Ce document est extrait de la base de données textuelles Frantext réalisée par

Ce document est extrait de la base de données textuelles Frantext réalisée par l'Institut National de la Langue Française (INaLF) [Le] commerce et le gouvernement considérés relativement l'un à l'autre [Document électronique] : ouvrage élémentaire / par M. l'abbé de Condillac p1 le commerce et le gouvernement considérés relativement l' un à l' autre d' après des suppositions. presqu' entiérement semblables les uns aux autres par les besoins qui sont une suite de notre conformation, nous différons sur-tout par les besoins qui sont une suite de nos habitudes, et qui, se multipliant à proportion du progrès des arts, développent par degrés notre sensibilité et notre intelligence. Bornés aux besoins que j' ai nommés naturels, les peuples sont comme abrutis. Il semble que rien n' appelle leurs regards : p2 à peine sont-ils capables de faire quelques observations. Mais leur vue se porte sur de nouveaux objets, à mesure qu' ils se font de nouveaux besoins. Ils remarquent ce qu' ils ne remarquoient pas auparavant. On diroit que les choses ne commencent à exister pour eux, qu' au moment où ils ont un intérêt à savoir qu' elles existent. Quelqu' avantageux que soit ce progrès, il seroit dangereux pour un peuple de se piquer de trop de sensibilité, et de n' avoir une surabondance d' esprit que pour l' appliquer à des choses frivoles. Voilà cependant ce qui arrive par-tout où les besoins se multiplient à l' excès. Alors, jouet plus que jamais des circonstances qui changent continuellement, un peuple change continuellement lui-même, et s' applaudit de tous ses changemens. Ses usages se combattent, se détruisent, se reproduisent, se transforment : toujours différent de lui-même, il ne sait jamais ce qu' il est. Il se conduit au hasard d' après ses habitudes, ses opinions, ses préjugés. Il ne songe point à se réformer : il ne pense pas en avoir besoin. Préoccupé de ce qu' il croit être, les loix ou les abus, l' ordre ou le désordre, tout semble lui être égal ; et son illusion est telle, qu' il p3 s' imagine voir sa prospérité dans les choses mêmes qui prouvent sa décadence. Est-ce en combattant directement les usages d' un pareil peuple, qu' on pourroit se flatter de l' éclairer ? Il est trop aveuglé, et ses yeux se refuseroient à la lumiere, dès qu' elle lui montreroit des vérités qu' il ne veut pas voir. Afin donc qu' il jugeât de ses erreurs, il faudroit qu' il ignorât que ce sont les siennes. Or on pourroit, par des suppositions, essayer de les lui montrer dans d' autres peuples, où il auroit quelque peine à se reconnoître. On pourroit au moins lui faire voir sensiblement les avantages dont il se prive, si on lui faisoit remarquer ceux dont jouiroit un peuple qui n' auroit pas ses préjugés. C' est ce que je me propose dans cette seconde partie. Cette méthode est d' ailleurs l' unique moyen de simplifier les questions trop compliquées qui se font sur le commerce, considéré par rapport au gouvernement ; et il faut les simplifier, si on veut les traiter avec précision. CHAPITRE 1 p4 répartition des richesses, lorsque le commerce jouit d' une liberté entiere et permanente. je suppose que le pays qu' occupe notre peuplade, est grand comme l' Angleterre, la France, l' Espagne, ou comme ces trois royaumes ensemble. Il faut qu' il ait une certaine étendue, et que le commerce trouve un fonds considérable dans la variété des productions que les provinces auront besoin d' échanger. Ce pays est rempli de hameaux, de villages, de bourgs, de villes. C' est une multitude de cités libres, qui se gouvernent à-peu-près par les mêmes loix ; et qui se souvenant de leur origine, se regardent comme une seule et même famille, quoiqu' elles forment déja plusieurs peuples. Tous ces peuples, occupés de l' agriculture et des arts qui s' y rapportent, ou qui tendent à la faire fleurir, menent une vie simple, et vivent en paix. p5 Les magistratures sont, pour les citoyens, le dernier terme de l' ambition, et aucun d' eux n' a encore imaginé d' aspirer à la tyrannie. Ces peuples ne connoissent ni les péages, ni les douanes, ni les impôts arbitraires, ni les privileges, ni les polices qui gênent la liberté. Chez eux, chacun fait ce qu' il veut, et jouit librement des fruits de son travail. Enfin ils n' ont point d' ennemis, puisque nous les avons placés dans un pays inaccessible à toute nation étrangere. Voilà les suppositions d' après lesquelles on peut se faire une idée de ce que j' entends par un commerce qui jouit d' une liberté entiere. Il s' agissoit uniquement de bien déterminer cette idée ; et il importe peu que quelqu' unes de ces suppositions ne paroissent pas vraisemblables. Pour faire fleurir le commerce dans toutes les provinces où je répands des cités, il faut que, réciproquement de l' une dans l' autre, le surabondant se verse sans obstacle, et qu' il supplée à ce qui manque dans les lieux où il se répand. C' est une espece de flux et de reflux, où les choses se balancent par un mouvement alternatif, et tendent à se mettre au niveau. p6 Chez les peuples que nous observons, la nature seule peut opposer des obstacles au commerce, et on les leve, ou du moins on les diminue. On facilite la navigation sur les rivieres, on creuse des canaux, on fait des chemins. Ces ouvrages qui nous étonnent, parce que nous qui ne faisons rien qu' à force d' argent, nous sommes rarement assez riches pour les entreprendre, coûtent peu à une nation sobre qui a des bras. Elle y voit son intérêt ; elle sent qu' elle travaille pour elle ; et elle exécute les plus grandes choses. Elle n' est pas dans la nécessité d' imposer des taxes, parce que tous contribuent volontairement, l' un de son travail, l' autre de ses denrées, pour fournir à la subsistance des travailleurs. Le transport des marchandises se fait donc avec le moins de frais possibles. Par-tout on a des débouchés pour faire sortir les choses surabondantes : par-tout ces débouchés sont autant de portes pour faire arriver les choses nécessaires ; et, par conséquent, les échanges, entre toutes les provinces, se font toujours avec une facilité égale, autant du moins que la nature du sol le permet. S' il y a quelque différence, elle vient uniquement des obstacles que la nature a mis, p7 et qu' il n' a pas été possible d' applanir également par-tout. Mais où il y a plus d' obstacles, il y a aussi plus d' industrie ; et l' art semble réparer les torts de la nature. Voyons comment, dans un pays tel que celui que je viens de supposer, les richesses se répandent naturellement par-tout. Les campagnes, abondantes chacune en divers genres de productions, sont proprement la premiere source des richesses. Dans les bourgs, dans les villages, dans les hameaux, dans les fermes même, on travaille les matieres premieres pour les rendre propres aux usages du colon qui cultive son champ, ou du fermier qui cultive le champ d' un autre. On y fait des charrues, des jougs, des charriots, des tombereaux, des pioches, des beches ; de grosses toiles, de gros draps, et autres ouvrages qui demandent peu d' art, et qui se consomment aux environs des lieux où ils se fabriquent. Ces manufactures, quelque grossieres qu' elles soient, donnent une nouvelle valeur aux matieres premieres. Elles sont donc autant de canaux, par où la source des richesses se distribue, pour se répandre de côté et d' autre à une certaine distance. p8 Je dis à une certaine distance , parce que les ouvrages qui sortent de ces manufactures, ne sont un fonds de commerce, que pour le canton où elles sont établies. De peu de valeur en eux-mêmes, et devenus chers par les frais de transport, ils ne feroient pas de débit dans les lieux éloignés où on en fait de semblables. Les richesses des villes consistent dans les revenus des propriétaires et dans l' industrie des habitans, industrie dont le revenu est en argent. Ainsi c' est l' argent qui fait la principale richesse des villes, comme les productions font la principale richesse des campagnes. C' est dans les villes que se font les plus grandes consommations. C' est le lieu où les artisans, les plus habiles en tous genres, érigent des manufactures de prix. Ce sont des marchés toujours subsistants, où l' on vient des campagnes acheter les ouvrages qui ne se font pas dans les villages, ou qui ne s' y font pas aussi bien. Voilà les canaux où les richesses en argent circulent en plus grande abondance. Si l' industrie, dans une ville, n' étoit payée que par les propriétaires qui l' habitent, elle n' augmenteroit pas la quantité d' argent qui y circule. Cependant elle p9 le feroit circuler avec plus de vîtesse, et cette vîtesse rendroit la même uploads/Finance/ le-commerce-et-le-gouvernement-consideres-relativement-l-x27-un-a-l-x27-autre-i.pdf

  • 65
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Jui 17, 2022
  • Catégorie Business / Finance
  • Langue French
  • Taille du fichier 3.3340MB