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© Éditions Tallandier, 2020 48, rue du Faubourg-Montmartre – 75009 Paris www.tallandier.com EAN : 979-10-210-3002-2 Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. À mon père Introduction Argent : Cause de tout le mal. Auri sacra fames. Le dieu du jour (ne pas confondre avec Apollon). Les ministres le nomment traitement, les notaires émoluments, les médecins honoraires, les employés appointements, les ouvriers salaires, les domestiques gages. L ’argent ne fait pas le bonheur. Banquiers : Tous riches. Arabes, loups-cerviers1. Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues. Faites le test autour de vous. Demandez à votre entourage quelle est la profession la plus détestée au monde. On vous répondra sûrement les croque-morts, les percepteurs d’impôts ou les huissiers. On vous citera peut-être les politiques et les journalistes. Et, sans aucun doute, les banquiers. Les Français adorent haïr ces hommes qui vivent dans d’autres sphères, concentrent richesse et pouvoir, jouent à la roulette avec notre argent. Ils sont devenus les coupables idéaux : incarnation de l’élite coupée du peuple, symboles de l’arrogance économique et financière, prophètes silencieux du capital sans foi ni loi. Et pour ne rien arranger, ils cultivent une forme de secret qui les rend d’autant plus suspects. Cette défiance n’est pas nouvelle. Elle est ancrée depuis des siècles dans l’opinion publique, et récurrente dans la littérature classique comme dans les œuvres de fiction contemporaines, films, séries ou documentaires. Shakespeare présentait déjà le personnage de Shylock comme un détestable prêteur sur gages pratiquant des taux usuraires dans Le Marchand de Venise. Balzac a dépeint des affairistes impitoyables et sans scrupule, Zola de vils spéculateurs obsédés par « l’argent, l’argent roi, l’argent Dieu, au-dessus du sang, au-dessus des larmes, adoré plus haut que les vains scrupules humains, dans l’infini de sa puissance2 ». Dans Mary Poppins, le bien nommé Mr. Banks est un triste banquier qui exhorte son fils à déposer ses maigres économies sur un compte plutôt que d’acheter des graines pour les oiseaux. Même dans Game of Thrones, la Banque de Fer est une institution qui fait trembler le royaume des Sept Couronnes, renversant les princes incapables de rembourser leurs dettes, assassinant les créanciers qui ont le malheur de leur déplaire… On pourrait multiplier les exemples. Mais rarement le degré d’hostilité à l’égard des banquiers a paru aussi élevé qu’aujourd’hui. Le désastre des subprimes, la plus violente crise qui ait frappé l’économie depuis un siècle, y est évidemment pour beaucoup. Elle a écorné l’image de la profession, comme la série de scandales révélés ces dernières années : manipulations de marchés, conflits d’intérêts, blanchiment d’argent, bonus indécents… Et l’on voit du coup ressurgir de vieux démons, des formules que l’on croyait appartenir à un passé lointain, quand la presse des années 1930 fustigeait la finance « cosmopolite et mondialisée ». Emmanuel Macron se voit renvoyer comme un péché originel ses trois années passées chez Rothschild. Ses adversaires politiques font circuler une caricature qui le représente avec un nez crochu, cigare et chapeau haut de forme, reprenant sans vergogne les codes antisémites de cette époque. Un député du Rassemblement national affirme avec les mêmes relents nauséabonds vouloir faire « rendre gorge » aux banquiers. Une ex-star du football appelle les Français à retirer d’un coup tout leur argent de leurs comptes pour faire plier le système. Quand des manifestants prennent pour cible les agences bancaires, vandalisées et incendiées, il ne se trouve pas grand monde pour défendre les banquiers. Qu’importe que le secteur emploie 400 000 personnes en France et qu’il soit un maillon essentiel de l’économie. On finit par s’accommoder de ces violences, comme on s’habitue aux discours populistes. « Les banques, je les ferme, les banquiers, je les enferme3 », disait déjà l’ex-président de la République Vincent Auriol. Et personne n’a oublié les paroles prononcées par François Hollande au Bourget, quelques mois avant d’accéder à l’Élysée : « Dans cette bataille qui s’engage, je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance4 ! » * * * Journaliste pendant vingt ans, notamment au journal Les Échos, où j’ai couvert l’actualité bancaire et financière, j’ai été aux premières loges pendant les événements les plus marquants du secteur : la bataille qui a opposé BNP à Société générale en France, la chute de Lehman Brothers, la panique financière qu’elle a provoquée, le scandale Jérôme Kerviel, la crise des dettes souveraines… Mais je dois faire une confession : je n’ai jamais vu la finance. En revanche, j’ai croisé nombre de ses visages : dirigeants, traders, gestionnaires de fonds, régulateurs, spécialistes des fusions-acquisitions ou simples banquiers de terrain. À Paris, dans les régions et à l’étranger. Des Français, des Américains, des Britanniques, des Asiatiques. J’ai rencontré des hommes, beaucoup, et des femmes – un peu moins, la profession restant peu féminisée. Des gens souvent très éduqués, brillants, ouverts au monde et fiers d’exercer ce métier. Et d’autres moins respectables, arrogants ou obsédés par l’argent. Des financiers parfois incapables de prendre du recul sur leur profession, d’élargir leur focale et de reconnaître les dérives du système. Mais cet adversaire évoqué par François Hollande, cet ennemi qui gouvernerait silencieusement le monde, ne s’est jamais présenté à moi. Je n’ai pas rencontré le parti des banquiers, pas plus que je n’ai décelé de complot ourdi dans les tours de La Défense, de la City ou de Wall Street. « Une conspiration de banquiers ? L ’idée est absurde5 ! » relevait déjà l’économiste John Maynard Keynes il y a près d’un siècle. La violence des catastrophes financières les plus récentes doit évidemment nous interroger sur le pouvoir des banquiers, leur aventurisme ou leur goût parfois immodéré pour l’argent. Faut-il voir pour autant dans ces dérives une stratégie claire et délibérée ? Keynes n’y croyait pas, qui parlait plutôt de « pulsions suicidaires », ces passions qui aveuglent les financiers et leur font perdre le sens des responsabilités. « Hélas, un banquier “sain” n’est pas quelqu’un qui voit le danger et l’évite6 », regrettait l’économiste britannique avec ironie. Les banquiers ne sont pas les meilleurs juges de leurs propres comportements. Et le drame, c’est que les mémoires des dérives et des crises précédentes s’effacent vite. C’est cette mémoire que j’ai voulu faire revivre en brossant le portrait de ceux qui ont joué les premiers rôles, en tentant de cerner les grandes figures qui ont laissé une trace au cours des derniers siècles. Car le facteur humain est essentiel. Le banquier est celui qui collecte l’argent d’autrui, l’ajoute au sien et l’utilise. Il fait « crédit » aux hommes, aux entreprises ou aux États. Autrement dit, il accorde sa confiance (le mot vient du latin credere qui signifie « croire »). Par sa fonction même, il vit et agit dans le monde. L ’histoire personnelle de ces hommes et de ces femmes tient une grande part dans leurs ambitions et leur volonté d’inventer de nouvelles techniques financières ou de créer des empires bancaires. Leur soif de pouvoir a pu provoquer malheurs et malédictions. Mais c’est aussi à leur désir d’entreprendre qu’on doit le développement des échanges et du commerce, véritables sources de progrès pour l’humanité. Il n’est pas une grande puissance économique, pas une grande civilisation qui n’ait été fécondée par les brasseurs d’argent. L ’Italie de la Renaissance est née avec les Médicis. La révolution industrielle s’est épanouie en Europe avec les Baring et les Rothschild. L ’Amérique s’est construite grâce à John Pierpont Morgan et aux héritiers de Goldman Sachs – et c’est peut-être une crise financière qui signera leur crépuscule. Le philosophe Engels l’avait bien compris : « La basse cupidité fut l’âme de la civilisation, de son premier jour à nos jours, la richesse, encore la richesse, toujours la richesse, non pas la richesse de la société, mais celle de ce piètre individu isolé, son unique but déterminant. Si l’humanité a connu le développement croissant de la science et, en des périodes répétées, la plus splendide floraison de l’art, c’est uniquement parce que, sans eux, la pleine conquête des richesses de notre temps eût été impossible7. » L ’ascension de l’homme est indissociable de celle de l’argent. Ce n’est pas une raison pour laisser les banquiers n’en faire qu’à leur tête, imposer partout leurs règles et leurs lois, sans aucun contrôle ni surveillance. Mais c’est une bonne raison de chercher à les mieux comprendre, à analyser leurs ressorts profonds, leurs trajectoires singulières. Il n’y a pas de grand parti bancaire, il n’y a que de grands – ou de petits – banquiers. Ce livre raconte l’épopée de vingt d’entre eux, vingt personnalités qui ont marqué de leur empreinte le monde économique et financier, qui ont infléchi le cours de l’histoire et façonné nos civilisations. C’est un voyage de cinq siècles dans le monde de la finance, assis sur les épaules de ces « Seigneurs de l’argent ». uploads/Finance/ les-seigneurs-de-largent-des-medicis-au-bitcoin-by-guillaume-maujean-maujean-guillaume.pdf

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  • Publié le Jul 02, 2022
  • Catégorie Business / Finance
  • Langue French
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