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– 117 – International Journal of Digital and Data Law [2020 – Vol 6] http://ojs.imodev.org/index.php/RIDDN « SIGNAUX FAIBLES » : DE LA VALORISATION DES DONNÉES PUBLIQUES À L’AUTOMATISATION DES PROCÉDURES COLLECTIVES par Caroline DE BONVILLE, Doctorante en Droit privé à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Olivier GREVIN, Doctorant en Droit public à l’Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne. i certains domaines du droit font déjà depuis longtemps l’objet d’études portant sur les potentialités qu’offrent à leur égard les techniques numériques de traitement de l’information, il s’agit d’une question relativement récente en droit des entreprises en difficulté. L’introduction du numérique dans ce droit est séduisante dans la mesure où elle permet d’envisager des gains d’efficacité. Il est toutefois nécessaire de distinguer ce qui peut être délégué à la machine, et donc automatisé, de ce qui doit relever d’une responsabilité humaine afin que le numérique reste « un outil au service d’une justice humaine »1. À cet égard, il peut être intéressant d’établir un parallèle avec les propos tenus par Robert Badinter, le 17 septembre 1981 à l’Assemblée Nationale, lors de son célèbre discours pour l’abolition de la peine de mort. Monsieur le Garde des sceaux disait ainsi que « rien ne peut changer que la justice soit humaine et donc faillible »2. Il semble que cette citation s’applique avec autant de justesse à la justice rendue avec l’aide de l’intelligence artificielle. En effet, il suffit pour s’en convaincre de se référer à l’exemple du logiciel COMPAS, fondé sur un algorithme de détection du risque de récidive, et pour lequel des études ont montré qu’il « n’était pas plus performant que l’homme dans l’analyse des comportements »3. Dès lors, l’introduction des techniques numériques dans le droit des procédures collectives ne saurait être considérée sans opérer une mise en balance entre les risques qu’elle suscite et les bénéfices qu’elle promet. Il semble que la balance penche en faveur des bénéfices s’agissant de « Signaux Faibles », un outil basé sur l’intelligence artificielle au service de la prévention des difficultés des entreprises. 1 M. LAROCHE, « Digital et procédure collective : imagination et raison », Recueil Dalloz, 2019. 2 R. BADINTER : « L'abolition de la peine de mort », Grands discours parlementaires, 17 septembre 1981 : http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours- parlementaires/robert-badinter-17-septembre-1981]. 3 O. DUFOUR, « Le casse-tête de la régulation des legaltechs », Gazette du Palais, 2018 : https://www.gazette-du-palais.fr/actualites-professionnelles/le-casse-tete-de-la- regulation-des-legaltechs/. S brought to you by CORE View metadata, citation and similar papers at core.ac.uk provided by Les Editions IMODEV (Institut du Monde et du Développement pour la Bonne... « Signaux faibles » : de la valorisation des données publiques è l’automatisation des procédures collectives – Caroline De Bonville et Olivier Grevin – 118 – International Journal of Digital and Data Law [2020 – Vol 6] http://ojs.imodev.org/index.php/RIDDN Il paraît pertinent de dresser ici un rapide panorama du droit des entreprises en difficulté avant d’envisager les différentes évolutions (passées, présentes et envisageables) de sa pratique sous l’impulsion du numérique. Le droit des entreprises en difficulté propose de multiples solutions en vue d’aider les entreprises à se redresser lorsqu’elles ne peuvent surmonter seules leurs difficultés. Ainsi, l’entreprise en difficulté peut bénéficier de l’aide de la justice de façon graduée selon les procédures. Le terme « bénéfice » peut choquer, on pourrait y voir une ironie cynique. En vérité, bénéficier d’une procédure collective est une chance4. Lorsque la formule a fait son apparition, ce fut tout à fait innovant. En effet, que de chemin parcouru depuis la loi des XII tables5. Concernant le droit positif, on différencie les solutions amiables (mandat ad hoc et conciliation) des solutions judiciaires (procédures de sauvegarde, redressement et liquidation judiciaire). Dans le premier cas, il s’agit de renégocier, avec l’aide d’un tiers négociateur (mandataire ou administrateur judiciaire), les principaux contrats du débiteur pendant que l’entreprise fonctionne normalement. Dans le second cas, ces procédures dites judiciaires ou curatives reposent sur l’octroi d’un moment de répit à l’entreprise débitrice, préservée des actions en paiement de ses créanciers. Lors de ces procédures, il est question de dresser un bilan de l’entreprise. Par la suite, une solution pour la survie pérenne de l’entreprise devra être proposée sous forme de plan englobant un projet de règlement des créances impayées (soumis à la validation du tribunal). À défaut de validation de ce plan par le tribunal, ou à défaut de son exécution, l’entreprise sera liquidée. Au-delà du simple traitement « 0 papier » de la procédure collective6, nombre de solutions numériques peuvent être envisagées tant au soutien de cette dernière que des nombreux échanges qu’elle induit. À cet égard, on assiste depuis peu à l’introduction du numérique dans le domaine de la diffusion d’annonces en vue de la cession des entreprises en difficulté7. Outre ces premières solutions dématérialisées, on peut relever l’exemple 4 Cass., com 11 fév. 2004, n°01-00.430, Publié au bulletin, dans lequel la Cour de cassation a forgé la formule « bénéfice d’une procédure collective ». 5 La faillite a d’abord été abordée sous un angle répressif et moral, de sorte que l’approche du droit était exclusivement répressive (le failli devait aller en prison ou au pilori pour ne pas avoir payé ses dettes). Celui qui ne payait pas ses dettes devait être traité comme un criminel. C’est l’approche de l’Antiquité (Loi des XII tables, première source légale en la matière). Ce premier doit est archaïque, on se paye sur la personne du débiteur (et non sur ses biens). Cela s’appelle la manu injectio (on se saisit du débiteur, on le réduit en esclavage). La faillite inspirait la peur (prison, chaine) et lorsqu’elle arrivait, la rigueur de cette approche faisait pression sur le débiteur et sa famille afin que les dettes soient payées. Cette approche demeure pendant des siècles, le droit du Moyen Âge manifestant cette même logique punitive. 6 Installation de coffres électroniques dans certains tribunaux de commerce, notamment au sein du Tribunal de Commerce de Bobigny. Voir en ce sens : V. DOUCÈDE, propos recueillis par J. VAYR, « Le greffe du tribunal de commerce de Bobigny : au service de la justice du XXIe siècle », Petites affiches, 2017, n°124, p. 5. 7 Par exemple MaydayAssets qui est une plateforme d'annonces dédiée aux entreprises en difficulté visant à mettre en relation les administrateurs judiciaires avec les repreneurs. « Signaux faibles » : de la valorisation des données publiques è l’automatisation des procédures collectives – Caroline De Bonville et Olivier Grevin – 119 – International Journal of Digital and Data Law [2020 – Vol 6] http://ojs.imodev.org/index.php/RIDDN du portail Creditors-Services. Initié par la loi du 28 mars 20118, conçu et géré sous l’égide du Conseil national des administrateurs et mandataires judiciaires, ce dernier vise à faciliter les échanges entre les créanciers et cocontractants du débiteur et les administrateurs et mandataires judiciaires. Plus récemment, le règlement 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité prévoit en ses articles 24 et 25 la mise en place de registres d'insolvabilité interconnectés. Enfin, on peut citer l’exemple du « tribunal digital » qui permet, depuis le 10 avril 2019, l’accès aux 134 tribunaux de commerce que compte la France9. Un second exemple de gain d’efficacité permis par le numérique réside dans le recours aux techniques dites d’intelligence artificielle. Si ces dernières peuvent être envisagées, non sans un certain nombre de risques, afin de traiter la procédure collective, elles ne sont à ce jour utilisées en France qu’au titre de sa prévention. À ce titre, l’alinéa 1er de l'article 3 de la directive UE n° 2019/1023 du 20 juin 2019 précise que « les États membres veillent à ce que les débiteurs aient accès à un ou plusieurs outils d'alerte précoce clairs et transparents permettant de détecter les circonstances qui pourraient donner lieu à une probabilité d'insolvabilité et permettant de leur signaler la nécessité d'agir sans tarder ». Il semble que la France soit, en ce domaine, déjà particulièrement avancée par l’intermédiaire de l’application « Signaux Faibles » qui s’appuie notamment sur la valorisation des données publiques. Historiquement, il est important de signaler que la Direction Générale des Finances Publiques a également mis en œuvre un dispositif de signaux faibles similaire, à la différence qu’il s’agit d’un déploiement purement interne, se basant sur ses seules données, sans avoir recours au modèle de la startup d’État10. « Signaux Faibles » quant à lui est un outil prédictif améliorant le ciblage des entreprises en difficulté. En effet, « les administrations publiques et organismes en charge d’une mission de service public détiennent ensemble des données d’une grande richesse sur la situation économique, financière et sociale des entreprises. Fort de ce constat, il n’y avait plus qu’un pas à franchir : mobiliser ces données en utilisant des traitements adéquats d’intelligence artificielle pour identifier les entreprises fragiles et ainsi cibler davantage et par anticipation l’action d’accompagnement public »11. 8 Loi de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées, 28 mars 2011, n° 2011-331. 9 INFOGREFFE. « Ouverture du tribunal digital », 2019 : https://www.infogreffe.fr/informations-et-dossiers-entreprises/actualites/ouverture- du-tribunal-digital.html. 10 Par un communiqué de presse en date du 30 uploads/Finance/ ignaux-aibles-ela-valorisation-des-donn-s-publiques-a-l-automatisation-des-proc-dures-collectives.pdf

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  • Publié le Sep 14, 2022
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