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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/4 Les Etats-Unis veulent en finir avec le moins-disant fiscal PAR ROMARIC GODIN ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 6 AVRIL 2021 Lundi, la secrétaire au Trésor étasunienne Janet Yellen a annoncé qu’elle souhaitait mettre fin à la concurrence fiscale grâce à un taux minimum d’imposition mondial. C’est un changement de logique majeur qui mettrait à mal certains paradis fiscaux et beaucoup d’idées très ancrées dans les milieux économiques. Janet Yellen, secrétaire au Trésor des États-Unis. © SAUL LOEB / AFP Joe Biden semble déterminé à mener un combat sur deux fronts. En interne, il va s’agir d’imposer son ambitieux plan d’investissement de 2300 milliards de dollars sur huit ans au Congrès. Et la tâche ne sera pas aisée : les républicains ont d’ores et déjà refusé de dépasser 700milliards de dollars et plusieurs démocrates centristes ont affirmé refuser l’augmentation prévue du taux de l’impôt sur les sociétés (IS) de 21 à 28%. Mais, depuis ce week-end, un nouveau front s’est ouvert ou, plutôt, le front s’est élargi. Janet Yellen, secrétaire au Trésor des États-Unis. © SAUL LOEB / AFP Lundi 5 avril, la secrétaire au Trésor étasunienne, Janet Yellen, devant le Council of Global Affairs de Chicago, a en effet appelé à un taux d’imposition minimum mondial pour les entreprises. Pour elle, c’est le seul moyen de stopper la « course au moins-disant fiscal ». L’ancienne présidente de la Fed en a profité pour donner sa vision de la compétitivité : « C’est davantage que de savoir comment les entreprises basées aux États-Unis réussissent dans les offres de fusion et acquisition. C’est également s’assurer que les gouvernements disposent de systèmes fiscaux stables qui leur assurent des revenus suffisants pour investir dans les biens publics essentiels et pour répondre aux crises. C’est aussi faire en sorte que tous les citoyens participent à leur juste part au financement du gouvernement. » Ces quelques mots confirment que la vision du monde économique a changé à Washington. Certes, dans les discussions qui se tiennent depuis des années à l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), l’instance internationale qui gère l’effort de coordination fiscale mondiale, les États-Unis défendaient déjà ce qu’on appelle le « pilier 2 » et qui prévoit ce taux minimum. Mais la position étasunienne n’est pourtant plus la même. La proposition de l’OCDE, qui l’a donc établie avec les 135 pays qui ont participé aux discussions, prévoyait un taux d’imposition plancher de 12,5 %. Ce taux permettrait d’en finir avec les juridictions à taux zéro ou très faibles, qui sont, en réalité, peu nombreuses, mais ne changerait rien aux juridictions à très faible taux d’IS, comme, par exemple, dans l’Union européenne, l’Irlande ou Chypre, qui appliquent ce taux plancher. Comme la moyenne des taux dans les pays de l’OCDE est de 26 %, un tel taux plancher laissait une large place à la concurrence fiscale au sein des pays développés et entre les pays développés et les pays moins avancés. L’administration Trump était un grand défenseur de ce taux plancher. Lors de la réforme fiscale de 2017 qui avait abaissé le taux d’IS de 35 à 21 %, un taux plancher pour les revenus étrangers des entreprises étasuniennes de 10,5 % avait été établi. Cela signifiait qu’une entreprise qui est taxée en dessous de ce taux à l’étranger doit s’acquitter de la différence auprès de l’administration fiscale des États-Unis. C’est exactement ce que prévoit le dispositif de l’OCDE et Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/4 c’est donc bien pour cette raison que le prédécesseur de Janet Yellen, Steven Mnuchin, avait toujours défendu ce taux minimum. Mais, on le voit immédiatement, la nature de ce soutien était fort différente. Le camp Trump défendait un plancher non pas pour stopper la concurrence fiscale, qu’il pratiquait, mais pour la « discipliner » en excluant des concurrents trop agressifs avec lesquels les grands pays ne pourraient pas mener la partie. La logique était donc celle d’une concurrence encadrée. Celle de l’administration Biden semble être entièrement différente. Certes, Janet Yellen n’a pas évoqué de montant concernant ce taux minimum. Mais en souhaitant stopper la course au moins-disant fiscal, c’est le bien- fondé de la concurrence fiscale qui est remis en cause. Et cela est en cohérence avec le plan d’investissement présenté la semaine passée. En relevant le taux d’IS, l’administration Biden entend financer (sur 15 ans) les dépenses engagées dans le plan. Autrement dit, elle voit dans l’impôt sur les sociétés une source de revenu. C’est aussi dans ce cadre qu’elle souhaite appliquer un taux plancher de 21 % pour les revenus taxés à l’étranger. Cette volonté implique alors de briser la logique de la concurrence fiscale. Car pour que ce plan fonctionne, il faut bloquer la fuite des entreprises vers d’autres juridictions. Certes, depuis Barack Obama, délocaliser un siège social depuis les États-Unis est difficile (il faut souvent réaliser une fusion avec une entreprise étrangère dans des conditions précises), mais ce n’est pas impossible. De plus, on peut craindre que certaines entreprises n’arbitrent des investissements contre les États-Unis en raison de cette hausse de la fiscalité, même si, rappelons-le, à 28 %, le taux d’IS outre-Atlantique demeurera inférieur à ce qu’il était en 2016… Mais, et c’est peut-être l’aspect le plus important de ces déclarations, en empêchant toute concurrence à la baisse, Janet Yellen aurait un argument de poids face à ceux qui, dans le camp démocrate même, s’inquiètent de la fuite des entreprises et de la perte des emplois. Or, obtenir les voix du camp démocrate modéré permettrait également de ne pas devoir se retrouver à batailler avec l’aile gauche démocrate qui, déjà, trouve le plan Biden très modeste. Pour maintenir les équilibres internes à la majorité, il faut absolument obtenir la fin de la concurrence fiscale internationale. Cela signifie donc que l’administration Biden ne défendrait plus un taux plancher minimum de 12,5 % mais un taux bien plus élevé, proche des 21 % qu’elle entend appliquer aux États-Unis. Or un taux à ce niveau serait une rupture de plus avec le néolibéralisme. Les équilibres actuels en seraient profondément modifiés. Un changement de logique majeur Les opposants à la proposition actuelle de « pilier 2 » de l’OCDE, comme l’ICRICT, la Commission indépendante pour la réforme de la taxation internationale des entreprises, contestait son niveau trop bas. Dans un communiqué datant du 9 décembre 2019, elle demandait un taux minimum de 25 %, afin que le taux minimum ne devienne pas une forme de « maximum global ». Un tel taux permettrait aussi aux États les moins riches de remonter leur niveau d’imposition sans craindre la fuite des capitaux. © Seuil Ce niveau de 25 % était aussi celui défendu par les économistes Emmanuel Saez et Gabriel Zucman dans le chapitre 7 de leur livre Le Triomphe de l’injustice (éditions du Seuil, 2020). « Si les pays Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/4 du G20 imposaient demain un taux plancher de 25 % à leurs multinationales, 90 % des bénéfices mondiaux seraient aussitôt effectivement taxés à 25 % ou plus », expliquaient-ils. Autrement dit, et comme l’a précisé depuis Gabriel Zucman, ce serait le modèle économique de nombreux paradis fiscaux qui, immédiatement, s’effondrerait. Un taux minimum élevé d’imposition des entreprises serait donc un changement déterminant. Les deux auteurs cités précédemment décrivent ainsi ses conséquences : « Avec une taxation minimale suffisamment élevée, la logique de la concurrence internationale s’inverserait. Une fois le dumping fiscal neutralisé, les entreprises choisiraient de s’implanter là où la main-d’œuvre est productive, où les infrastructures sont de bonne qualité et où les consommateurs ont un pouvoir d’achat élevé. » Ce taux minimum pour casser la concurrence internationale est donc en cohérence avec l’orientation sociale-démocrate de la nouvelle administration étasunienne. Si la concurrence n’est plus fiscale, les États-Unis redeviennent attractifs pour d’autres raisons : leur niveau d’éducation, de dépenses, d’innovation, d’infrastructures. Autant de domaines dans lesquels Joe Biden et Janet Yellen envisagent d’investir massivement. C’est donc un cercle vertueux qui est promis : plus d’investissement public, la fin de la concurrence fiscale et, in fine, plus d’investissement privé et de redistribution. Le rêve d’une forme de nouveau fordisme s’appuie aussi sur cette proposition fiscale. Reste évidemment que la route va être longue pour imposer un taux minimum élevé. Le silence sur l’objectif étasunien de Janet Yellen ce lundi montre la prudence avec laquelle l’administration Biden va aborder ces discussions. Rappelons que, même avec un taux de 12,5 %, les négociations menées par l’OCDE avaient été très difficiles. L’accord avait certes été perturbé par la querelle entre Paris et Washington sur la « taxe Gafam » française, mais on sentait bien que les participants n’avaient aucune hâte d’avancer. La conclusion était péniblement prévue avant l’été 2021. Mais si les États-Unis proposent un taux plus proche de leur minimum de 21 %, tout risque de changer. D’abord au niveau de l’Union européenne, où beaucoup de pays affichent des taux inférieurs à ces 21 % et où, surtout, uploads/Finance/article-952561.pdf
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- Publié le Sep 21, 2021
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