Frédéric J Tessier*, Philippe Jacolot et Céline Niquet-Léridon *Enseignant Cher

Frédéric J Tessier*, Philippe Jacolot et Céline Niquet-Léridon *Enseignant Chercheur en Chimie Analytique et Nutrition (HDR), Unité EGEAL, Institut Polytechnique LaSalle Beauvais. La Lettre Scientifique engage la seule responsabilité de ses auteurs. Libre de droits, sous réserve des mentions : Frédéric J Tessier/Conférence du Fonds français pour l’alimentation et la santé «La réaction de Maillard» Lettre scientifique n°10 Conférence du 22 novembre 2012 La réaction de Maillard : cent ans de découvertes scientifiques sur la chimie des aliments et la santé La réaction de Maillard est un sujet de recherche qui connaît actuellement un regain d’intérêt. Cette réaction qui a lieu entre les sucres et les protéines a été décrite pour la première fois, il y a tout juste 100 ans, par un scientifique français plus célèbre à l’étranger que dans son pays : Louis Camille Maillard. C’est à l’occasion de ce centenaire qu’un symposium international a récemment réuni plus de 300 spécialistes du domaine, à Nancy. L ’étude de la réaction de Maillard, et des « composés néoformés » que cette réaction génère, passionne autant les spé­ cialistes du secteur alimentaire que les médecins et biologistes. En effet, cette réaction est très bien décrite dans le secteur agroalimentaire aussi bien pour le contrôle de la formation des arômes de Maillard que pour celui des composés néoformés plus ou moins bénéfiques pour la santé tels que les mélanoïdines, la Nε-carboxyméthyl-lysine et l’acrylamide. Cette réaction, aussi appelée « réaction de glycation » par les biologistes, se produit lors de la cuisson mais aussi à 37°C dans notre organisme. Elle conduit à l’accumulation aléatoire de dommages sur nos tissus. Elle est donc associée au vieillissement physiologique (maladies cardiovasculaires et neurodégénératives…) et aux complications de maladies chroniques telles que le diabète. Mieux connaître cette réaction chimique devrait permettre d’une part, une meilleure maîtrise de la synthèse des composés néoformés au cours de la transformation domestique et industrielle des aliments, et d’autre part, pour les biologistes, le ralentissement du vieillissement normal et la prévention du vieillissement pathologique. 2 Lettre scientifique n°10 - novembre 2012 Découverte de la réaction de Maillard Arthur Robert Ling, chimiste anglais connu pour son travail sur le brassage de la bière, fut probablement le premier à décrire, en 1908, la formation d’arômes et de composés colorés à partir de protéines et de sucres. Mais ce n’est qu’en 1912 qu’un chercheur originaire de Pont-à-Mousson, Louis Camille Maillard, détailla les réactions chimiques qui se produisent entre les sucres et les acides aminés. Dans un article intitulé « Action des acides aminés sur les sucres ; formation des mélanoïdines par voie méthodique », Maillard décrivit le mécanisme de la réaction, la formation de pig­ ments noirâtres contenant des hétérocycles avec atomes d’azote et la réactivité relative des sucres et acides ami­ nés qui en sont à l’origine. Scientifique visionnaire, Maillard présenta plusieurs implications possibles de cette réac­ tion chimique dans différents domaines scientifiques. Il considérait, sans pouvoir le vérifier, que la réaction qui allait porter son nom devait être impliquée dans des domaines aussi variés que l’agronomie, la physiologie et la pathologie humaines, ainsi que la géologie. Suite aux travaux descriptifs de Maillard sur la fixation d’un azote sur un carbone aldéhydique de sucre, plusieurs scientifiques ont poursuivi l’étude des mécanismes réac­ tionnels de la réaction de Maillard. Ce sont d’abord les travaux d’Amadori (1929) suivis de ceux de Kuhn, Dansi et Weygand qui permirent de comprendre que la formation de bases de Schiff (aujourd’hui appelées « imines » par les chimistes) n’était que la première étape de la réaction de Maillard, et qu’elle était suivie d’une seconde étape : un réarrangement conduisant à la formation de 1-amino-1- désoxy-2-cétoses (Kuhn et Dansi, 1936 ; Kuhn et Weygand, 1937). Ces produits relativement stables, aussi appelés produits d’Amadori ou fructosamines, sont formés à partir d’aldoses tels que le glucose. Lorsque le sucre réducteur impliqué dans la réaction est un cétose, il y a alors forma­ tion d’un autre type de produits précoces de la réaction de Maillard : les 2-amino-2-désoxy-aldoses ou produits de Heyns (Heyns et Meinecke, 1953) (Figure 1). Figure 1 : Deux produits précoces et deux produits termi­ naux de la réaction de Maillard (R- : acide aminé libre ou porté par une protéine) C’est en 1953 que fut publié un article de synthèse fon­ damental sur la formation des produits d’Amadori et leur dégradation jusqu’aux produits terminaux de la réaction de Maillard (Hodge, 1953). Aussi surprenant que cela puisse paraître, cet article reste encore la référence pour tous les chimistes du domaine. Il présente une série de réac­ tions complexes telles que des réactions d’oxydation, de scission, d’addition, d’énolisation et de polymérisation conduisant aux mélanoïdines. Bien que complétée pro­ gressivement avec les découvertes structurales des soix­ ante dernières années, la connaissance des voies de syn­ thèse des produits de Maillard a peu évolué. Il est d’ailleurs estimé que seulement 10% des produits ont été identifiés à ce jour. Maillard avait écrit en 1912 qu’il était « …surpris qu’elle [la réaction de Maillard] ne soit pas depuis long­ temps connue dans ses moindres détails ». Il avait alors sous-estimé toute la complexité de sa découverte. Deux domaines majeurs d’application de la réaction de Maillard Parmi les domaines scientifiques concernés par la réac­ tion de Maillard, les applications en chimie des aliments ont toujours occupé une place centrale. C’est en effet en étudiant le brunissement non-enzymatique des aliments au cours de leur transformation et de leur stockage que les premiers travaux de recherche appliquée sur la réaction de Maillard ont été présentés (Patron, 1951). Et c’est essentiel­ lement dans le domaine de la transformation laitière et, plus spécifiquement, dans celui de la préparation et de la con­ servation des poudres de lait que des avancées majeures dans la compréhension de la réaction de Maillard ont été réalisées (Henry et coll., 1948). Un autre thème de la réaction de Maillard qui intéresse fortement l’industrie alimentaire depuis plus de 50 ans est celui des arômes (Hofmann et Schieberle, 1995) et des saveurs (Hofmann, 2005) issus de réactions chimiques entre les sucres et les acides aminés. Ces produits de Maillard, volatils ou non, sont généralement classés parmi les composés dits « désirables », en opposition avec ceux dits « indésirables » car potentiellement toxiques ou tout au moins supposés délétères sur la santé. Parmi ces der­ niers, l’acrylamide, formé par réaction de Maillard dans les aliments et découvert en 2002 par Tareke et coll., a relancé l’intérêt porté aux effets physiologiques ou toxiques des produits néoformés. Un chapitre suivant présente une courte revue de la littérature sur cette molécule et la Nε-carboxyméthyl-lysine (CML), autre produit de Maillard. Même si Maillard avait clairement montré que la réac­ tion entre les sucres et les amines pouvait être observée « après quelques jours à 37°C » et qu’une implication de cette réaction en physiologie humaine était probable, ce n’est que dans les années 1950-1960 que plusieurs équi­ pes scientifiques ont décrit le premier exemple de protéine modifiée par réaction de Maillard in vivo : l’hémoglobine Lettre scientifique n°10 - novembre 2012 3 glyquée extraite d’érythrocytes humains (Kunkel et Wal­ lenius, 1955 ; Allan et coll., 1958). C’est à partir de cette découverte que naquit l’étude de la réaction de Maillard in vivo aussi appelée, dans ce cas, réaction de glycation. Rayonnement et intérêt international pour la réaction de Maillard Le nombre de publications sur la réaction de Maillard dans le domaine de la chimie des aliments est en constante aug­ mentation depuis les années 1970. A elles seules, les publi­ cations sur la formation de l’acrylamide dans les aliments se montent à 274 selon ScienceDirect et 342 selon PubMed (recherche réalisée avec les mots « acrylamide » et « food » dans les titres et résumés des articles publiés depuis 2000). Cependant, comme le montre Thomas Henle dans une revue de la littérature de 2001, le nombre de références sur la glycation en conditions physiologiques a commencé, à partir des années 1990, à dépasser celui des articles sur la réaction de Maillard dans les aliments. Une deuxième étude confirme que les publications utilisant le terme « glycation » sont en plus forte augmentation que celles utilisant le terme «Maillard », respectivement +240% et +75% entre 1994 et 2004 (Gerrard, 2006). Rabbani et Thornalley (2012) com­ plètent ces données et précisent que le nombre annuel de publications sur la glycation est passé d’environ 200 en 1990 à plus de 1500 en 2009. Au total, près de 19 000 publica­ tions sur la glycation ont été répertoriées entre 1979 et 2009. Le deuxième indicateur de l’intérêt que suscite ce domaine scientifique est le nombre croissant de participants aux symposiums sur la réaction de Maillard. La première réunion d’expert s’est tenue en 1979 en Suède et portait essentiellement sur les aspects nutritionnels de la réac­ tion de Maillard dans les aliments. Ce n’est qu’à partir du quatrième symposium, organisé par Nestlé à Lausanne en 1989, que le thème de la glycation en milieu physiologique fut abordé. Après différents symposiums organisés entre l’Europe, les uploads/Finance/ lettre-scientifique-du-fonds-na010-1120121.pdf

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  • Publié le Oct 24, 2022
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