Pour Pôle Sud : Le modèle économique du football européen Wladimir Andreff Univ
Pour Pôle Sud : Le modèle économique du football européen Wladimir Andreff Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, Centre d’Economie de la Sorbonne andreff@club-internet.fr Résumé: Le modèle économique du football européen se caractérise par de forts déséquilibres compétitifs dans les différentes compétitions européennes (Ligue des Champions, Europa Ligue) et entre les équipes nationales. Ces déséquilibres sont liés à d’importantes disparités de revenus entre les ligues nationales et les clubs, la concurrence étant dominée par un oligopole d’une trentaine de clubs européens. Deux modèles de financement des clubs distincts et évolutifs coexistent dans le football européen. Le fonctionnement du modèle d’ensemble engendre de manière récurrente le déficit et l’endettement financier de nombreux clubs ayant entraîné la mise en œuvre du fair play financier par l’UEFA. Mots clés : économie du sport, équilibre compétitif, revenus, financement, déficit. Abstract: The economic model of European football is characterised by strong competitive imbalances in the different European sport contests (Champions League, Europa League) and across national squads. These imbalances are linked to significant revenue disparities between national leagues and clubs since an oligopoly of about thirty clubs are dominant in the market. Two models of football finance distinctly evolve at club level. The overall economic model functions in such a way as to generate recurrent deficits and financial debts in many clubs; this has triggered the enforcement of financial fair play rules by the UEFA. Key words: sports economics, competitive balance, revenues, finance, deficit. 1. Introduction 1 L’Europe du football est-elle une réalité ou reste-t-elle à construire ? Les clubs professionnels participent à des compétitions communes (par exemple, la Champions League ou la Coupe Europa) mais évoluent dans des espaces socioéconomiques aux règles différentes : règles concurrentielles, fiscales ou sociales. Il existe ainsi plusieurs modèles de football professionnels en Europe mais la convergence imposée par la réforme du « fair play financier » (FPF)1 peut changer la géographie du football européen et à terme profiter aux bons élèves. A l’échelle européenne, le football produit des déficits et dans quelques cas, plus rares, des bénéfices : sur 30 clubs européens qui disputent les phases finales de la Champions League, seulement 4 présentent des budgets équilibrés. Le modèle économique d’un sport est caractérisé par son équilibre compétitif, l’équilibre ou le déséquilibre économique entre ses clubs en termes de revenus, la structure de son financement et de ses coûts, et par ses résultats financiers, déficit ou excédent (Andreff, 2009 ; 2015). L’équilibre compétitif d’un championnat évalue combien d’équipes concentrent un pourcentage élevé de matchs victorieux ou combien la distribution des pourcentages de victoires est dispersée entre les équipes du championnat. Dans le cas du football européen, son modèle économique est remarquable: un fort déséquilibre compétitif qu’amplifie l’existence de compétitions européennes rémunératrices, de profondes disparités de revenus entre les ligues et entre les clubs, une bipolarisation de leurs modèles de financement, et la récurrence des déficits et des dettes des clubs. L’article propose d’évaluer dans un premier temps le déséquilibre compétitif du football européen avant d’interroger les disparités de revenus entre les ligues et les clubs européens. Les deux modèles de financement des clubs qui coexistent dans le football européen seront ensuite abordés. Le fonctionnement du modèle d’ensemble engendre de manière récurrente le déficit et l’endettement financier de nombreux clubs ayant entraîné la mise en œuvre du fair play financier par l’UEFA. 2. Le déséquilibre compétitif du football européen Pour évaluer l’équilibre compétitif du football européen, on calcule l’indice de concentration C5 régulièrement utilisé en économie du sport pour mesurer l’équilibre compétitif (des forces sportives en présence) dans un championnat ou, au fil des saisons, dans une ligue. Le C5 mesure quel pourcentage du total des victoires (ou du nombre de points) a été obtenu par les cinq équipes les mieux classées d’une compétition. Ici il mesure le nombre de victoires ou de 1 Le fair-play financier est une règle adoptée par l’UEFA en mai 2010 pour empêcher les dépenses excessives des clubs de football professionnels européens. Ainsi, les clubs ne doivent pas dépenser plus d’argent qu’ils n’en gagnent avec une tolérance de 45 millions d’euros de déficit. 2 ¼ finales concentrées sur les cinq nations les plus performantes. Ce calcul est appliqué aux clubs et aux équipes nationales dans toutes les compétitions européennes de football, sur toute leur durée d’existence: Ligue des Champions (ex Coupe d’Europe des clubs champions) de 19562 à 2015 (C1); Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe (C2) de 1960 à 1999, date de sa disparition; Ligue Europa (C3) de 1972 à 2015; Championnat d’Europe des Nations ou Euro (CEN) de 1960 à 2012. Au total, 74% (trois-quarts) des victoires sont concentrés sur cinq pays: Espagne, Italie, Angleterre, Allemagne et Pays-Bas. La concentration est très voisine pour l’Euro: 71% des titres remportés par cinq nations. Les trois compétitions de clubs sont moins équilibrées (plus concentrées), les cinq plus fréquents vainqueurs accaparent 87% des victoires en C1, 77% en C2 et 80% en C3. Les clubs de toutes les autres (49) nations se partagent 13% des victoires en Ligue des Champions et 20% en Ligue Europa. Sur ce critère, la Ligue des Champions est plus déséquilibrée que l’ancienne Coupe d’Europe des clubs champions puisque, en passant de l’une à l’autre, le C5 a augmenté de 84% à 91%. La présence récurrente en ¼ finale donne une image plus nuancée, mais pas différente de la hiérarchie européenne du football. Dans tous les cas les C5 calculés pour les ¼ finales sont plus faibles que pour les victoires, au total 54%. Pour les ¼ finalistes, la Ligue Europa apparaît la plus concentrée (C5 = 61%), suivie de la Ligue des Champions (57%), la Coupe des coupes ayant été la plus équilibrée (46%) car la plus aléatoire pour la qualification initiale, au niveau de chaque coupe nationale. Mais si l’on distingue l’ancienne Coupe des clubs champions et la Ligue des Champions, cette dernière apparaît plus déséquilibrée (78%) pour les ¼ finalistes, comme pour les vainqueurs. Sept clubs sur 10 ayant accédé aux ¼ finales de la Ligue des Champions sont espagnols, allemands, anglais et italiens, et 8 sur 10 si on ajoute les clubs français (ici le traditionnel Big Five se justifie pleinement). Les clubs des 49 autres nations de l’UEFA n’ont eu que 20% de chances d’accéder aux ¼ finales depuis le début de la Ligue des Champions en 1993. La plus équilibrée des compétitions européennes de football, au niveau des ¼ finalistes, est l’Euro avec un C5 à 40%: les cinq plus fortes équipes nationales n’ont trusté que deux- cinquièmes des places en ¼ finale. Les 49 autres équipes nationales se sont concurrencées pour trois-cinquièmes de tous les ¼ finales, ce qui leur a ouvert plus de perspectives qu’à leurs clubs de football dans les compétitions européennes de clubs. L’Europe du football est moins déséquilibrée au niveau des sélections nationales qu’à celui des clubs. 2 Chaque saison de football recouvrant deux années calendaires est exprimée par la deuxième année: 1956 pour 1955-56. 3 Les indices C5 présentés ci-dessus démontrent que ces compétitions européennes de clubs de football ne sont pas équilibrées sur la totalité des saisons (déséquilibre dynamique) observées. Les clubs de 34 ligues nationales n’ont remporté aucune des trois compétitions européennes et pour 19 d’entre elles aucun de leur club n’a participé à un ¼ finale européen en C1, C2 ou C3. La plus déséquilibrée des compétitions européennes de clubs est la Ligue des Champions depuis 1993, elle l’est plus que ne l’était l’ancienne Coupe d’Europe des clubs champions. Ceci résulte du changement introduit en 1993 dans le mode de sélection des clubs participants. Avant cette date étaient qualifiés les champions de toutes les ligues nationales, y compris les plus faibles. Après 1993, plusieurs réformes du format ont eu lieu allant toutes dans le sens d’amoindrir le poids relatif des clubs champions des ligues faibles en qualifiant plusieurs clubs (jusqu’à quatre) des ligues les plus fortes, leur force étant appréciée par les coefficients UEFA, eux-mêmes dépendant des performances passées des clubs de chaque ligue au cours des cinq dernières années. Résultat: quatre ligues dominantes (Espagne, Italie, Angleterre, Allemagne) ont trusté toutes les victoires sauf 3 de 1993 à 2015, et seules sept ligues (plus Pays-Bas, Portugal, France) ont obtenu ensemble 100% des titres. L’indice C5 montre que le déséquilibre compétitif de la C1 s’est aggravé depuis ces réformes. Cette dernière conclusion est précisée par Schokkaert et Swinnen (2016) démontrant que ce sont toujours les mêmes clubs des ligues dominantes qui ont la plus forte probabilité de se qualifier parmi les 16 clubs de l’ultime phase éliminatoire de la C1 après 1993 et que cette probabilité est plus élevée qu’avant 1993. Mais l’incertitude quant au club qui sera vainqueur parmi les 16 qualifiés en phase finale a augmenté en Ligue des Champions comparé à la Coupe d’Europe des champions d’avant 1993. Puisque les 16 clubs qualifiés sont en grande majorité les clubs les plus forts des ligues nationales dominantes, la compétition devient plus équilibrée parmi les 16 équipes de la phase finale qu’elle ne l’est pour s’y uploads/Finance/ wandreffarticle-v2-pole-sud-2017.pdf
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- Publié le Sep 30, 2021
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