Luttes Politique Situationnisme "Nos sociétés sont des décombres. Nous pataugeo

Luttes Politique Situationnisme "Nos sociétés sont des décombres. Nous pataugeons dans des valeurs mortes. Les restrictions budgétaires ont ruiné le bien public. Les avantages sociaux arrachés de haute lutte par les grèves, les occupations d’usine, le harcèlement revendicatif, ont été dépecés, émiettés, annihilées." Ces quelques lignes sont un court extrait du texte que Raoul Vaneigeim vient de nous livrer et que nous publions allègrement. "Retour à la vie" est un texte autant qu'un manifeste important. C'est un cri de révolte. "Le dernier des situationnistes" nous y pousse à toujours plus d'émancipation. I. La vie n’est pas un objet Nous n’avons jamais appris qu’à mourir, voici le temps d’apprendre à vivre. Nous sommes au point de rupture de deux civilisations. Le vieux monde s’effondre et tarde à disparaître, le nouveau émerge et tarde à s’imposer. L’onde de choc qui agite la planète secoue notre existence. Il en dévoile la racine. Nulle idéologie n’a désormais le pouvoir de la masquer. Le roc des vérités anciennes vole en éclats. Renoncer à vivre pour éviter de mourir. Aucun passé n’a obtenu l’assentiment des foules à une aussi stupéfiante absurdité. Aucune époque ne s’est, à ce point, laissée crétiniser à l’amiable. Mais l’État et les multinationales ont beau déverser les immondices de la peur, de la résignation, du renoncement, du Raoul Vaneigem Retour à la vie Partager sur: Je soutiens Retour à la vie | Blast, Le souffle de l’info - Site d’information français d’actualit... https://www.blast-info.fr/articles/2022/retour-a-la-vie-9oytCquYTjGTgAeWyynICQ 1 sur 14 05/04/2022, 20:22 sacrifice, de la délation, il arrive un moment où tout vacille, où tout bascule parce que la vie reprend le dessus et se réapproprie ses droits. Nous sommes au cœur de ce moment. Plus exactement, nous en sommes le cœur. Sans doute faut-il prêter au rêve la puissance de dissoudre les cauchemars du réel. Mais ce ne sera là qu’une formule creuse tant que nous n’aurons pas résolu de quitter la jungle sociale où survivre était notre lot. Pour aller où ? Exactement où nous sommes. Là où s’éveille en nous le désir irrépressible de bâtir sur le terrain de notre existence une société où l’entraide et l’autonomie nous enseignent à explorer une vie dont nous étions tenus à l’écart. Nos sociétés sont des décombres. Nous pataugeons dans des valeurs mortes. Les restrictions budgétaires ont ruiné le bien public. Les avantages sociaux arrachés de haute lutte par les grèves, les occupations d’usine, le harcèlement revendicatif, ont été dépecés, émiettés, annihilées. Retraites et allocations sont escroquées à celles et ceux qui ont cotisé pour en jouir une fois libérés du travail. Les transports publics vont à la casse, l’enseignement qui depuis longtemps n’est qu’une voie d’accès au marché des esclaves se délite à la vitesse de chute du dynamisme d’entreprise. La cupidité affairiste a saccagé les hôpitaux publics qui, il y a quelques décennies, auraient été à même de réagir efficacement à l’apparition d’une épidémie Qu’a-t-on tiré de cette scandaleuse gabegie ? Un simple diagnostic de morbidité. Le constat s’est banalisé en devenant l’objet de débats politiques, d’analyses sociologiques, de protestations philosophiques, de réprimandes et de doléances adressées à un Léviathan cacochyme, qui leur a signifié sa fin de non recevoir en alléguant un état de fait. « C’est ainsi, pas autrement, tel est notre bon vouloir.» Par conséquent, rien n’est appelé à changer. Les manifestants trépignent, les revendications corporatistes accomplissent leur petit tour de manège. Les lieux communs attristent le regard et se fondent parmi ces paysages bétonnés dont on détourne les yeux. Le désespoir, la fatalité, le pressentiment de défaite sont des armes d’autant plus efficaces entre les mains du Pouvoir que c’est nous qui lui en faisons cadeau. L’essor du capitalisme industriel a eu le mérite, au XIXe siècle, d’autoriser, contre son gré, la naissance d’une conscience prolétarienne. Celle-ci ne se bornait ni à des revendications salariales, ni aux appels d’air d’une survie oppressée. Son projet ? Rien de moins que la création d’une société sans classe. On y retrouvait en rémanence cette aspiration à une société égalitaire qui s’était pliée aux fluctuations de l’histoire sans jamais changer de cap. En dispensant ses innovations monnayées - électricité, vapeur, chemin de fer, thérapies, radiophonie - le capitalisme industriel avait su se prévaloir d’un progressisme prométhéen qui tout à la fois fascinait et rebutait. Le héros de la mythologie grecque avait, on le sait, défié la tyrannie des Dieux pour offrir aux humains le feu grâce auquel ils forgeraient leur destinée. Le tribut à payer pour une telle audace fut le sacrifice d’une vie, condamnée à la mutilation perpétuelle. La vision philanthropique du capitalisme suggérait sans vergogne que la promesse d’un monde meilleur s’accomplissait aux tréfonds de l’enfer industrialisé et au prix de la souffrance ouvrière. Cette fois le paradis n’avait nul besoin du passeport vers l’au-delà que délivraient les religions. Il était terrestre, tangible, à la portée des mains, sinon de la droite, occupée à travailler, du moins de la gauche où s’inscrivait le principe d’espérance. A l’instigation du profit, maître suprême et décideur unique, la colonisation consumériste allait succéder à la phase essentiellement productiviste du capitalisme. Avec la vogue d’une démocratie de supermarché, la vieille philanthropie caritative s’est trouvé obsolète. Mais elle a révélé, en s’effaçant, un phénomène que l’on avait dédaigné d’examiner de plus près, celui du traficotage humaniste. Qu’est-ce, à l’origine, que l’humanisme ? Le pur produit d’une logique lucrative. Un des premiers cadeau de la civilisation marchande. A l’encontre de la perte sèche que représentait la traditionnelle mise à mort des prisonniers de guerre, l’opinion prévalut de leur accorder la grâce de survivre en devenant esclaves, en assurant le mouvement perpétuel des rouages économiques. La générosité et le calcul concluaient là une alliance improbable, qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Le procès de Nuremberg mit en scène un emblématique spectacle humanitaire. Un capitalisme prétendument démocratique condamnait et vouait aux gémonies un capitalisme d’État totalitaire dont le nazisme et le stalinisme avaient mené à bien l’atrocité concurrentielle. A l’époque même où l’Occident écrasait la révolte des peuples colonisés, le secteur de la consommation s’ouvrait en Partager sur: Je soutiens Retour à la vie | Blast, Le souffle de l’info - Site d’information français d’actualit... https://www.blast-info.fr/articles/2022/retour-a-la-vie-9oytCquYTjGTgAeWyynICQ 2 sur 14 05/04/2022, 20:22 faisant vibrer les cordes sensibles de l’altruisme. Il s’agissait, en quelque sorte de réhumaniser la dureté de l’astreinte productiviste, autrement dit la barbarie du travail. Le Plan Marshall, qui inaugura le déferlement des plaisirs consommables, passa pour une obole que l’évangélisme américain concédait à l’Europe dévastée par la guerre. Les Edens d’abondance ne tarderont pas à se multiplier, quadrillant de leurs néons les villes et les campagnes. En prélude à son débordement planétaire, la pandémie consumériste touche, en premier, les gouvernements qui, en perdant les bénéfices de leurs colonies, ravalent leur arrogance d’exploiteur, se prosternent aux pieds de l’empire calviniste et baisent les fesses de cet immonde Baphomet qu’est le self-made-man. Perçu de l’intérieur, le supermarché est un modèle d’hédonisme, de choix électif, de démocratie. Sous l’égide du libre échange, la liberté est totale, à ceci près qu’elle se paie à la sortie. Résiderait-il, au sein de ces lieux brillamment éclairés, d’insoupçonnables ténèbres ? Une opinion se propage à coups de campagnes promotionnelles. Ce modèle, il suffirait de l’étendre au monde extérieur – en incluant bien entendu les droits de péage – pour instaurer le welfare state, l’état de bien-être, la béatitude végétative, le meilleur des univers possibles. C’est oublier qu’invoquer les possibles dans une société pétrie d’interdits, c’est jouer avec le feu. Le capitalisme trouvait son compte dans les fêtes faunesques où les « évohé, évohé !» viraient au « consommez, consommez ! » Non seulement les bénéfices engrangés n’étaient plus menacés par les grèves intempestives, les revendications de salaires, les jérémiades des apparatchiks syndicaux, mais les salaires, arrachés aux griffes de l’exploiteur, retombaient docilement entre ses mains de velours. Troquant son bleu de travail contre des habits de consommateur, le prolétaire perdait peu à peu sa conscience et sa combativité. Les idéologies se prenaient à la glu d’un clientélisme moins soucieux d’une intelligence des êtres et des choses que des battages publicitaires valorisant n’importe quoi. L’importance accordée au prix d’achat minimisait l’intérêt porté à l’usage du produit. De sorte qu’à une utile paire de godasses, l’acheteur en vint à préférer la brillance spectaculaire d’une marque renommée. L’industrialisation avait inauguré des conditions propices à l’éclosion d’une conscience de classe. Le déluge consumériste l’avait effacée mais non sans entraîner dans son sillage une débandade des valeurs traditionnelles. La stricte nécessité de produire prônait l’ascétisme, le puritanisme, le sacrifice de la vie à la force de travail. L’injonction papelarde de consommer ouvrit une voie en contre-sens. Les conditions n’étaient pas sans rappeler, dans une parodie douce amère, le grand virage auquel le libre-échange, en sonnant l’hallali de l’Ancien Régime, avait convié les Diderot, les Rousseau, les d’Holbach, les penseurs des Lumières inspirateurs et instigateurs de la Révolution française. En vouant à la désuétude les idéologies traditionnelles, l’œcuménisme idéologique du consumérisme exaltait l’hédonisme, le libre choix, l’autonomie, le refus du sacrifice. La uploads/Finance/ retour-a-la-vie.pdf

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  • Publié le Dec 18, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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