dépôts qui lui sont attribués ont été effectués ; il levait des fonds pour des investissements immobiliers à Kinshasa, par exemple. Les représentants de Gertler et Kabila ont également toujours nié les accusations de corruption portées depuis plusieurs années. Ils soulignent que si des sanctions ont bien été prononcées, aucune accusation criminelle n'a été portée contre Gertler par les États-Unis ou tout autre État. La décision de Kabila d'enfin quitter le pouvoir début 201911 débouche sur la première passation de pouvoir pacifique depuis l'indépendance du pays en 196012. Les élections sont néanmoins entachées d'irrégularités, et la rumeur court que le nouveau président Félix Tshisekedi aurait passé un accord avec Kabila, qui a conservé pouvoir et influence sur de nombreuses institutions congolaises13 14. Nous ignorons si l’influence persistante de Kabila a permis à Gertler, son vieil ami, de poursuivre librement ses activités en RDC. Le présent rapport présente des éléments preuves donnant à penser que ce milliardaire pourrait désormais avoir accès à un réseau de sociétés-écrans, d'hommes de paille et de comptes bancaires par procuration lui permettant de faire circuler des millions de dollars en provenance et à destination de la RDC, d’y financer ses activités et d'échapper aux sanctions américaines. Les détails de cette affaire mettent en lumière comment le nébuleux empire commercial de Gertler est susceptible de continuer à opérer après les sanctions , et révèlent un système permettant de dissimuler l'origine des sommes d'argent colossales qui y transitent. Voilà comment en dépit des sanctions, Gertler semble continuer à dégager d'énormes bénéfices financiers de ses activités en RDC, pays GLOBAL WITNESS JUILLET 2020 Des Sanctions, Mine de Rien 3 dont plus de 72 % de la population vit avec moins de 1,9 dollar par jour15. Ce réseau complexe entraine dans son sillage de grandes sociétés, comme le géant du négoce Glencore, des compagnies minières comme Eurasian Resource Group (ERG) et la Sino-Congolaise des Mines (Sicomines) — qui démentent toutes avoir fait affaire avec Gertler en violation des sanctions américaines, ainsi que toute autre malversation — ainsi que l'une des plus grandes banques d'Afrique francophone et ses banques correspondantes à l'étranger. En somme, il semblerait que nous ayons à faire à un dispositif qui viserait à blanchir d'importantes sommes d'argent en RDC et à l'international, et permettrait à Gertler de contourner les effets des sanctions économiques américaines. À ce titre, cela révèle d’importantes failles juridiques et défaillances, non seulement dans l’application des sanctions, mais également dans le système financier international dans son ensemble. GLOBAL WITNESS JUILLET 2020 Des Sanctions, Mine de Rien 4 Dan Gertler est un milliardaire israélien sanctionné par les Etats-Unis en décembre 2017 pour « contrats miniers opaques et corrompus » en RDC. Global Witness enquête sur Gertler depuis 2011. Nous avons déjà révélé au grand jour son rôle de « gardien » des actifs miniers et pétroliers en RDC, s'imposant comme intermédiaire auprès des multinationales voulant faire affaire avec l'Etat congolais, tout en empochant une fortune colossale en contrepartie. (Simon Dawson/Bloomberg via Getty Images) Alain Mukonda est un homme d'affaires congolais et un associé de Dan Gertler. Suite aux sanctions imposées à uploads/Finance/ des-sanctions-mine-de-rien-juillet-2020-pdf-filename-utf-8-x27-x27-des-sanctions-mi.pdf

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  • Publié le Dec 04, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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