THEORIE FINANCIERE ET STRATEGIE FINANCIERE ------------------------------------
THEORIE FINANCIERE ET STRATEGIE FINANCIERE -------------------------------------- G. CHARREAUX(*) _________________________ Août 1992 (*) Professeur en Sciences de Gestion, Doyen de la Faculté de Sciences Economiques et de Gestion IAE DIJON - Faculté de Science Economique et de Gestion 2 RESUME L'objet de cet article est tout d'abord, de montrer les évolutions profondes des approches théoriques en finance, puis de faire l'inventaire des apports actuels et potentiels de la théorie financière à la stratégie financière tant sur le plan académique que décisionnel. La réflexion proposée permet de présenter les orientations récentes de la recherche financière, de montrer les applications de la théorie financière à la stratégie financière et d'insister sur les dangers d'une recherche éloignée de toute préoccupation normative. MOTS-CLES Théorie financière, stratégie financière, bilan académique, décision financière ABSTRACT The aim of this paper is first, to show the huge evolutions of different theoretical streams in finance and second, to make an inventory of present and potential contributions of financial theory to financial strategy from academic and decision-making points of view. The discussion presents recent developments of financial research, shows uses of financial theory for financial strategy and insists on drawbacks of a research, disconnected from all normative preoccupation. KEY WORDS Financial theory, financial strategy, academic survey, financial decision-making 3 Il y a plus de dix ans, en 1981 paraissait la première édition des "Principles of corporate finance1" , rédigée par Brealey et Myers. On peut considérer que ce manuel constituait le premier ouvrage fondant véritablement l'enseignement de la finance d'entreprise sur les enseignements tirés de la recherche financière; dix ans plus tard, la quatrième édition publiée en 1991, apparaît être le manuel de référence de l'enseignement de la finance sur le plan international. La première édition de ce best-seller se concluait par un chapitre intitulé "What we do and do not know about finance". Les connaissances en matière financière s'articulaient autour de cinq "idées" fondamentales, bien connues des financiers: la valeur actuelle nette, le modèle d'équilibre des actifs financiers, l'efficience des marchés financiers, le principe d'additivité des valeurs et la théorie des options. On peut remarquer que ce bilan des connaissances ne comprenait que des modèles ou des principes théoriques, qui constituent cependant le noyau dur de la théorie financière et dont les applications actuelles et potentielles, pour la prise de décision financière sont multiples, notamment en matière de choix des investissements, de politique de financement, de dividendes et d'évaluation de la firme. Une liste de dix problèmes irrésolus, considérés comme fondamentaux par nos deux célèbres auteurs, accompagnait cet état des connaissances:(1) Comment sont prises les décisions financières? (2) Quels sont les facteurs qui déterminent le risque et la valeur actuelle nette des projets d'investissement? (3) Le risque et la rentabilité: avons-nous oublié un facteur important? (4) Y-a-t-il des exceptions importantes à la théorie des marchés efficients? (5) Comment sont évaluées les options complexes? (6) Comment peut-on expliquer les procédures d'émission des actions ordinaires? (7) Comment peut-on expliquer la structure de financement? (8) Comment peut-on résoudre la controverse sur la politique de dividendes? (9) Quelle est la valeur de la liquidité? et (10) Comment peut- on expliquer les vagues de fusion? L'importance des questions précédentes où figurent toutes les principales décisions qui constituent la stratégie financière, peut conduire à la conclusion que l'ignorance en matière de finance d'entreprise est presque totale. La théorie financière se révélerait inapte à expliquer les principales décisions financières et les principaux résultats tenus pour acquis de la finance moderne, tels que la liaison rentabilité-risque ou l'efficience des marchés financiers seraient remis en cause. Si on ajoute à cette liste les résultats des différentes enquêtes effectuées régulièrement aux Etats- Unis sur les critères de choix d'investissement utilisés effectivement par les entreprises2 1- Brealey et Myers : Principles of Corporate Finance, McGraw-Hill, 1981. Cette première édition a fait l'objet d'une traduction en français et d'une adaptation au contexte canadien, Brealey, Myers et Charette: Principes de gestion financière des sociétés, McGraw-Hill, 1984. 2 - Voir par exemple, Martin, Cox et MacMinn: The theory of finance, The Dryden Press, 1988, p.115, pour un tableau de synthèse des résultats des études faites sur les pratiques des entreprises en matière de choix des investissements. 4 qui montrent que le critère de la valeur actuelle nette est loin d'être généralisé et qu'un critère très critiquable comme la période de récupération reste très utilisé, il conviendrait d'être pessimiste quant à l'utilité de la théorie financière pour la mise en oeuvre de la stratégie financière. Cette conclusion est-elle infirmée dix ans plus tard, alors que l'effort de recherche s'est sensiblement intensifié, et que notamment le Prix Nobel de science économique a été décerné à quatre éminents chercheurs en finance, comme F. Modigliani, H. Markowitz, M. Miller et W. Sharpe? La référence à la quatrième édition du manuel de Brealey et Myers nous donne une réponse immédiate et négative. Certes, la liste des éléments connus s'est accrue d'un article d'importance, la théorie de l'agence3 qui permet d'intégrer dans le raisonnement financier, les conflits d'intérêt entre les différents partenaires de la firme, notamment les dirigeants, les actionnaires et les créanciers. La prise en compte de cette nouvelle dimension a permis de renouveler totalement l'analyse des principales décisions financières et d'apporter des éléments de réponse à de nombreux phénomènes financiers jusqu'alors inexpliqués, comme par exemple la politique de dividendes ou l'existence des financements hybrides comme les obligations convertibles. Cependant, la liste des questions non résolues est restée par ailleurs quasiment identique. Deux questions relatives à l'évaluation des options complexes et aux procédures d'émission des actions ont disparu. Elles ont reçu sinon des réponses définitives, du moins des solutions qu'on peut considérer comme satisfaisantes4.Deux nouvelles questions sont apparues. La première est relative à la valeur des dirigeants. Pour expliquer le phénomène de sous-évaluation de certains fonds d'investissement dont la valeur est inférieure à la somme des valeurs des actifs qui les composent, on suppose que le coût des dirigeants est supérieur au supplément de valeur qu'ils apportent. Les dirigeants constitueraient ainsi une créance hors-bilan. La seconde question porte sur le succès des innovations financières (nouveaux instruments et nouveaux marchés) qui n'est que partiellement expliqué. A première vue, le bilan de la recherche en finance sur la dernière décennie apparaîtrait faible, d'autant plus que certaines questions loin de s'être résolues se sont plutôt complexifiées. Les études empiriques les plus récentes5 semblent remettre en cause le lien entre le taux de rentabilité et le coefficient de sensibilité ß, donc 3 - L'article de base en matière de théorie de l'agence appliquée à l'entreprise est celui de Jensen et Meckling: Theory of the firm: managerial behavior, agency costs and ownership structure, Journal of Financial Economics, Vol.3, Octobre 1976. On trouvera une synthèse en français dans Charreaux: La théorie positive de l'agence: une synthèse de la littérature, in Charreaux et al.: De nouvelles théories pour gérer l'entreprise, Economica, 1987. 4 - Voir notamment pour une synthèse de la littérature sur les procédures d'introduction en bourse, Jacquillat: L'introduction en bourse, Que sais-je, PUF, 1989. 5 - Fama et French: The cross-section of expected stock returns, Journal of Finance, Vol.47, n°2, Juin 1992. 5 les principaux acquis du MEDAF (modèle d'équilibre des actifs financiers). Le récent bilan dressé par Fama6 sur l'efficience des marchés financiers conduit à douter qu'une réponse définitive puisse être rapidement obtenue. La question de la structure de financement est devenue d'une complexité extrême7. En caricaturant, il semblerait qu'en matière de recherche en finance, les questions restent identiques et que seules les réponses varient. Ce bilan apparemment négatif peut surprendre et il doit être nuancé. Premièrement, il faut distinguer dans les questions non résolues, ce qui relève de la finance de marché et de la finance d'entreprise, même si cette distinction peut être contestable. Dans le premier domaine, les apports de la théorie financière sont incontestables et ne sont plus à démontrer. Les succès des nouveaux instruments financiers sont en lien direct avec les modèles directement issus de la théorie financière. La connexion théorie / pratique est immédiate; elle trouve vraisemblablement son origine dans le caractère très concurrentiel des marchés financiers qui fonde leur quasi-efficience. La situation apparaît très différente dans le domaine de la finance de la firme, où les réponses apportées par la théorie restent incomplètes et incertaines et où le lien avec la prise de décision demeure ténu. Cette situation trouve sans aucun doute son origine dans le caractère éminemment organisationnel de la définition et de la mise en oeuvre de la stratégie financière, qui a très bien été mis en évidence par la théorie de l'agence. La clé de la compréhension de la stratégie financière passe par la théorie des organisations, la stratégie, mais également par la théorie du droit, voire de la science politique8. Deuxièmement, une séparation doit être faite entre la contribution explicative de la théorie financière et sa contribution normative. Même si les questions restent identiques, les réponses récemment apportées par la recherche en finance constituent des progrès indéniables et certaines voies de recherche récemment ouvertes sont très prometteuses. La compréhension que l'on a aujourd'hui uploads/Finance/ theorie-financiere-et-strategie-financiere.pdf
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- Publié le Mai 18, 2021
- Catégorie Business / Finance
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