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Jean Baudrillard (paru dans Nouvelle Ecole, 2008) Peu de temps avant sa mort, pour résumer son itinéraire, il disait avoir été « pataphysicien à 20 ans, situationniste à 30, utopiste à 40, transversal à 50, viral et métaleptique à 60 ». Dans son œuvre, on parle de simulacres, de virus, de stratégies fatales, d’attracteurs étranges, de séduction. Autant dire que la sociologie de Jean Baudrillard n’est pas une sociologie comme les autres. Né à Reims en 1929, dans une famille d’origine paysanne et ardennaise (mais son père était gendarme), il est remarqué dès l’école primaire par ses instituteurs et intègre le lycée en bénéficiant d’une bourse. Un professeur de philosophie l’initie alors à la « pataphysique » d’Alfred Jarry, ce qui lui servira plus tard à « rompre avec tout un faux sérieux philosophique ». En 1948, Jean Baudrillard se retrouve en hypokhâgne au lycée Henri IV à Paris, mais tourne bientôt le dos au concours d’entrée à Normale supérieure pour aller s’établir comme ouvrier agricole, puis comme maçon, dans la région d’Arles. Revenu dans la capitale, il achève ses études à la Sorbonne, passe une agrégation d’allemand et devient professeur de lycée. Quelque temps lecteur à l’université de Tübingen, le jeune germaniste traduit Peter Weiss, Bertolt Brecht, Karl Marx, mais aussi des poèmes de Hölderlin, restés inédits. Il rompt cependant bientôt avec l’enseignement secondaire et entreprend une thèse de doctorat sous la direction de Henri Lefebvre, en même qu’il suit les cours de Roland Barthes à l’Ecole pratique des hautes études. Lefebvre, qui vient d’être exclu du parti communiste, est à cette époque célèbre pour sa théorie de la « vie quotidienne ». Baudrillard est alors proche de Guy Debord et des situationnistes. La « révolution culturelle » l’intéresse aussi : en 1962, il fonde avec Félix Guattari une éphémère Association populaire franco-chinoise. Sa thèse sur le « système des objets », qui lui vaut en 1967 les félicitations d’un jury composé de Lefebvre, Roland Barthes et Pierre Bourdieu, sera publiée l’année suivante chez Gallimard. Il entame alors un enseignement de sociologie à l’Université de Nanterre, dans le département d’Henri Lefebvre. Parallèlement, il participe à la création de la revue Utopie, avec Hubert Tonka et Isabelle Auricoste, et du groupe Aérolande. Avec Jacques Donzelot, il participe aux événements de Mai 68. « On descendait de la transcendance de l’histoire dans une espèce d’immanence de la vie quotidienne », dira-t-il plus tard. C’est pour lui une époque difficile, où il connaît la pauvreté. Par la suite, il fondera avec son ami Paul Virilio la revue Traverses, continuera d’enseigner à Nanterre jusqu’en 1986, puis à Paris IX Dauphine, où il sera jusqu’en 1990 directeur scientifique de l’Institut de recherche et d’information socio-économique (Iris). Ses premiers livres, Le système des objets (1968) et La société de consommation (1970) sont des essais de sociologie critique, relevant encore d’une critique néomarxiste de la société. Baudrillard , qui se passionne pour la sémiologie, c’est-à-dire la science des signes, y combine certaines idées de Henri Lefebvre et de Roland Barthes, mais aussi de Veblen et de Herbert Marcuse, avec les acquis du structuralisme et de la psychanalyse lacanienne. Il s’emploie à corriger Marx en montrant que le capitalisme consumériste diffère profondément du capitalisme du XIXe siècle, en ce sens qu’il sécrète des formes d’aliénation tout à fait nouvelles : non plus aliénation matérielle du travail, mais aliénation mentale par la marchandise. Ce qui intéresse en fait Baudrillard, c’est la façon dont les objets sont « vécus », c’est-à- dire la façon dont le système de consommation ordonne les relations sociales. En termes plus abstraits : « Les objets sont des catégories d’objets qui induisent des catégories de personnes ». Consommer, c’est d’abord manipuler des signes et se poser soi-même par rapport à ces signes. Ce n’est donc pas tant l’objet que l’on consomme que le système des objets lui-même (« On ne consomme jamais l’objet en soi, on manipule toujours les objets comme ce qui vous distingue »). Dans la société de consommation, le choix ne relève pas de la liberté, mais de l’intégration aux normes de la société, et donc de la contrainte. La publicité, qui crée l’illusion de s’adresser à chacun, reproduit la standardisation de l’objet qu’elle présente, puisque tout le monde finit par acheter le même produit que son voisin. Le système des objets, ainsi défini comme homogénéisant, finit par réifier le consommateur, qui se transforme lui-même en objet. Baudrillard analyse donc la société de consommation comme un phénomène global, comme un système où toutes les relations sociales sont déterminées par la circulation des marchandises et le fait que tout ce qui est produit doit être consommé. La société de consommation, c’est l’« échange généralisé ». Sa conclusion est que la consommation, loin d’être une simple pratique matérielle, « est une activité de manipulation systématique des signes », ce qui signifie que « pour devenir un objet de consommation, il faut que l’objet devienne signe ». Ce qui explique aussi que la consommation soit sans limites : allant bien au- delà des besoins, elle aspire à toujours plus de signes. « C’est finalement parce que la consommation se fonde sur un manque qu’elle est irrépressible ». En 1972, dans Pour une critique de l’économie politique du signe, Baudrillard constate qu’Adam Smith et Karl Marx, comme leurs disciples libéraux et marxistes, se sont bornés à distinguer entre la valeur d’usage d’un objet (sa valeur fonctionnelle et « naturelle ») et sa valeur d’échange (sa valeur économique et marchande). Il y ajoute la valeur symbolique de l’objet, qui est une valeur acquise en relation avec un autre sujet, et sa valeur de signe par rapport aux objets. Un beau stylo, par exemple, peut servir à écrire (valeur d’usage), valoir l’équivalent d’une semaine de salaire (valeur d’échange), être offert en cadeau (valeur symbolique) ou conférer un statut social (valeur structurale par rapport au système des objets). L’ouvrage lui vaut une extraordinaire renommée et va aussi faire de lui l’un des intellectuels français les plus lus et les plus commentés à l’étranger, notamment aux Etats- Unis, où Sylvère Lotringer, une Française devenue professeur à l’Université Columbia, se démène pour le faire connaître. Baudrillard va dès lors voyager un peu partout dans le monde, où des dizaines de livres lui seront bientôt consacrés, alors qu’en France son insolente ironie vis-à-vis des académismes et son tempérament d’inclassable lui vaudront longtemps la sourde hostilité de beaucoup. Le miroir de la production, en 1973, signe sa rupture définitive avec le marxisme. Baudrillard affirme que le marxisme n’est qu’un miroir de la société bourgeoise qui, comme les libéraux, place la production au centre de la vie sociale et ne peut, de ce fait, fournir la base d’une critique radicale du système de la marchandise. « Le marxisme, dira-t-il, n’est que l’horizon désenchanté du capital ». Avec L’échange symbolique et la mort (1976), Baudrillard sort complètement du domaine de l’économie politique. Constatant que les sociétés dominées par les seules valeurs marchandes, basées sur l’échange de signes et de biens, sont incapables de répondre à l’exigence symbolique, il abandonne alors la logique sémiotique pour celle d’un système symbolique, prolongeant en cela les travaux de Marcel Mauss et de Georges Bataille. Le terme même d’« échange symbolique » dérive de ce que Bataille appelait l’« économie générale », où la dépense somptuaire et la destruction sacrificielle prennent le pas sur les notions de production et d’utilité. Baudrillard prône alors une « critique aristocratique » du capitalisme, qui emprunte aussi à Nietzsche, et donne en exemple les sociétés « primitives » traditionnelles où régnait, non pas l’échange marchand, mais le système du don et du contre- don si bien décrit par Marcel Mauss, base de l’échange symbolique définie par la triple obligation de donner, de recevoir et de rendre. C’est dans ce livre que Baudrillard soutient pour la première fois que les sociétés occidentales ont subi une « précession de simulacre », en ce sens qu’elles sont passées successivement de l’ère de l’original à l’ère de la copie – on pense ici au célèbre texte de Walter Benjamin sur « L’œuvre d’art à l’ère de la reproduction mécanique » –, puis à celle d’un « troisième ordre de simulacre », où la copie remplace l’original et finit par devenir plus « réelle » que lui. Détachée de toute référence à l’original, la copie devient en fait pur simulacre, à la façon dont, dans une nouvelle de Borges, la carte remplace le territoire. Et comme ce simulacre ne fait qu’engendrer d’autres simulacres, la société toute entière devient elle-même un champ de simulacres. Dans l’œuvre de Baudrillard, c’est un tournant capital. Dans les années 1980, Baudrillard réfléchit de plus en plus aux techniques de communication et à la nature des relations sociales qu’elles déterminent. La célèbre formule de Marshall McLuhan : « Le médium est le message », lui sert de fil conducteur : la forme des médias compte plus que leur contenu. C’est ce qui fait leur pouvoir de séduction. Contrairement à Michel Foucault, qui s’intéresse avant uploads/Finance/ jean-baudrillard.pdf
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- Publié le Sep 20, 2021
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