Tom Hodgkinson L’ART D’ÊTRE OISIF … dans un monde de dingue Traduit de l’anglai

Tom Hodgkinson L’ART D’ÊTRE OISIF … dans un monde de dingue Traduit de l’anglais par CORINNE SMITH ÉDITIONS LES LIENS QUI LIBÈRENT À Gavin Hills, lui qui savait vivre. Préface Il y a quelques années, j’en ai eu assez de la vie londonienne. J’ai appelé mon éditeur et je lui ai proposé un sujet de livre qui me tenait à cœur depuis longtemps. Ce projet fut accepté. J’ai donc quitté mon travail lucratif dans le monde de la publicité, j’ai déménagé avec ma compagne et nos deux très jeunes enfants dans une fermette délabrée en location au milieu de nulle part. Nous n’avions pas de télévision ni de chauffage central. Les murs étaient tapissés de papier peint en fibre de bois. Je passais les matinées à écrire et les après-midi à couper du bois et à essayer de cultiver des légumes. Et les soirées à boire de la bière et à lire. Je m’imaginais être comme George Orwell vivant sur l’île écossaise de Jura, ou Henry David Thoreau au bord de l’étang de Walden. Chaque matin, une pile de livres d’occasion arrivait par la poste. J’ai étudié l’histoire de l’éthique du travail et des combats contre l’exploitation capitaliste aux XIXe et XXe siècles, tout en regardant les vaches par la fenêtre. J’ai lu Paul Lafargue, le gendre le moins travailleur de Karl Marx, et les situationnistes comme Guy Debord qui avait écrit : « Ne travaillez jamais » sur les murs de Paris en 1953. J’ai aussi appris à cuire mon pain et à faire du vin à partir de mes panais. Le livre que vous tenez entre les mains tente d’échafauder une éthique de la paresse. J’essaie de montrer comment bien vivre, comment vivre librement, en théorie et en pratique. Le but de la philosophie, depuis son invention par Socrate, est de reprendre le contrôle de nos vies, confisquées par ceux qui ont argent et pouvoir. Nos dirigeants aimeraient nous faire croire que la vie est une affaire de compétition et de profit, alors que nous, les philosophes, savons qu’elle est une histoire d’amour, de livres et de vin. Être paresseux signifie prendre du temps pour la vraie vie. C’est résister à la doctrine du travail acharné qui, comme le disait Nietzsche, est la doctrine de l’esclave. Les paresseux sont véritablement libres : ils ont échappé aux menottes de l’esprit forgées par les patrons. Être paresseux, c’est être vous-même. C’est reprendre le contrôle de votre vie. La situation dans le monde prétendument réel a empiré depuis que j’ai écrit cet ouvrage. Ces dernières années, les réseaux sociaux sont apparus. Ces systèmes publicitaires se sont développés de façon effarante. Inventés pour faire de l’argent par de jeunes Américains libertariens gavés des doctrines malfaisantes d’Ayn Rand (1905-1982), les réseaux soi-disant sociaux exploitent notre désir naturel de… sociabilité. Ils convertissent nos relations et nos liens amicaux en biens à vendre à des entreprises à la recherche de nouveaux clients et à des partis politiques souhaitant gagner aux élections. Plus vous fournissez de données aux réseaux sociaux, plus ils font de l’argent. L’étude de nos comportements personnels a permis aux commerciaux de dessiner une image plus précise de nous-mêmes et a généré une nouvelle rhétorique. Ainsi, en lieu et place de l’adage antique : « Connais-toi toi-même », gravé sur le fronton du temple de Delphes, est apparue cette nouvelle et terrifiante idée : « Connais les autres. » Et nous sommes devenus complices de ces profiteurs, imbéciles que nous sommes. Exploitant notre vanité et notre peur du néant, Facebook, Google et consorts ont réussi à réaliser d’immenses profits pour eux-mêmes et leurs actionnaires. Avec ces profits, ils rachètent d’autres firmes et accroissent ainsi leur puissance. Entre-temps, nous travaillons trop et nous passons les heures où nous ne sommes pas au bureau à consulter nos smartphones. Le travail est donc aujourd’hui partout. Un récent dessin dans le New Yorker montrait un jeune homme mal rasé assis dans son lit avec un ordinateur portable, avec comme légende : « Les week-ends, j’aime me relaxer en travaillant chez moi. » Cela n’aurait pas dû se passer ainsi. Dans les années 1930, durant la Grande Dépression, l’économiste John Maynard Keynes écrivit un essai intitulé Lettre à nos petits-enfants [1]. Il prédisait que les progrès de l’efficacité technique aboutiraient à une semaine de quatre jours. Nous n’y sommes pas vraiment. Mais si tous ces geeks, au lieu de faire de l’argent en investissant dans des monopoles exploiteurs comme Facebook ou Uber, réfléchissaient un tant soit peu, il n’y aurait pas de raison que cela ne marche pas. C’est déjà le cas dans certains pays dans le monde. Mais l’intention de Keynes est surtout de défendre l’importance du loisir et de ce que les Grecs appelaient la scholè, c’est-à-dire un temps pour philosopher et s’instruire. « Trop longtemps, on nous a formés pour l’effort, contre le plaisir, écrit-il. Je nous vois donc libres de revenir aux principes les plus sûrs de la religion et de la vertu traditionnelles : la cupidité est un vice ; l’usure est un délit ; l’amour de l’argent est exécrable. » Un jour viendra, dit Keynes, où nous saurons « honorer ceux qui peuvent nous apprendre à bien cueillir, vertueusement, l’heure et le jour, les êtres charmants qui savent prendre plaisir aux choses, les lis des champs qui ne travaillent ni ne filent. » La paresse est une compétence importante. Elle est non seulement agréable en elle-même mais aussi profondément salvatrice. Elle donne toute la liberté à notre corps et à notre esprit pour se guérir. Trop de travail détruit nos vies. La paresse les restaure. N’entretenons pas l’illusion que les réseaux sociaux sont un loisir : il s’agit bien d’une forme de travail. Un travail gratuit, que nous effectuons pour les propriétaires de ces réseaux. Nous leur racontons tout sur nous-mêmes, nous leur livrons nos « données », selon le jargon actuel, en contrepartie du plaisir douteux d’être « likés ». Nous nous soumettons vingt-quatre heures sur vingt-quatre à la surveillance du panoptique moderne, et nous appelons cela la liberté. Tous ces réseaux sociaux sont une forme d’esclavage abjecte. Le médium est le message. Le message des réseaux sociaux est : soyez frénétiquement actifs. Plus nous aimons, détestons, mettons à jour, chargeons, cliquons et entrons nos codes secrets, plus nos seigneurs technologiques s’enrichissent. Les gens en colère cliquent plus que les autres. Les réseaux sociaux aiment les insultes. Si vous voulez paresser davantage, je vous suggère donc de supprimer vos comptes sur les réseaux sociaux. Le sentiment de libération qui s’ensuivra est assez revigorant. Afin de reprendre le pouvoir, ignorons la Silicon Valley. Ne l’attaquons pas de front, car cela risque de la renforcer. Ignorons-la comme on ignore les jeux idiots de garnements. Détournons la tête et lisons un livre ou buvons une bière. Pour paresser, il faut de l’organisation, de la détermination, de la confiance et de l’audace. Nous devons apprendre à paresser avec élégance. Et cet ouvrage vous fournira de nombreuses justifications tirées de l’histoire et des réflexions des plus grands esprits… pour ne rien faire. Après tout, le Christ ou Bouddha ont-ils travaillé ? Ce livre tente de prouver que la paresse est belle et digne. Elle est profondément libératrice. Nous devons affirmer notre noblesse et notre droit à paresser dans les squares, les rues, les espaces publics. En ne faisant rien, tout simplement. 1. Keynes, John Maynard, Lettre à nos petits-enfants, traduit de l’anglais par Françoise et Paul Chemla, Éditions Les Liens qui Libèrent, 2017. 8 heures Du réveil « Paressons en toute chose, hormis en aimant et en buvant, hormis en paressant. » Gotthold Ephraim Lessing, La Paresse, 1771. Je me demande si Benjamin Franklin, ce laborieux agent rationaliste de l’industrie américaine, s’est douté du malheur qu’il apportait dans le monde lorsque, dès 1757, animé d’un zèle tout puritain, il popularisa cet aphorisme : « Se coucher de bonne heure et se lever matin procure santé, fortune et sagesse. [1] » C’est plat et, surtout, faux. Dès notre plus tendre enfance, nous subissons, hélas, la tyrannie de ce mythe moralisateur selon lequel il serait bien, juste et bon de sauter du lit dès notre réveil afin d’accomplir un travail utile aussi rapidement et joyeusement que possible. En ce qui me concerne, je me souviens très bien des hauts cris de ma mère destinés à me faire lever le matin. Alors que je restais allongé comme un bienheureux, les yeux fermés, essayant de m’accrocher à un rêve s’évanouissant, faisant de mon mieux pour ignorer ses cris, j’essayais de calculer le minimum de temps requis pour me lever, prendre mon petit déjeuner et arriver à l’école juste avant le début des classes. Je dépensais des trésors d’ingéniosité pour profiter de quelques moments supplémentaires de sommeil. C’est ainsi que le paresseux apprend son métier. Les parents se chargent d’initier le processus de lavage de cerveau, et l’école prend le relais pour vous endoctriner plus encore au sujet de la nécessité de se lever tôt. Mon sentiment de culpabilité quant au uploads/Finance/ l-x27-art-d-x27-etre-oisif-dans-un-monde-de-dingue-by-hodgkinson-tom 1 .pdf

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  • Publié le Aoû 18, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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