Le Commerce des promesses DU MÊME AUTEUR Géopolitique des ressources minières E

Le Commerce des promesses DU MÊME AUTEUR Géopolitique des ressources minières Economica,1983 Radioscopie du Japon (en collaboration) Economica,1987 L'Économie mondiale des matières premières La Découverte, 1989 L'Inégalité du monde Économie du monde contemporain Gallimard, 1996 Économie, le grand satan? (entretiens avec Philippe Petit et Thérèse Giraud) Textuel, 1998 PIERRE-NOËL GIRAUD Le Commerce des promesses Petit traité sur la finance moderne ÉDITIONS DU SEUIL COLLECTION DIRIGÉE PAR JACQUES GÉNÉREUX « ÉCONOMIE HUMAINE» Par« Économie humaine », nous entendons exprimer l'adhésion à une finalité et à une méthode. La seule finalité légitime de l'économie est le bien-être des hommes, à commencer par celui des plus démunis. Et, par bien-être, il faut entendre la satisfaction de tous les besoins des hommes; pas seulement ceux que comblent les consommations marchandes, mais aussi l'ensemble des aspirations qui échappent à toute évaluation monétaire: la dignité, la paix, la sécurité, la liberté, l'éducation, la santé, le loisir, la qua- lité de l'environnement, le bien-être des générations futures, etc. Corollaires de cette [matité, les méthodes de l'économie humaine ne peuvent que s'écarter de l'économisme et du scientisme de l'économie mathématique néoclassique qui a joué un rôle central au XXe siècle. L'économie humaine est l'économie d'un homme complet (dont l'individu maximisateur de valeurs marchandes sous contrainte n'est qu'une caricature), d'un homme qui inscrit son action dans le temps (et donc l'histoire), sur un territoire, dans un environnement familial, social, culturel et poli- tique; l'économie d'un homme animé par des valeurs et qui ne résout pas tout par le calcul ou l'échange, mais aussi par l'habitude, le don, la coopération, les règles morales, les conventions sociales, le droit, les institutions politiques, etc. L'économie humaine est donc une économie historique, politique, sociale, et éco- logique. Elle ne dédaigne pas l'usage des mathématiques comme un langage utile à la rigueur d'un raisonnement, mais refuse de cantonner son discours aux seuls cas où ce lan- gage est possible. Au lieu d'évacuer la complexité des sociétés humaines (qui ne se met pas toujours en équations), l'économie humaine s'efforce de tenir un discours rigoureux intégrant la complexité, elle préfère la pertinence à la formalisation, elle revendique le sta- tut de science humaine, parmi les autres sciences humaines, et tourne le dos à la préten- tion stérile d'énoncer des lois de la nature à l'instar des sciences physiques. Le projet de l'économie humaine est un projet ancien, tant il est vrai que nombre des fondateurs de la science économique ont pensé celle-ci comme une science histo- rique, une science sociale, une science morale ou encore psychologique. Mais ce projet est aussi un projet contemporain qui constitue le dénominateur commun de bien des approches (post-keynésiens, institutionnalistes, régulation, socioéconomie, etc.) et de nombreuses recherches (en économie du développement, de l'environnement, de la santé, des institutions; en économie sociale, etc.). Nous nous proposons d'accueillir ici les essais, les travaux théoriques ou descriptifs, de tous ceux qui, économistes ou non, partagent cette ambition d'une éco- nomie vraiment utile à l'homme. Jacques Généreux ISBN 2-02-0381 10-9 © ÉDITIONS DU SEUIL, JANVIER 2001 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. www.seuil.com Avant-propos « Dors maintenant, c'est lui qui ne dort pas » A u temps des tsars, dans une chambre sur cour du quartier juif de Simferopol (Crimée), en pleine nuit, Moïshe, incapable de trouver le sommeil, se tourne et se retourne dans son lit. Rachel, sa femme, finit par lui demander: - Qu'as-tu, mon cher mari, qu'est-ce donc qui te tourmente ainsi? - Je ne veux pas t'inquiéter, dit Moïshe. - Si, dis-le-moi, je veux tout partager avec toi. - Connais-tu Samuel, notre voisin d'en face? - Bien sûr, je le connais. - Eh bien, je dois lui rendre mille roubles demain matin, et je ne les ai pas. - Ce n'est que cela? dit Rachel. Elle se lève, ouvre la fenêtre et appelle Samuel dans la nuit, à travers la cour endormie. - Samuel, Samuel! - Que se passe-t-il, crie Samuel, surgissant à sa fenêtre, très inquiet. Les Cosaques? Un pogrom? - Non, Samuel, rassure-toi. Tu connais mon mari, Moïshe? - Oui, je le connais, bien sûr! - Tu sais qu'il te doit mille roubles? - Et comment! Il doit me les rendre demain. J'y compte bien car j'en ai absolument besoin. - Eh bien, mon cher Samuel, il ne te les rendra pas, car il ne les a pas. 7 AVANT-PROPOS Et Rachel ferme la fenêtre, se recouche et dit à son mari : - Dors maintenant, c'est lui qui ne dort pas. C'est une des histoires que je préfère. J'aime sa profonde sagesse et son humanité. Elle énonce une évidence: une créance, telle celle de Samuel sur Moïshe, n'est jamais qu'une simple pro- messe de recevoir de l'argent dans l'avenir. Rien ne permet d'être absolument sûr que cette promesse sera tenue, car de l'avenir nul ne peut être certain. La fmance dans son ensemble n'est donc jamais qu'un «commerce de promesses ». Considérer cette évidence avec attention m'a conduit aux deux questions qui sont à l'origine de ce livre. La finance fait donc commerce de promesses. Est-il assuré que ces promesses de revenus futurs ne sont pas excessives par rapport à ce que sera réellement la richesse future? Si c'était le cas, un « mistigri », telle la mauvaise carte du jeu du même nom, circulerait en permanence dans la sphère financière. Ce mistigri, ce sont les promesses de revenus futurs dont il est certain qu'elles ne pourront être honorées. Mais, bien sûr, sauf à l'échéance, personne ne sait qui le détient. Il existe, il circule, mais chacun espère qu'il finira entre les mains d'un autre. Si Moïshe ne peut rembourser, c'est que l'emprunt auprès de Samuel a été investi dans de mauvaises affaires, qui n'ont pas créé assez de richesses pour permettre de le rembourser avec intérêts. Rachel ne fait qu'annoncer en pleine nuit à Samuel, juste avant l'échéance, que c'est lui désormais qui détient la mauvaise carte. En créant des droits en excès sur la richesse future, la finance serait alors une cause permanente de conflits de répartition, éventuellement violents. Elle engendrerait et ferait circuler précarité et angoisse. L'angoisse que Rachel, dans sa sagesse, a simplement transférée d'une chambre à l'autre, la déplaçant là où dorénavant elle devait être. Faisant commerce de promesses, la finance est donc un lieu où se confrontent des « visions» de l'avenir. Les acteurs de la finance n'agissent qu'en fonction d'« anticipations ». C'est ce qu'il anti- cipe de l'avenir qui décide un ménage à épargner, un industriel à emprunter ou à émettre des actions pour investir, un individu quel- conque à vendre ou à acheter des titres financiers. Si Samuel a 8 AVANT-PROPOS prêté mille roubles à Moïshe, c'est qu'il pensait que ce dernier allait continuer à être un négociant solide. Si Moïshe a emprunté, c'est pour financer une affaire qu'il pensait profitable. Les deux se sont trompés. Mais, réciproquement, si Samuel n'avait pas eu confiance en Moïshe, alors que Moïshe avait identifié une affaire réellement rentable, une richesse potentielle n'aurait pas été créée. La question est donc: quelle est la nature de cette pensée de l'avenir qui détermine les actes sur les marchés financiers? Com- ment se forme-t-elle? S'enracine-t-elle dans l'observation du passé? N'en est-elle qu'une simple extrapolation? Ou a-t-elle une plus large autonomie? Si c'était le cas, alors cette pensée serait agissante. La pensée de l'avenir façonnerait l'avenir. La distinction très répandue entre une sphère « réelle », celle de la production, et une sphère financière qui n'en serait que le reflet serait alors peu pertinente. Tout aussi peu pertinente serait l'inter- prétation, en apparence opposée, d'une finance purement « vir- tuelle », simple casino où ce qui se joue n'a que peu de rapports avec la réalité du labeur humain, seul producteur de richesse réelle. La finance manifesterait au contraire avec éclat qu'en économie, la pensée des acteurs est une dimension essentielle de la réalité. C'est pourtant ce que la théorie économique a le plus grand mal à admettre, elle dont tout l'effort consiste à ramener des rapports entre les hommes à des rapports entre des choses. Cela expliquerait pourquoi la théorie économique est si souvent embarrassée par la finance 1. Embarrassé, je le fus au premier chef par ces questions. J'ai en effet publié, en 1996, un livre d'économie: L'Inégalité du monde 2. Il propose une interprétation des grandes évolutions historiques des inégalités économiques entre territoires et au sein de chaque territoire. Il analyse les conséquences de la globalisation actuelle sur les inégalités sans faire référence, sauf de façon très secon- 1. Notons qu'au plan académique, la finance est une discipline rattachée à la « gestion» et non aux « sciences économiques ». 2. Pierre-Noël Giraud, L'Inégalité du monde. Économie du monde contem- uploads/Finance/ le-commerce-des-promesses-petit-traite-sur-la-finance-moderne-pdf.pdf

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  • Publié le Jul 14, 2021
  • Catégorie Business / Finance
  • Langue French
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