Éditorial LE SCANDALE FINANCIER COMME PROJET DE RECHERCHE Malik Mazbouri, Thiba

Éditorial LE SCANDALE FINANCIER COMME PROJET DE RECHERCHE Malik Mazbouri, Thibaud Giddey, Patrice Baubeau ESKA | « Entreprises et histoire » 2020/4 n° 101 | pages 6 à 13 ISSN 1161-2770 ISBN 9782747231220 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-entreprises-et-histoire-2020-4-page-6.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ESKA. © ESKA. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Certes, cette « réserve scientifique» 2 a progressivement décru, à telle enseigne que nous disposons aujourd’hui d’une littérature académique importante et de qualité, qui a profondé- ment renouvelé l’approche qu’on pouvait faire de ce phénomène social itératif et parfois tapageur qu’est le scandale 3. Mais s’il est réjouissant de constater que, depuis quelques années, l’intérêt pour l’étude du scandale et des « affaires » est effectivement allé croissant, il convient aussi de noter que, à de rares exceptions près – en dépit même d’une brûlante actualité depuis les événements de 2007-2008 et la multiplication des leaks et autres papers –, la thématique du « scandale financier » n’a pas vraiment retenu l’attention des historiens. 1 É. de Dampierre, « Thèmes pour l’étude du scandale », Annales ESC, vol. 9, n° 3, 1954, p. 328-336. 2 H.-E. Friedrich, « Literaturskandale. Ein Problemaufriss », in H.-E. Friedrich (Hg.), Literaturskandale, Francfort, Peter Lang, 2009, p. 8. 3 Dans l’espace francophone, la publication, en 2005, du numéro de Politix intitulé « À l’épreuve du scandale » constitue un moment important de la légitimation du scandale comme objet d’étude. Le présent numéro d’Entreprises et Histoire voudrait remédier à cet état de fait en lançant, à son tour, un appel à déve- lopper les recherches sur cet objet riche et © ESKA | Téléchargé le 21/05/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.65.141.64) © ESKA | Téléchargé le 21/05/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.65.141.64) 2020, N° 101 7 ÉDITORIAL pluridimensionnel, à la croisée de l’histoire économique et financière, mais aussi de l’his- toire sociale, politique et culturelle. PROBLÈMES DE DÉFINITIONS Que faut-il entendre, au juste, par scandale financier ? Comme l’écrit Damien de Blic ici même, la définition voire la simple des- cription de ce dont il s’agit ne va pas de soi. C’est d’abord que, comme toute autre forme de scandale, le scandale « financier » (dans l’espace anglo-saxon on parlera plus volontiers de business scandal ou de corporate scandal 4) implique toujours plusieurs univers sociaux, nullement confinés au seul monde de la finance ou de l’économie. Aucun scandale financier qui ne présente une dimension médiatique ou une phase judiciaire, voire des ramifications politiques : certains auteurs hésitent, du reste, en parlant de scandale « politico-financier » 5. Or ces étiquettes sont trompeuses et réductrices, tant il est vrai, comme le montre Hervé Rayner, que les scandales « sont d’abord et avant tout des jeux à acteurs multiples » 6. L’immixtion d’intervenants exogènes au monde de la finance constitue une condition de l’éclatement d’un scandale financier et ce sera précisément un enjeu fondamental, pour les milieux mis en cause, que de réussir à confiner ou non les débats et les éventuelles sanctions à l’interne de la profession (via, par exemple, les tribunaux arbitraux, de plus en plus courus), à les ramener à de pures questions techniques ou encore à se défausser de leurs responsabilités sur d’autres acteurs et secteurs. C’est enfin que le scandale 4 Pour une revue de la littérature récente produite dans le champ anglo-saxon de l’histoire des entreprises sur la fraude et le scandale financier, voir H. Van Driel, “Financial fraud, scandals, and regulation: A conceptual framework and literature review”, Business History, vol. 61, n° 8, 2018, p. 1259-1299. 5 R. Rémond, « Scandales politiques et démocratie », Études. Revue de culture contemporaine, n° 6, 1972, p. 862 ; J.-Y. Mollier, Le scandale de Panama, Paris, Fayard, 1991. 6 H. Rayner, Dynamique du scandale : de l’affaire Dreyfus à Clearstream, Paris, Le Cavalier Bleu, 2007, p. 58 ; voir également l’introduction de sa thèse : H. Rayner, Les scandales politiques. L’opération « Mains propres » en Italie, Paris, M. Houdiard, 2005, p. 7-37. 7 A. Garrigou, « Le boss, la machine et le scandale. La chute de la maison Médecin », Politix, n° 17, 1992, p. 7‑35. 8 Voir par exemple O. Dard, J. I. Engels, A. Fahrmeir et F. Monier (dir.), Les coulisses du politique dans l’Europe contemporaine, t. 3 : Scandales et corruption à l’époque contemporaine, Paris, A. Colin, 2014. financier porte souvent sur des processus com- plexes, dans lesquels la qualification même des faits en « scandale » (ou leur minimisation par les intéressés) participe de luttes sémantiques productrices de sens autant que d’effets et dont il faut se garder d’être dupe 7. Le débat du présent numéro qui réunit des universitaires, des journalistes et des pra- ticiens de la finance illustre bien ces enjeux sémantiques et les conflits d’approche, entre, d’une part, une lecture « par l’acte », pour laquelle la qualification opérationnelle et juri- dique des actes commis joue un rôle central dans l’identification du scandale et, d’autre part, une lecture « par l’utilité sociale », qui mesure le scandale à l’écart entre l’utilité sociale de l’activité considérée et ses coûts collectifs, dont les crises ou les krachs sont les expressions les plus graves. La définition du scandale apparaît alors, inévitablement, même si c’est le plus souvent de manière implicite, comme un des éléments clés du scandale lui-même. Depuis le travail d’Éric de Dampierre, la plupart des sociologues et historiens du scandale s’accordent sur le fait que l’une des conditions nécessaires à l’éclatement d’un scandale, qui n’est rien d’autre qu’une forme de mobilisation des opinions, est la dénon- ciation publique d’une transgression morale ou légale, supposée ou avérée. L’histoire des scandales financiers renvoie donc, par ce biais, à la question des normes et des valeurs et du rapport à l’argent. Il serait toutefois très réducteur de la confondre avec l’histoire de la corruption ou des crimes économiques, qu’elle peut certes contribuer à éclairer, mais dont elle doit impérativement être distinguée 8. © ESKA | Téléchargé le 21/05/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.65.141.64) © ESKA | Téléchargé le 21/05/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.65.141.64) 8 ENTREPRISES ET HISTOIRE ÉDITORIAL D’abord parce que dans le domaine finan- cier ou économique, comme dans tout autre domaine de la vie sociale, des actes morale- ment répréhensibles voire délictueux, même avérés et publiquement dénoncés, ne pro- voquent pas à coup sûr un scandale. À l’in- verse, un scandale peut parfaitement éclater sans qu’aucun des faits « scandaleux » qui font l’objet d’une dénonciation publique ne soit finalement avéré, pourvu que l’impor- tance des mobilisations puisse faire croire à la réalité des actes transgressifs. En d’autres termes, de la même manière qu’une affaire politique peut conduire la personnalité mise en cause à un acte désespéré, un scandale financier peut en théorie provoquer la faillite d’une entreprise – voire une crise d’ampleur – et dans les deux cas indépendamment de la véracité des faits allégués. Contrairement à l’adage populaire, le scandale montre ainsi qu’il n’est pas toujours correct de croire qu’il n’y a pas de fumée sans feu : non seulement il peut parfaitement y avoir le feu sans que le brasier ne se signale par de la fumée (cas dans lequel une transgression avérée ne produit aucun scandale et n’est, à la limite, pas portée à la connaissance du public ou l’est, mais sans réaction notable de ce dernier), mais la fumée elle-même peut « provoquer » l’incendie, par exemple lorsque de fausses allégations sont portées par un scandale qui provoque une faillite ou une crise. On comprend donc que l’analyse de ce phénomène multidimensionnel croise, com- bine et puise à plusieurs uploads/Finance/ scandales.pdf

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  • Publié le Mar 14, 2022
  • Catégorie Business / Finance
  • Langue French
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