4. L'innovation et l'entrepreneur chez Joseph Schumpeter Dans les courants néoc
4. L'innovation et l'entrepreneur chez Joseph Schumpeter Dans les courants néoclassiques, aucune réflexion n'intègre réellement le progrès technique. A la suite de l'une des branches majeures de ce courant – l'école autrichienne, Joseph Schumpeter offrira pourtant une analyse de l'innovation pour expliquer l'évolution des économies capitalistes. Marqué par l'individualisme méthodologique développé par les tenants de l'école autrichienne, Schumpeter mettre l'accent sur l'acteur principal du capitalisme : la personne emblématique de l'entrepreneur. Sur cette base, il proposera une théorie des cycles économiques montrant les phases de croissance et de ralentissement que traversent les économies capitalistes. 4.1. Un descendant de l'école autrichienne Contexte : - L'Autriche du milieu XIXème = empire en déclin, mais également bouillon de culture : les idées de Kant se propagent (rationalité individuelle) et libéralisme anglais et français. - Répression du pouvoir impérial à l'encontre de l'élite bourgeoise et intellectuelle + exclusion des industriels par rapport au pouvoir (réservé à l'aristocratie, aux militaires et hauts fonctionnaires), alors même que transition (tardive) d'une économie agraire à un capitalisme industriel (modernisation économique). - Conséquence : pour l'élite intellectuelle, l'individu devient une valeur en soi par rapport à la bureaucratie (impériale) : primauté de l'individu sur le corps social et rejet de l'école historique allemande (vision organiciste du corps social/rôle primordial des institutions). - En théorie économique : adoption de l'individualisme méthodologique (point commun avec les néoclassiques anglais et français) : le lien social est représenté à travers les interactions entre les individus qui se rencontrent sur le marché et sans intervention de l'Etat. Fondateur : Carl Menger (1840-1921) : - théorie subjective de la valeur (la valeur d'un bien est déterminée par l'utilité qu'en retire un individu et par la rareté de ce bien : concept de l'utilité marginale) - classification des biens (biens de consommation = biens de 1er rang / bien de production = biens de rang 2, 3, etc selon leur position dans la chaîne de production) Les disciples : Eugen Von Böhm-Bawerk (1851-1914) : théorie du capital, notion de "détour de production" ; Ludwig Von Mises Joseph Schumpeter : - théorie de l'innovation - théorie de l'entrepreneur Principaux ouvrages : Théorie de l'évolution économique, 1912, Business cycles, 1939, Capitalisme, Socialisme et Démocratie, 1942 Similarités avec Marx : il combine théorie économique, sociologie et histoire pour développer une vision d'ensemble du capitalisme en tentant d'expliquer la nature, le fonctionnement et l'évolution du capitalisme. 4.2. Une théorie de l'entrepreneur 1ère idée : Sans innovation, l'économie est stationnaire (pas de croissance économique) : état stationnaire de Ricardo, reproduction simple de Marx, équilibre général walrassien (tous les agents sont satisfaits et ne désirent plus changer leurs dotations). L'économie stationnaire prévaut avant le capitalisme et fonctionne à l'image d'une boucle fermée se reproduisant à l'identique (Schumpeter fait l'analogie avec la circulation sanguine, à l'image de François Quesnay (Tableau économique, 1758) qui un siècle et demi avant lui avait développé justement la notion de circuit sur la base d'une telle analogie. Le mode de fonctionnement intrinsèque d'une économie stationnaire ne provoque aucun changement endogène. L'économie stationnaire est uniquement capable de s'adapter (pour assurer sa reproduction : d'un point de déséquilibre, elle parvient par son fonctionnement propre à retourner à l'équilibre initial), mais non d'évoluer (pas de modifications endogènes aboutissant à un nouvel équilibre suite à un déséquilibre). La théorie de l'équilibre général proposée par Léon Walras exprime parfaitement cette économie stationnaire. (…) Puisque la principale caractéristique de cet équilibre général (définissant une économie stationnaire) est qu'il n'existe pas d'incertitude, ni de prise de risque, donc il n'existe pas d'entrepreneurs au sens de Schumpeter. L'entrepreneur avant Schumpeter Les économistes classiques ne distinguent pas les entrepreneurs comme agents économiques spécifiques. Adam Smith séparait certes les fonctions de capitaliste de celles de manager (les profits du capitalistes n'incluent pas les "salaires" que le manager perçoit au titre de son travail de direction et d'inspection. Pour autant, aucune distinction n'était faite entre le capitaliste apportant le capital de l'entreprise et l'entrepreneur : l'"undertaker" était supposé être le propriétaire de l'entreprise. De même, David Ricardo n'emploie pas le terme d'entrepreneur et n'entrevoit pas le rôle de l'homme d'affaires en tant qu'agent essentiel dans l'évolution du capitalisme. Pourquoi les classiques ne discernent-ils pas le rôle de l'entrepreneur ? (1) Parce que la confusion entre propriété et direction prévaut à leur époque (les entreprises sont de petite et moyenne tailles. (2) Parce qu'ils considèrent l'investissement et la production comme des processus plus ou moins automatiques, n'impliquant donc pas de risques particuliers (tout offre trouve un débouché, donc pas d'incertitude conformément à la loi des débouchés). (3) Enfin, si Ricardo admet que certains capitalistes pouvait récupérer (temporairement) des surprofits en introduisant un processus productif nouveau (une nouvelle machine), donc un profit supérieur aux autres capitalistes, il ne conçoit pas cette capacité à innover comme un trait distinctif de certains capitalistes par rapport aux autres. Après les classiques, Karl Marx ne fait pas non plus d'analyse spécifique sur la fonction entrepreneuriale, alors qu'il met l'accent sur la pression constante qui pousse les capitalistes à innover (sans plus-value extra, ils périssent). Les deux sources pour obtenir des profits supérieurs sont (1) l'intensification de l'exploitation et surtout (2) l'usage de nouvelles machines. Mais jamais Marx ne se pose la question des motifs expliquant le choix de la nouvelle machine et des conséquences de choix erronés. Certes, il comprend que le processus de la concurrence suppose qu'il y ait des différences de comportements (sources de l'évolution économique), mais il n'analyse pas la nature et les raisons de ces différences individuelles comme déterminants de l'évolution du capitalisme. Ainsi il entrevoit qu'un revenu résiduel apparaît après que l'entreprise ait payé les intérêts sur le capital emprunté et le salaire du personnel de direction mais ce revenu résiduel ne correspond pas pour lui à une fonction économique spécifique, celle qui consiste à acheter des facteurs de production à un prix certain et à revendre à un prix incertain les produits obtenus par la combinaison de ces facteurs de production, fonction qui peut engendrer des pertes comme des profits. Certains capitalistes sont plus inspirés, plus clairvoyants que les autres, ce qui peut expliquer également la dynamique du capitalisme. Pourtant, avant les classiques et Marx, Richard Cantillon avait mis en évidence l'existence d'un agent économique qu'il qualifia d'"entrepreneur", c'est-à-dire celui qui "est disposé à acheter à un prix certain et à vendre à un prix incertain", donc celui qui fait des prévisions et prend des risques (voir Blaug, p.563). Un autre auteur à avoir proposé une analyse sérieuse du rôle de l'entrepreneur, contemporain de Marx, est Thünen (L'Etat isolé, 1850). Gains de l'entrepreneur = profits bruts – (intérêts+salaires management+prime d'assurance contre les risques de pertes calculables). L'entrepreneur touche un revenu en contrepartie des risques qu'aucune compagnie d'assurance ne veut couvrir car ils sont imprévisibles. Pourquoi imprévisibles ? Car par définition la nouveauté crée une situation où il devient impossible de prédire les probabilités de pertes ou de gains. L'entrepreneur a donc légitimement droit à un revenu résiduel risqué et imprévisible. Après les classiques, les néoclassiques (première vague) ne vont pas non plus prendre en compte le rôle de l'entrepreneur. Tout d'abord, car l'objet d'étude des néoclassiques (le marché) les éloignent de la question de l'organisation interne de l'entreprise. Dans l'équilibre général walrassien, en situation de concurrence parfaite, tout surprofit disparaît (les facteurs sont rémunérés à leur productivité marginale : le salaire est fixé au niveau de ce que rapporte le dernier salaire employé) et Léon Walras l'affirme : à l'équilibre, l'entrepreneur ne "fait ni bénéfices, ni pertes". Donc pas de théorie du profit comme revenu résiduel correspondant à la prise de risques non probabilisables. Toute la théorie néoclassique a donc laissé de côté le rôle du progrès technique, la question de la croissance des grandes entreprises, les raisons de la croissance économique et finalement, la théorie de l'entrepreneur comme celui qui assume les services d'organisation de l'entreprise et de la production, de coordinateur et de décideur ultime, de preneur de risque. En cela, deux auteurs en marge des courants néoclassiques, Schumpeter et Frank Knight, peuvent être considéré comme hétérodoxes. Deux conceptions du profit : Rémunération du risque et rémunération de l'innovation Frank Knight (1885-1972, Risk, Uncertainty and Profit, 1921) introduit une distinction risque et incertitude : le risque est une situation où les évènements futurs sont prévisibles (possible d'affecter à chaque éventualité une probabilité) et l'incertitude est la situation où rien n'est prévisible. Les risques peuvent donc être assurés (les compagnies d'assurances déterminent alors les primes d'assurance en fonction des risques associés à l'acte assuré : conduite automobile, assurance contre le vol selon le quartier où est localisé le bien assuré, etc). La nouveauté correspond à une situation sans précédent et à ce titre, incertaine, ne pouvant être probabilisable, et donc impossible à assurer (pas de mutualisation possible du risque). Pour Schumpeter, le cadre analytique fondé sur l'"économie stationnaire" cesse d'être pertinent dès lors que le fonctionnement de l'économie sécrète en lui-même les conditions du changement. A l'analyse statique du circuit stationnaire, d'une économie sans aucune incertitude sur le uploads/Finance/ entreprenneur-innovateur-7.pdf
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- Publié le Nov 26, 2022
- Catégorie Business / Finance
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