FISCALITÉ INCITATIVE ET ÉGALITÉ DEVANT L’IMPÔT : L’ÉCOTAXE DEVANT LE CONSEIL CO

FISCALITÉ INCITATIVE ET ÉGALITÉ DEVANT L’IMPÔT : L’ÉCOTAXE DEVANT LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL Observations sur la décision n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000, Loi de finances rectificative pour 2000 Par Stéphane COTTIN Maître de conférences à l’IEP de Paris Didier RIBES Allocataire de recherche - moniteur à l’Université d’Aix-Marseille III (1*) « L’interventionnisme fiscal relève de ces phénomènes pour lesquels la fréquence de la critique répond à la généralité du recours à ses procédés »2. Ainsi, si l’utilisation des impôts à d’autres fins que la seule couverture des charges publiques fait toujours débat, cette pratique constitue, quoi qu’il en soit, une caractéristique essentielle des systèmes fiscaux contemporains. Au-delà même des traditionnelles actions à finalité économique ou sociale, l’Etat a aujourd’hui recours à l’outil fiscal dans de nombreux autres domaines. A cet égard, la protection de l’environnement constitue, depuis une dizaine d’année, un important champ pour l’interventionnisme fiscal. En effet, l’« arme » fiscale est apparue comme un complément nécessaire à d’autres instruments de protection tels que la réglementation, la définition de normes techniques et l’attribution d’écolabels et d’aides à l’investissement. Cette utilisation de la fiscalité en matière environnementale a produit des effets positifs significatifs dans différents pays3. En France, la « recherche » d’une fiscalité écologique effective a abouti, dans son dernier état, à la création d’une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). L’article 37 de la loi de finances rectificative pour 2000 a intégré dans l’assiette de cette imposition les consommations intermédiaires d’énergie. Mais, le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition contraire à la Constitution dans sa décision 2000-441 DC du 28 décembre 20004. Plus précisément, il a jugé que cette norme fiscale incitative méconnaissait le principe d’égalité devant l’impôt. Par cette décision, le juge constitutionnel ne condamne pas, dans son principe, la création d’une imposition incitative. Bien au contraire, en affirmant la constitutionnalité de l’objectif du législateur, il confirme la légitimité de la fiscalité écologique (I). Mais la conformité à la Constitution du but poursuivi par le législateur fiscal ne dispense évidemment pas du contrôle de la constitutionnalité des modalités de mise en œuvre. Et si le Conseil constitutionnel procède en l’espèce à une censure, c’est en raison de l’inadéquation des moyens à l’objectif affiché par le législateur (II). 1(*) Stéphane Cottin a établi l’ensemble des documents, encadrés et graphiques ; Didier Ribes a rédigé le reste du commentaire. 2 G. Orsoni, L’interventionnisme fiscal, PUF, 1995, p. 295. 3 Cf. G. Sainteny, « Quelle fiscalité de l’environnement ? », Rev. fr. fin. publ., n° 63, 1998, p. 109 et s. 4 J.O. 31 décembre 2000, p. 21204. I - LA CONSTITUTIONNALITÉ DE L’OBJECTIF DU LÉGISLATEUR : LA LÉGITIMITÉ DE LA FISCALITÉ ÉCOLOGIQUE L’imposition des consommations intermédiaires d’énergie au titre de la TGAP n’est pas justifiée par un but simplement financier. L’existence et le régime de l’écotaxe sont fondés sur une logique incitative. La finalité première de la taxation est en effet ici de concourir à une diminution des rejets de gaz à effet de serre, et notamment du dioxyde de carbone (A). Le Parlement pouvait-il instituer une telle imposition finalisée ? Sur la base d’une jurisprudence reconnaissant la constitutionnalité des mesures fiscales incitatives, le Conseil constitutionnel a admis la conformité à la Constitution de l’objectif poursuivi par le législateur et par la même la légitimité de la fiscalité écologique (B). A - La logique incitative de la TGAP L’interventionnisme fiscal en matière d’environnement se distingue des autres formes d’instrumentalisation de l’impôt. En effet, la taxation est conçue comme une « technique visant à faire ressentir aux agents économiques la dimension environnementale, afin que celle-ci s’intègre dans les coûts et donc dans les décisions adoptées »5. Les nombreuses taxes environnementales créées au fur et à mesure des années ont été affectées à la lutte contre la pollution, et notamment à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Destinées notamment à financer des investissements de nature à réduire la pollution, elles ont ainsi été en partie reversées à ceux qui les payaient. Ce retour du produit des taxes aux pollueurs était critiquable. En effet, le montant d’aide compensant le coût fiscal, le paiement de la taxe pouvait être analysé par les redevables comme l’achat d’un véritable « droit à polluer ». Par ailleurs, ces impositions n’avaient pas de portée véritablement incitative en raison de taux insuffisamment élevés. Ces derniers ne permettaient pas d’intégrer dans le montant des taxes la totalité des coûts de pollution. Si elles offraient les ressources nécessaires à la réparation des dommages causés à l’environnement, ces taxes ne pouvaient avoir de fonction préventive. L’ensemble de ces impositions constituait ainsi « un maquis fiscal peu cohérent et guère en rapport avec les volontés de protection de l’environnement et de lutte contre les pollutions »6. Le constat, établi en 1998, de ces imperfections de la fiscalité écologique française7 a conduit à une redéfinition de la politique fiscale environnementale. Dans ce cadre, la création d’une taxe générale sur les activités polluantes a entendu marquer un profond changement de logique. En effet, la TGAP traduit la volonté de donner une réalité tangible au principe pollueur-payeur et d’orienter ainsi véritablement les comportements des acteurs économiques et sociaux vers une meilleure protection de l’environnement. Elle se place également dans le cadre du projet communautaire d’écotaxe destinée à imposer tout ce qui concoure, dans la production et les échanges, à accroître la pollution des sols, des eaux et de l’air, ainsi que tout ce qui aggrave l’effet de serre8. 5 G. Orsoni, op. cit., p. 285. 6 N. Bricq, « La fiscalité écologique dans le budget de l’Etat », Droit de l’environnement, n° 66, 1999, p. 17. 7 N. Bricq, Pour un développement durable : la fiscalité au service de l’environnement, Rapport de la Commission des finances, de l’économie générale et du plan, Assemblée nationale, 23 juin 1998, n° 1000. 8 Sur cette question voir notamment Ph. François, Une écotaxe communautaire : quels effets environnementaux, économiques et institutionnels ?, Rapport d’information, Délégation du Sénat pour l’Union européenne, Direction des journaux officiels, 1996, 61 p. ; C. London, « Environnement : du réglementaire à l’incitatif », Petites affiches, 18 décembre 1991 (151), p. 16 et s, P. Dibout, « Fiscalité européenne et environnement », Rev. aff. eur., 1995, n° 2, p. 31 et s., et P. Vis, « La réforme de la fiscalité environnementale en Union européenne », Il a été décidé de procéder à une déconnexion entre le produit de la fiscalité écologique et le niveau des ressources nécessaires pour réparer les dommages causés à l’environnement par les activités polluantes. En conséquence, le financement de l’ADEME n’est plus assuré par l’affectation de taxes mais par des subventions versées par l’Etat. Alimentant désormais le budget général, la nouvelle fiscalité environnementale doit, quant à elle, adresser un « signal- prix » assez élevé pour produire un effet réellement dissuasif sur les pratiques les plus polluantes. De par son caractère général, la TGAP est conçue comme un outil de modernisation et de simplification de la fiscalité écologique. Elle doit intégrer progressivement l’ensemble des prélèvements obligatoires environnementaux assis sur des activités polluantes. La « taxe générale sur les activités polluantes » a été instituée par l’article 45 de la loi de finances pour 19999. Pour lui donner naissance, cinq taxes existantes ont été abrogées et fondues dans cette nouvelle imposition : la taxe sur le traitement et le stockage des déchets industriels spéciaux, la taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique, la taxe parafiscale sur les huiles de base, la taxe d’atténuation des nuisances sonores et la taxe sur le stockage des déchets ménagers et assimilés10. L’objectif du Gouvernement était ensuite d’appliquer cette imposition à l’eau en 2000 et à l’énergie en 2001. La loi de financement de la sécurité sociale pour 200011 a ainsi élargi le champ d’application de la TGAP, à compter du 1er janvier 2000, aux lessives et aux produits adoucissants ou assouplissants pour le linge, aux grains minéraux naturels extraits dans les cours d’eau ou en carrière, aux produits antiparasitaires à usage agricole, ainsi qu’aux installations classées dangereuses ou polluantes soumises à autorisation d’ouverture en application de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 et aux activités qui font courir, par leur nature ou leur volume, des risques particuliers à l’environnement12. La loi de finances rectificative pour 2000 procédait à l’extension, dénommée écotaxe, de la TGAP aux consommations intermédiaires d’énergie fossile et d’électricité, à partir du 1er janvier 200113. Son objectif, tel qu’il ressort de l’exposé des motifs de la disposition, était de « renforcer la lutte contre l’effet de serre dans le cadre de nos engagements internationaux et de mieux inciter les entreprises à maîtriser leur énergie ». L’instauration de cette TGAP-Energie faisait partie des 96 mesures présentées par le Gouvernement14 en janvier 2000 et destinées à lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. En effet, la France s’est engagée, dans le cadre du protocole de Kyoto de 1997, à stabiliser pour 2010 ses émissions de gaz à effet de serre au niveau atteint en 1990. uploads/Finance/ fiscalite-incitative-et-egalite-devant-l-x27-impot-l-quot-ecotaxe-devant-le-conseil-constitutionnel-observations-sur-la-decision-n0-2000-441-dc-du-28-decembre-2000-loi-de-finances-rectificative-pour.pdf

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  • Publié le Apv 10, 2022
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