ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE ET INNOVATIONS FINANCIÈRES : D'UN PROCESSUS CRÉATIF À UNE

ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE ET INNOVATIONS FINANCIÈRES : D'UN PROCESSUS CRÉATIF À UNE CRÉATION DESTRUCTRICE Faruk Ülgen De Boeck Supérieur | « Innovations » 2013/1 n°40 | pages 193 à 211 ISSN 1267-4982 ISBN 9782804177638 DOI 10.3917/inno.040.0193 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-innovations-2013-1-page-193.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.112.159.204) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.112.159.204) n° 40 – innovations 2013/1 DOI: 10.3917/inno.040.0193 193 Évolution économique et innovations financières : d’un processus créatif à une création destructrice Faruk ÜLGEN Centre de Recherche en Économie de Grenoble (CREG) Université Pierre Mendès France-Grenoble 2 ulgen.faruk@upmf-grenoble.fr La littérature économique suppose souvent que les marchés financiers modernes, ouverts et libéralisés, encadrés par une législation appropriée concernant les droits de propriété et de protection des consommateurs-épar­ gnants, permettent une meilleure allocation des ressources financières dans le financement efficace des activités productives. De nombreux travaux as­ similent alors les innovations financières aux innovations entrepreneuria­ les schumpétériennes et en concluent que les changements observés sur les marchés financiers depuis les années 1980 contribuent à la promotion de la croissance économique. Toutefois, bien que l’on puisse trouver chez Schum­ peter de nombreux éléments mettant en avant le rôle du système bancaire et financier dans le développement économique, une analyse précise et spéci­ fique des innovations financières, distinctes de celle des innovations entre­ preneuriales, n’est pas disponible. Cet article vise à combler ce vide analytique en posant la question de savoir si les innovations financières peuvent être ou non assimilées aux innovations entrepreneuriales schumpétériennes. La thèse défendue est que les innovations financières transforment le processus d’évolution créatrice du capitalisme, étudié par Schumpeter, en un phénomène de création destructrice. Dans un environnement libéralisé, les innovations bancaires et financières visent une rentabilité à court terme des produits et processus nouveaux en transformant l’activité bancaire en un outil de spéculation. Cette transformation s’avère ef­ ficace pour générer des gains immédiats élevés. Mais elle se révèle en complet divorce d’avec les besoins de financement d’une économie d’innovation dans laquelle les projets d’avenir ont besoin d’accompagnement financier stable et soutenu. Le résultat d’une telle évolution est la financiarisation de l’économie, © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.112.159.204) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.112.159.204) Faruk Ülgen 194 innovations 2013/1 – n° 40 ce qui réduit le caractère productif et progressiste de l’économie capitaliste en la confinant à un rôle de créateur de richesses financières immédiates dont la sensibilité aux variations des humeurs des investisseurs augmente considéra­ blement. La dynamique d’évolution est alors établie sur la continuité d’une fièvre, nourrie par des bulles spéculatives qui éclatent régulièrement et qui re­ mettent en cause la capacité des activités entrepreneuriales à créer des emplois et des richesses durables. L’importance des systèmes monétaires et financiers dans la croissance économique, qui serait fondée sur les innovations productives, apparaît tri­ vialement par une preuve négative : l’orientation désastreuse des marchés financiers éloigne les institutions bancaires de leur rôle crucial de financeur des activités entrepreneuriales et réduit la cohérence des moyens de finan­ cement du développement économique. Contrairement aux conséquences, souvent supposées positives, des innovations entrepreneuriales schumpété­ riennes sur la croissance économique, les innovations financières des trente dernières années ont alimenté une dynamique économique destructrice en provoquant de nombreuses crises structurelles et en menaçant gravement la stabilité à long terme des économies modernes. Le nouvel environnement financier et réglementaire ne permet plus alors de renforcer l’efficacité allo­ cative des structures financières et pose le problème de la compatibilité entre la dynamique d’innovations et la stabilité macroéconomique. Les instabilités observées requièrent, par conséquent, une remise en question des schémas de réglementation financière dans l’objectif d’orienter les innovations finan­ cières vers une trajectoire d’évolution qui ne provoque pas de crise économi­ que, destructrice de croissance et d’activités entrepreneuriales productives. Afin d’appuyer ces affirmations, le présent article présente trois sections. La première section considère les liens entre les innovations schumpété­ riennes, la destruction créatrice et le financement bancaire. En effet, l’un des apports les plus en vue des travaux de Joseph Aloïs Schumpeter, élève de Böhm-Bawerk et de Menger, et Professeur à l’université de Graz jusqu’en 1919, est, aujourd’hui, son analyse de l’évolution économique en termes du processus de destruction créatrice. Toutefois, Schumpeter précise que ce phé­ nomène, généré par les activités d’innovation des entrepreneurs, fait appel à des financements adéquats, principalement fournis par le crédit bancaire. Par conséquent, le développement économique, porté par les innovations entrepreneuriales, doit être aussi pensé en termes de la dynamique financière dont l’évolution des stratégies bancaires constitue l’orientation principale. La deuxième section étudie la dynamique des marchés financiers et in­ terroge la nature des innovations financières qui dominent les systèmes ban­ caires et financiers depuis les trente dernières années. Il apparaît que les © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.112.159.204) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.112.159.204) Évolution économique et innovations financières n° 40 – innovations 2013/1 195 marchés financiers suivent une évolution qui leur est propre dont l’orien­ tation centrale est loin de l’objectif de financer les activités d’innovations entrepreneuriales, contrairement au schéma proposé par Schumpeter, no­ tamment dans la Théorie de l’évolution économique (1934). Les changements sur les marchés financiers montrent une évolution en faveur de nouvelles formes d’intermédiation financière comme les fonds de pension et le capital- investissement qui sont souvent identifiés par les phénomènes de titrisation et d’intégration financière. Ces formes marquent le passage de la banque traditionnelle à la banque transactionnelle alors que les activités bancaires de hors-bilan gagnent en importance et posent la question de la stabilité macroéconomique. La troisième section étudie alors la portée de la thèse selon laquelle les innovations financières, au lieu d’accompagner les innovations entrepreneu­ riales, moteur du développement économique, et d’alimenter le processus de destruction créatrice, débouchent sur une dégénérescence des structures de financement en faveur d’opérations spéculatives à court terme. Une telle tendance est permise, voire renforcée, par un environnement réglementaire qui suppose que le degré de risque des activités financières et leurs probables effets sur la stabilité systémique peuvent être contrôlés et régulés par des mécanismes de marché. Or, la récurrence des crises financières semble né­ cessiter une révision des principes de gestion macroéconomique des activités financières dans l’objectif d’assurer des conditions plus appropriées de finan­ cement des activités entrepreneuriales d’innovation créatrices d’emplois. Les innovations Schumpétériennes : la destruction créatrice et le financement bancaire Dans Capitalisme, socialisme et démocratie (1942), Schumpeter définit l’économie capitaliste comme un système en changement permanent dont la dynamique est fondée sur des facteurs endogènes qui modifieraient sans cesse les structures existantes en les remplaçant par des modalités d’exercice nouvelles. Les facteurs endogènes sont principalement les comportements des entrepreneurs qui, en cherchant à modifier les activités présentes dans un contexte de concurrence acharnée – à couteaux tirés –, cherchent à in­ nover, ce qui provoque en général une destruction de l’existant au profit du renouveau. Ainsi, Schumpeter précise, dans la Théorie de l’évolution écono­ mique (1934) que la destruction créatrice est un processus qui détruit sans cesse les structures anciennes pour les remplacer par des structures nouvelles, supérieures. Les innovations entrepreneuriales sont alors définies comme des © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.112.159.204) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 11/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.112.159.204) Faruk Ülgen 196 innovations 2013/1 – n° 40 combinaisons nouvelles qui peuvent aussi bien correspondre à de nouveaux produits, de nouveaux processus de production, de nouveaux marchés qu’à de nouvelles formes d’organisation de l’appareil existant. Il s’agit bien d’un changement dans le schéma de production entrepreneurial et pas seulement ou nécessairement dans le schéma de production scientifique et technique. De ce point de vue, la distinction entre l’invention et l’innovation est plus que pédagogique, elle est heuristique en tant que fondatrice d’une concep­ tion centrale dans le changement de perspective dans l’étude de l’économie capitaliste 1. Selon Schumpeter, les innovations apparaissent d’une façon discontinue et autorisent les agents économiques à élargir leurs horizons de décision et d’action. L’endogénéité de ce mouvement créatif est liée au fait qu’il dépend de l’imagination de l’entrepreneur schumpétérien qui, de fait, devient, non pas un simple maximisateur passif de profit pour un ensemble de facteurs et de techniques de production donnés – comme il est le cas dans les modè­ les standard uploads/Finance/ evolution-economique-et-innovations-financieres.pdf

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  • Publié le Oct 15, 2021
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