« Les Grands Auteurs en Finance » Michael C. Jensen : le pionnier de la finance

« Les Grands Auteurs en Finance » Michael C. Jensen : le pionnier de la finance organisationnelle Février 2001 Article publié dans Michel Albouy, Les grands auteurs en finance, Editions EMS, 2003, p. 121 à 145. Gérard Charreaux, Professeur à l’Université de Bourgogne Pôle d’économie et de gestion (Iae-Latec) 2, Bd Gabriel, BP 26611 21066 Dijon Cedex Fax: +33 (0)3 80 39 54 88 Email : gerard.charreaux@wanadoo.fr 2 Introduction Michael C. Jensen occupe, sans aucun doute, une place à part parmi les grands auteurs en finance. Non pas par l’importance de sa seule contribution scientifique, compte tenu de la notoriété des autres auteurs présentés dont plusieurs ont reçu le Prix Nobel d’économie, mais plutôt en raison de la nature de ses travaux qui le positionne de façon hétérodoxe par rapport au courant dominant en finance et aussi, vraisemblablement, en raison de son engagement idéologique libéral. Ce dernier a fait que, parfois, ses contributions strictement scientifiques ont pu passer au second plan à cause des polémiques créées et recevoir un accueil injustement critique. De nationalité américaine, Jensen1 a fait ses études à l’Université de Chicago, obtenant successivement un MBA en Finance en 1964 puis un doctorat en économie, finance et comptabilité en 1968. Sa carrière universitaire s’est effectuée dans deux universités américaines. Il débute en 1967 à l’Université de Rochester, au sein de la Graduate School of Management, comme Professeur-assistant et quitte cette université en 1988, après y avoir été, Professeur associé, Professeur puis titulaire d’une chaire de finance et de gestion. Il rejoint alors la Graduate School of Business Administration de l’Université de Harvard où il reste jusqu’à sa retraite en juin 2000, son dernier poste ayant comme support la chaire de « Jesse Isidor Straus Professor of Business Administration ». La variété de ses préoccupations en matière de recherche se retrouve dans celle des enseignements qu’il a dispensés puisqu’au cours de sa carrière il a non seulement enseigné dans les domaines de la finance d’entreprise et des marchés financiers, mais également en économie, en comptabilité, en théorie du contrôle et des organisations et en politique générale. Loin du profil-type de l’économiste financier, souvent associé aux chercheurs en finance, Jensen s’inscrit donc dans une démarche « gestionnaire », caractérisée notamment par deux préoccupations : (1) la non-séparation des dimensions financières des autres dimensions de l’organisation ; (2) un souci permanent que ses travaux soient en prise directe avec le monde des affaires, tant du point de vue explicatif que prescriptif. Au-delà de ses activités d’enseignement, de recherche et de consultation, Jensen a également assumé des fonctions administratives et d’expertise, notamment d’administrateur au sein de conseils d’administration d’entreprises, d’organisations publiques et d’associations académiques ou d’expert judiciaire auprès de différents tribunaux. Plus particulièrement, il a été Président de l’American Finance Association et a fondé le Journal of Financial 3 Economics, le Journal of Financial Abstracts ainsi que les réseaux « Financial Economics Network » et « Economics Research Network », bien connus des chercheurs en finance et en économie. Quelles que soient l’importance de ses activités de gestionnaire de la recherche et son implication dans le monde des affaires – il a été désigné comme l’une des 25 personnes les plus fascinantes du monde des affaires en 1990 par le magazine Fortune – Jensen doit principalement sa réputation à ses contributions scientifiques en finance ce qui lui vaut une place méritée dans cet ouvrage. S’il est possible d’organiser la présentation des travaux de Jensen, en fonction de la distinction traditionnelle entre finance de marché et finance d’entreprise2, un tel schéma nous semble cependant trop étroit pour rendre compte tant de l’importance respective des contributions que de la richesse de leur contenu. D’une part, une telle distinction ne rend pas compte du déséquilibre dans le contenu des travaux, puisque les travaux en finance de marché ont été publiés sur une période relativement brève allant de 1969 à 1978, alors que ceux qui s’inscrivent dans le champ de la finance organisationnelle3 ont débuté en 1976 avec la publication d’un des articles les plus célèbres et les plus influents (au vu du taux de citation) en finance, celui co-écrit avec Meckling, « Theory of the Firm : Managerial Behavior, Agency Costs and Ownership Structure », et se sont développés jusqu’à nos jours. D’autre part, si les travaux en finance de marché ont eu une influence importante sur le développement du domaine, ils ne peuvent cependant être considérés comme des travaux fondateurs au même titre que ceux de Markowitz ou de Sharpe présentés par ailleurs dans cet ouvrage. En revanche, ceux qui sont liés à la finance organisationnelle et qui s’inscrivent dans le projet plus global de développement d’une théorie des organisations, la « théorie positive de l’agence » (désormais la TPA), constituent un programme de recherche original à part entière qui a fortement influencé non seulement la finance, mais également et notamment la recherche en stratégie, en économie des organisations, en droit, en comptabilité et en contrôle de gestion. Au-delà des apports de Jensen à la construction d’une théorie de la finance et, plus généralement, d’une théorie de la gestion des organisations, on ne peut faire abstraction dans cette présentation des aspects idéologiques et méthodologiques de son œuvre dont les 1 L’ensemble des informations relatives au curriculum vitae et aux travaux de M.C. Jensen sont issues de son site internet, http://www.people.hbs.edu/Mjensen/pub1.html. 2 Une telle séparation est proche de la présentation faite par Caby et Hirigoyen (2000) qui retiennent un plan allant de l’efficience des marchés en première partie, à l’efficacité de l’organisation en seconde partie. 4 retombées, notamment normatives, tant pour la recherche que pour la pratique financières, ne peuvent être passées sous silence. Ainsi, la diffusion du critère de la valeur actionnariale comme objectif de gestion trouve en partie son origine dans les écrits normatifs de Jensen, même si celui-ci prône l’adoption d’un objectif plus large en termes de création de « valeur de marché de la firme sur le long terme »4. Cette introduction nous conduit ainsi à présenter successivement les quatre « visages » de Jensen : (1) le chercheur en finance de marché ; (2) le chercheur en finance d’entreprise et en gouvernance ; (3) le théoricien des organisations ; (4) l’idéologue et le méthodologue. 1. Le chercheur en finance de marché L’orientation initiale, en finance de marché, des travaux de Jensen a été très fortement influencée par la réalisation de sa thèse5 « Risk, the Pricing of Capital Assets, and the Evaluation of Investment Portfolios », soutenue en 1967, sous la direction de Eugene Fama, à l’Université de Chicago. Cette thèse s’inscrivait dans le courant né au milieu des années 60 visant à construire un modèle d’évaluation des actifs financiers, à préciser et à tester l’hypothèse d’efficience des marchés financiers et à proposer des outils de gestion aux gérants de portefeuille. Ce courant a constitué une révolution en finance, très bien décrite dans l’ouvrage de Bernstein (1992) et dont les principaux leaders ont été Markowitz, Sharpe et Fama, dont les apports sont présentés dans d’autres chapitres de cet ouvrage. Sans être mineures, comme en témoigne le nombre des travaux qui y font référence, les contributions exclusivement attribuables à Jensen6, dans ce champ de la recherche financière, peuvent cependant être considérées comme secondaires comparativement aux 3 Jensen a cependant publié des travaux en finance de la firme avant 1976, cependant ces derniers restaient inscrits dans le paradigme standard (voir notamment, Jensen et Long, 1972) contrairement à l’approche contenue dans l’article de Jensen et Meckling (1976). 4 Jensen (2001, p. 2), « Briefly put, value maximization says that managers should make all decisions so as to increase the total long-run market value of the firm. Total value is the sum of the values of all financial claims on the firm – including equity, debt, preferred stock, and warrants ». Cette formulation en termes de valeur marchande ne signifie pas que Jensen croit en l’efficience forte des marchés. Précisant le sens qu’il attribue au qualificatif long terme, il ajoute (2001, p. 17) : « I say long-term market value to recognize that it is possible for markets not to know full implications of a firm’s policies until they begin to show up in cash flows over time…Value creation does not mean succumbing to the vagaries of the movements in a firm’s value from day to day. The market is inevitably ignorant of many managerial actions and opportunities, at least in the short-run ». Par ailleurs, la notion de création de valeur ne doit pas être confondue avec celle de maximisation de la valeur en raison de la rationalité limitée. Pour Jensen (2001, p. 18) : « We must not confuse optimization with value creation or value seeking. To create value we need not know exactly where and what maximum value is, but only how to seek it… ». 5 Les principaux résultats de cette thèse ont été publiés dans l’article du même nom dans le Journal of Business (Jensen, 1969). 5 apports fondateurs des pionniers précités. Elles s’inscrivent principalement dans les trois axes uploads/Finance/ michael-c.pdf

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  • Publié le Oct 20, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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