Chapitre 1 L’approche économico-financière de l’investissement1 Gérard Charreau
Chapitre 1 L’approche économico-financière de l’investissement1 Gérard Charreaux L’explication du comportement des organisations en matière d’allocation (l’investissement) et d’obtention (le financement) de ressources peut être considérée comme l’objet principal de la finance, constituée comme discipline scientifique. À ce titre, il est naturel de s’orienter vers la littérature théorique financière pour chercher les grilles de lecture qui permettent, éventuellement, d’appréhender ce comportement. Une telle recherche si elle se limite, dans un premier temps, à la lecture des manuels de base de la discipline, conduira à un résultat relativement étrange. Si ces ouvrages proposent des outils censés permettre d’effectuer des choix d’investissement optimaux – l’optimum correspondant à l’objectif de maximisation de la richesse des actionnaires –, ils présentent très rarement et, s’ils le font, de façon extrêmement sommaire, des éléments permettant d’expliquer le comportement réel des organisations dans ce domaine pourtant essentiel. Une telle conclusion laisse entendre, cependant, qu’on ait défini les traits du comportement d’investissement qu’il convient d’expliquer pour que la théorie soit jugée digne d’intérêt. De ce point de vue, cette dernière devrait permettre d’expliquer non seulement le résultat du processus d’investissement, autrement dit, les caractéristiques des investissements entrepris (nature des actifs, montant, horizon, forme organisationnelle…) mais, également, les différentes dimensions du processus décisionnel (agencements organisationnels, acteurs impliqués, règles de décision…) qui ont conduit à ce résultat. Le comportement d’investissement, en tant qu’objet d’investigation, ne se réduit pas à l’explication des seuls investissements choisis, et il est peu vraisemblable qu’on puisse parvenir à comprendre ce choix sans disposer d’une théorie explicative du processus d’investissement. La finance, sauf à abandonner l’étude de la décision d’investissement à d’autres compartiments des sciences de gestion, se doit donc de proposer des outils permettant de comprendre le 1 L’auteur remercie les participants au séminaire « Investissement » (Fnege, Avignon, 1998) pour leurs remarques constructives et, plus particulièrement, Pierre Romelaer pour sa lecture très attentive du texte qui a permis de clarifier, il l’espère, un certain nombre de points. 2 comportement d’investissement sous toutes ses dimensions. Ainsi, elle doit permettre d’appréhender non seulement les différentes dimensions du portefeuille d’actifs mais également étendre son champ d’investigation aux processus organisationnels qui déterminent la constitution et l’évolution de ce portefeuille. Cette préoccupation correspond, comme l’écrit Brennan (1995, p. 17), à une tendance générale en finance d’entreprise : « la tendance à délaisser les tentatives visant à prescrire des règles normatives aux décideurs afin de les assister dans la prise de décisions optimales du point de vue des actionnaires en faveur de tentatives visant à décrire, de façon plus réaliste, la façon dont ces décisions sont prises en réalité ». L’absence de réponses à ces questions, dans les manuels de base, ne représente cependant que l’état de la finance néoclassique la plus traditionnelle, telle qu’elle régnait, il y a plus de 25 ans. La remise en cause du paradigme néoclassique, ou plutôt son élargissement, a permis, en intégrant certaines dimensions organisationnelles, d’apporter un certain nombre de réponses qui peuvent contribuer à construire une véritable théorie explicative de l’investissement. Pour comprendre l’évolution de l’approche financière de l’investissement, il faut repartir de ses sources économiques, afin notamment de préciser ce qui la distingue des approches « stratégiques », même si les points de rencontre entre les différents paradigmes sont de plus en plus nombreux et si les frontières tendent à s’estomper. D’une certaine façon, ce qui sépare fondamentalement les paradigmes économico-financiers des formes les plus extrêmes des autres paradigmes se situe dans la méthodologie retenue. Celle-ci reste hypothético-déductive ; elle est fondée sur l’individualisme méthodologique, sur le maintien d’une hypothèse de rationalité relativement forte, sinon substantielle, des individus et sur le principe d’efficience (au sens de l’efficience Parétienne). Si l’approche financière a gagné en pouvoir explicatif, ce gain a eu pour contrepartie un coût lié à la complexification de la théorie même si la structure de cette dernière reste relativement « simple » comparativement aux théories stratégiques. Enfin, la théorie financière organisationnelle ne doit pas être considérée comme excluant les approches organisationnelles concurrentes mais comme la réponse apportée par le paradigme traditionnel au défi initialement adressé par Bower (1970, p. 7 et 8) qui consistait, dans une certaine mesure, à écarter l’étude de la décision d’investissement du champ de la finance pour le rattacher au domaine du management : « En fait, tous les problèmes auxquels font référence les sociétés sous le terme de budgétisation des investissements sont des problèmes de politique générale… La gestion de ces 3 processus relève du management général plutôt que des spécialistes de finance ». Il s’agit également d’une réponse, au moins partielle, aux interrogations de Pinches (1982, p. 6) quant à la pertinence des approches financières : « …je suis relativement pessimiste en raison de l’importance des efforts en temps et en énergie consacrés à la création de techniques analytiques sophistiquées pour résoudre des problèmes par nature très spécifiques et/ou bien structurés. En se focalisant sur ces problèmes définis de façon étroite, tant les chercheurs que les praticiens ont négligé de porter leur attention à la question principalement stratégique de l’adéquation entre les techniques de budgétisation des investissements et le processus réel d’allocation des ressources utilisé en pratique ». De façon à rendre compte de l’évolution de l’approche économico-financière de l’investissement nous rappellerons la représentation financière néoclassique avant de présenter le paradigme de la finance organisationnelle. Ce dernier, même s’il s’écarte fortement de la théorie traditionnelle néoclassique pure, qui se réduit à être une théorie des prix des actifs, fait le plus souvent référence à cette dernière pour analyser les décisions financières et, en particulier, la décision d’investissement. Pour le présenter, nous montrerons, dans un premier temps, en quoi il constitue une altération de la théorie financière traditionnelle. Dans un second temps, et après avoir présenté les deux branches de la théorie financière organisationnelle, nous tenterons de dresser un bilan de ses apports. 1. La décision d’investissement dans la théorie financière néoclassique Afin de préciser le statut de la décision d’investissement au sein de la théorie financière néoclassique, il est nécessaire, au préalable, de présenter les fondements de cette conception, ainsi que les principaux éléments qui la constituent, à savoir, notamment, sa configuration, selon que le risque soit ou non intégré. 1.1. Les fondements de la théorie financière néoclassique La théorie financière néoclassique ne poursuit pas directement un objectif d’explication des décisions d’investissement des organisations ; elle cherche à prescrire des règles normatives visant à choisir les investissements optimaux, l’objectif poursuivi étant de maximiser la richesse des actionnaires, considérés comme les propriétaires exclusifs de la firme : ils détiennent seuls et complètement les droits 4 de prendre les décisions d’investissement (et de désinvestissement) ainsi que ceux de s’approprier les flux issus des investissements (après rémunération des autres facteurs de production). Conformément à cet objectif, la théorie propose le critère de la valeur actuelle nette (désormais la VAN) qui constitue une mesure de la richesse créée pour les actionnaires. Ce critère permet, soit de déterminer le niveau optimal d’investissement s’il est possible de représenter l’ensemble des opportunités d’investissement sous forme d’une courbe continue – mettant en relation les flux issus des investissements et les montants investis –, soit de décider de l’acceptabilité d’un investissement, soit encore, en situation de rationnement exogène des capitaux, de choisir entre différents projets. Dans le premier cas, le niveau d’investissement est optimal : on maximise la valeur créée pour les actionnaires lorsque le supplément de VAN apporté par le franc marginal d’investissement est nul. Dans le second cas, un projet est acceptable et doit être entrepri s s’il contribue positivement à accroître la richesse des actionnaires, c’est-à-dire si sa VAN est positive. En cas de rationnement des capitaux, le choix de l’enveloppe de projets se fait de façon à maximiser la somme des VAN de ces projets, les VAN étant additives 2. Cette approche normative s’appuie sur une représentation qui suppose un certain nombre d’hypothèses portant sur les acteurs, les marchés et le mode de création de valeur via l’investissement : • Premièrement, cette représentation repose implicitement sur un modèle faisant intervenir deux ou trois classes d’acteurs (actionnaires, dirigeants et éventuellement créanciers financiers) selon que les flux issus de l’investissement sont supposés risqués ou non. Ces acteurs sont dotés d’une rationalité illimitée, substantielle. Les dirigeants gèrent uniquement dans l’intérêt des actionnaires et les contrats sont complets. • Deuxièmement, les marchés financiers, sur lesquels s’échangent les titres (actions ou créances) sont parfaitement concurrentiels e t efficients informationnellement. Il n’y a pas de coûts de transaction. Dans l’hypothèse d’un rationnement des capitaux, on suppose cependant une inefficience. 2 Le fait que les VAN soient additives ne signifie pas qu’il y ait contradiction avec les approches stratégiques, notamment celles qui sont fondées sur les compétences. Cette propriété n’implique pas qu’il y ait indépendance des projets et que les effets de synergie soient ignorés. Ce résultat est lié au mode d’évaluation même de la VAN qui est différentiel et incrémental. Tant le montant de l’investissement que les flux d’exploitation sont toujours évalués de façon différentielle par rapport à l’existant et tant les synergies que les effets uploads/Finance/ l-x27-approche-economique-de-l-x27-investissement.pdf
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- Publié le Apv 16, 2021
- Catégorie Business / Finance
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