L es auteurs, intéressés par la vie des patrons de PME, en ont rencontré une tr

L es auteurs, intéressés par la vie des patrons de PME, en ont rencontré une trentaine entre septembre 2008 et juin 2009, au cours d’entretiens approfondis, dans certains cas avec leur entourage professionnel et familial. Ils ont limité leur étude aux dirigeants de PME sinon propriétaires de leur entreprise, du moins majoritaires à son capital, et affi chant clairement une volonté de croissance. Ils ont ainsi découvert à quel point la réalité de la vie des PME, et de leur patron, était mal connue, et qu’en France, il est sans doute plus diffi cile d’avoir une stratégie de croissance, tant on renonce diffi cilement aux vertus de la petitesse… Une relation équivoque La défi nition de la PME est ambivalente. Quand l’Europe parle de moins de 250 salariés, la CGPME, par la voix de son fondateur, évoque l’entreprise dans laquelle son dirigeant s’engage tout entier, et risque jusqu’à « son honneur »2. On pourrait suggérer une caractérisation hardie : la PME est l’entreprise dont on juge qu’elle peut (voire doit) être aidée. Cela exprime toute l’ambiguïté de la relation française aux petites entreprises. D’un côté, elles seraient fragiles, souff reteuses, et n’attireraient que peu les bacheliers3 – d’où, bien entendu, une opinion positive dans la société civile, au nom du très français Small is beautiful. La comparaison avec l’Allemagne, sempiternel étalon de notre tissu de PME, montre eff ectivement des entreprises françaises moins performantes à long terme4. D’un autre côté, les PME seraient les héroïnes de l’économie, et recèleraient les réserves les plus substantielles de réactivité et d’innovation, donc, in fi ne de croissance et d’emploi – à nouveau se fait jour la nécessité de les soutenir, non plus pour ce qu’elles sont, mais pour ce qu’elles pourraient devenir… Le patron méconnu ? Dans une PME, le patron est particulièrement consubstantiel de sa société, dont il est souvent l’ingénieur, le commercial, le fi nancier, le stratège. Et pourtant, il se dit méconnu. Méconnu des médias, dont l’espace est hypertrophié par les grands patrons et leurs scandales à sept chiff res. Méconnu dans l’opinion publique, malgré sa sympathie pour les petites entreprises. Méconnu du législateur, dont les règlements pléthoriques sont particulièrement inadaptés au quotidien d’une petite entreprise. Et même des recherches académiques, peu nombreuses sur les patrons de PME alors qu’elles abondent sur les PME elles-mêmes. Méconnu en un mot dans ses attentes. Si le patron doit, pour la société civile, conjuguer responsabilité sociale locale avec vocation à la croissance macroéconomique – c’est le fameux dilemme Wal- Mart 5– quid de ses objectifs propres ? La Gazette DE LA SOCIÉTÉ ET DES TECHNIQUES Publication des Annales des mines avec le concours du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et de l’École nationale des mines de Paris N°55 . BIMESTRIEL JANVIER 2010 « Se défi er du ton d’assurance qu’il est si facile de prendre et si dangereux d’écouter » Charles Coquebert Journal des mines n°1 Vendémiaire An III (1794) Le patron de PME, ou le syndrome de Peter Pan Alors que la sortie de crise est encore incertaine, que la situation des entreprises reste instable et le marché de l’emploi délabré, les puissances publiques entendent profi ter des mutations du paysage économique mondial pour off rir aux entreprises nationales les conditions et soutiens nécessaires à leur développement pérenne. Au cœur des réfl exions, les PME, qui recèleraient les plus substantielles réserves de réactivité, d’innovation, et donc de croissance. Laquelle croissance est tacitement supposée être l’objectif principal de leur dirigeant… Mais l’est-elle vraiment ? C’est la question que se sont posée trois ingénieurs des Mines au terme de leur mémoire de troisième année de formation au Corps des mines.1 2 . La Gazette de la Société et des Techniques - N°55 - Janvier 2010 L’essence de notre travail a été d’analyser le faisceau de contraintes discordantes qui s’exerce sur le patron de PME. Cela nous amènera à suggérer que ces rets sont si forts qu’ils entravent l’action économique et déforment progressivement les attentes du dirigeant, qui sont fi nalement éloignées de celles auxquelles on pouvait s’attendre. Laissez-nous ainsi vous conter l’histoire de Lucien, patron fi ctif mais réaliste qui combine beaucoup des caractéristiques des dirigeants que nous avons rencontrés – puissent-ils ici être à nouveau remerciés ! Chap. 1 - Les aspirations d’un narcissique Il était une fois un jeune homme angoumoisin, bien fait de sa personne, travailleur et visionnaire, mais que la lecture de trop de romans de chevalerie avait rendu un peu narcissique. Après une expérience ratée dans une grande entreprise, où jamais il ne se sentit assez considéré, Lucien, car c’était son nom, prit un soir la pleine lune à témoin : il serait patron de PME, construirait de toute pièce sa société, et leur montrerait, à tous ! Il serait, enfi n, indépendant… Ah, choisir la voie héroïque, franchir seul tous les Ponts de l’Epée économiques, être martyr parmi les salariés indolents… Eh puis, son entreprise ne serait-elle pas son œuvre, le miroir où refl éter ses aspirations ? Et grâce à elle, il pourrait crocheter les serrures de tous les Rotary de la ville… Déjà il se voyait en rêve, ventripotent et chamarré de décorations, faire assaut de rhétorique dans un vibrant discours d’encouragement à de jeunes épigones… Chap. 2 - Un homme-orchestre désaccordé Une fois sa grande résolution prise, Lucien alla vite en besogne. Il était ancien chef d’équipe dans un bureau d’étude, il monta une petite société visant un marché de niche dont les aspects techniques ne lui étaient pas étrangers. Trois contrats de travail plus tard, il était prêt à en découdre avec ses compétiteurs ; et en équipe ! Bien sûr, il restait le technico-commercial de la société ; à la fois ingénieur en chef, et seul négociateur. Et qu’importe s’il n’était pas un expert, et d’ailleurs plutôt timide face à un client ; il lui fallait bien s’aguerrir ! Naturellement, il ne connaissait pas grand-chose à la comptabilité, mais est-ce si rédhibitoire dans une société nouvelle-née ? L’école, certes, ne lui avait pas appris ce métier, pas plus qu’à trouver son chemin dans les dédales du code du travail, mais au diable les scrupules ! N’avait-il pas une petite expérience de management de proximité ? Il était grisé par l’indépendance qui emportait ses anciennes frustrations. Homme-orchestre, il avait tous les instruments de l’entreprise en main. Et bien qu’ils fussent tous un peu désaccordés, au point qu’il se demandait parfois desquels il savait vraiment jouer, il n’était pas question de céder quoi que ce soit de la partition à un interprète tiers. Il n’avait tout de même pas choisi ce métier pour s’aliéner dès le début cette indépendance à laquelle il aspirait ! Chap. 3 - De la fausse note au chef d’orchestre Puis, pour la plus grande satisfaction de Lucien, les carnets de commande s’emplirent, la société crût, la liste des collaborateurs s’allongea. Malgré un conducteur qui s’étoff ait, notre homme-orchestre persévérait dans son rôle, de plus en plus exigeant. Jusqu’à ce qu’un jour, à une grosse bêtise dans un contrat, qui réclamait un voyage immédiat pour New York, s’adjoignît une panne majeure dans l’atelier, que seul Lucien pouvait réparer… Il ne s’inquiéta vraiment qu’un mois après, lorsque le comptable, à qui il avait fallu tout ce temps pour remettre la gestion fi nancière en ordre, lui déclara que la société était passée à six jours de la cessation de paiements… Lucien se dit alors qu’il était peut-être temps de déléguer. Il passa plusieurs nuits sans sommeil, demandant à la lune – la première, on s’en souvient, à avoir appris qu’il voulait devenir patron – si vraiment il pouvait accueillir de nouveaux venus dans son entreprise. Ils allaient certainement le remettre en cause, éclipser un peu son autorité (même s’il n’était pas d’un naturel autoritaire), rogner son indépendance ! Encore fallait-il trouver des profi ls compétents ! Et notre héros de gratifi er une nouvelle fois l’obscurité d’imprécations contre ces grands groupes, plus armés que les PME pour attirer les meilleurs. Chap. 4 - Proximité ? Pourtant, Lucien fi nit par recruter, avec un certain succès, un directeur d’atelier, un responsable commercial, et un auxiliaire juridique et fi nancier. C’est à peu près à ce moment de notre histoire qu’il commença à examiner sa façon de manager ses troupes, qui jusqu’ici avait été très spontanée. Il s’était toujours senti très proche de ses salariés – et pour cause, bureaux et ateliers n’ont longtemps occupé que 135 m². Il en connaissait long sur leur famille, ne leur celait rien de ses démarches, et en appelait souvent à leurs sentiments vis- à-vis de la société ou de lui-même pour leur demander des eff orts particuliers. Sa propre franchise (parfois virile, certes…), ainsi que la chance de participer à l’essor d’une entreprise les en dédommageaient. Mais tout de même, cette arrivée de cadres intermédiaires exigeait que la question soit reposée. Car encore jeune, et bien qu’il n’osât prononcer le mot, il avait toujours eu un comportement un peu paternaliste à l’égard de uploads/Finance/ le-patron-de-pme-ou-le-syndrome-de-peter-pan-article-paru-dans-la-gazette-janvier-2010.pdf

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  • Publié le Nov 18, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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