Congrès du CTHS (Comité des Travaux Historiques et Scientifiques) de Bordeaux 2

Congrès du CTHS (Comité des Travaux Historiques et Scientifiques) de Bordeaux 2009 Jeannine Giudicelli doctorante en études néo-helléniques Université Montpellier III Libérakis Gérakaris, Bey du Magne Avec Libérakis Gérakaris nous entrons dans un contexte proche de la dramaturgie antique. C’est une histoire dans l’Histoire elle-même puisque, comme le souligne Lili Maurokaiphalaiou, auteur d’une rétrospective de la vie aventureuse du chef pirate1, les mobiles de l’existence de ce dernier étaient d’assouvir sa vengeance par tous les moyens. Parce qu’il régnait dans le Magne une idée de l’honneur qui surpassait tous les autres sentiments ressentis par le commun des mortels de cette presqu’île de l’extrême sud du Péloponnèse. Cette raison a, opportunément, permis à Gérakaris de voir monter en lui une ambition démesurée qu’il a su adapter à toutes les compromissions pour atteindre son suprême but : se débarrasser des clans Stéphanopoli et Médici en signant les autorisations, grâce à son entrée au service des Ottomans, pour que ces deux clans quittent à jamais le territoire du Magne Le contexte de cette période historique débute peu avant le milieu du 17è siècle pendant la 3ème guerre turco vénitienne dont l’enjeu était la Crète : les Vénitiens voulant s’y maintenir et les Ottomans, dont le déploiement commençait à amorcer une phase de déclin, voulaient s’y établir. Ils y parviendront, mais pas totalement, et avec difficulté après la prise de Candie en 1669. La description du lieu est, nous semble-t-il, importante pour appréhender le caractère de Gérakaris, qui renvoie l’image d’un être dénué de scrupules, à la limite de la sauvagerie par ses réactions. Sur la géomorphologie de cette minuscule province de 1800 km2 nous dirons que, dans sa plus grande longueur, elle mesure environ 75 kms, et dans sa plus grande largeur elle mesure environ 40 kms. La chaîne de montagne principale 1 . L. Mavroképhalou, Vios kais Politeia tou Gerakari Liberaki, 1 du Magne qui part de Laconie est le Taygète qui culmine à 2404m au mont Saint Elie. Dans la vallée commune au Magne et à l’autre presqu’île située à droite de la Laconie coule, au milieu d’une plaine fertile, le fleuve Eurotas dont l’embouchure se situe au niveau de la ville de Gytheio ; le fleuve se jette dans le Golfe de Laconie. L’importance des montagnes est de 83,3% dont 57,5 % de hautes montagnes et 25,8% de moyennes montagnes, les superficies utilisées aux cultures ne représentaient que 27,2 % pendant la période au cours de laquelle se situaient les faits. C’est la raison pour laquelle l’agriculture était un facteur mineur et marginal de l’économie de la péninsule. Malgré ce constat, pendant la domination ottomane, les entrées de revenus conséquents étaient le fruit de la piraterie et du brigandage2. Il y avait quelques ports où les bateaux faisaient escale avant d’atteindre l’Archipel des Cyclades, mais le plus important et le plus réputé était Karavostassi le port du village d’Itylo qui facilitait les trafics à tel point que le surnom de Grand Alger lui avait été donné, par similitude avec les activités de piraterie d’Alger. Les pratiques qui y étaient liées étaient pour le moins surprenantes puisque les habitants n’hésitaient pas à pratiquer les enlèvements lorsqu’ils voyaient arriver des bateaux. Pratiquement invisibles dans les replis de la montagne lorsque les bateaux accostaient, ils fondaient sur leurs occupants, les maîtrisaient facilement puisque ces derniers étaient surpris face à des individus armés jusqu’aux dents qui les impressionnaient en raison aussi de leur tenue vestimentaire. Les Maniates saisissaient tout et monnayaient les occupants des bateaux de la façon suite : les chrétiens étaient proposés à la vente aux musulmans et vice e versa. If they take any Turks, they sell them to the Malteses and Legorneses as they do the Christians to the Turks S'ils faisaient prisonniers des Turcs, ils les vendaient aux Maltais ou aux Génois, à l'inverse ils vendaient les chrétiens aux Turcs3 2 . C. Komis, La population et l’habitat du Magne, (XV e – XIX e iècles) vol. I.a, p. 23. 3 . B. Randolph, The Present State of the Morea called ancient Peloponnesus 2 Quelquefois, pourtant, lorsqu’ils s’agissaient de chrétiens leur attitude s’adoucissait. Ainsi Dokos4 (K. Dokos, Epanastatikes kiniseis eis Manin) mentionne que, dans un rapport envoyé à l’Amiral de Venise en 1571 par Fabiano Barbo à son arrivée à Vathia, ce dernier informe l’autorité que les Maniates étaient armés d’arcs, d’épées et de boucliers. Mais à part cela, ils utilisaient aussi efficacement les pierres qui se trouvaient en abondance dans le pays5 Nous sommes arrivés avec beaucoup de peine au Brazzo di Maïna non pas sans danger des tempêtes et des pirates. A cet endroit […] avant que nous débarquions quelques Maniates qui se trouvaient sur les rochers, avaient déjà commencé à jeter de denses jets de pierre. Mais, ayant déclaré de loin notre identité chrétienne par des signes de croix, ils sont venus vers nous, près de la côte. Quand ils sont arrivés, ils nous ont demandé pardon en disant qu’ils avaient pensé que nous étions des ennemis, car dans l’après-midi de la veille deux bateaux pirates étaient apparus et qu’ils les avaient chassés de cette manière. Une autre particularité, liée au lieu, évoquée par plusieurs voyageurs ou envoyés diplomatiques était celle qui consistait à organiser des expéditions dans les régions limitrophes, en Messénie ou en Laconie, pour aller récupérer de la terre fertile car dans cet environnement fait de cailloux les lopins de terre étaient parfois de la grandeur d’une table, selon un voyageur6. Ce n’est qu’au prix d’efforts incroyables que les habitants arrivaient à cultiver les pézoulès7, ces petits morceaux de terre qui appelées terrasses dans le midi de la France. Sur ce territoire qui connaît des températures assez marquées hiver comme été, des vents extrêmement violents balayent et raréfient la végétation. Malgré ces constatations, pendant une très longue période le Magne a eu un taux important d’habitants au km2 allant jusqu’à 32,6 % hab. au Km2 pendant le Moyen Age. Ces données conjuguées : région montagneuse, sol pierreux, peu de ressources de la terre, nombreuse population, ont orienté, à un moment ou à un autre, les 4 . N. Didika, Vathi, village du Magne (Péloponnèse) (structures sociales archaïques) 5 . Ibid, p. 256 6 . C. Komis, La population et l’habitat du Magne, (XVe-XIXe siècles), vol. I.a, p. 12-18 7 . Κ. Ν. Sémérataki, I téleftéa lexi tiz Evropris ta Akra 3 habitants vers des manières peu civiles de subsistance que leur sol ne pouvait pas fournir. Les femmes s’occupaient aux champs, ce qui nécessitait des heures de marche avant qu’elles puissent atteindre ces lieux à cultiver ; elles devaient, en effet, parcourir de longues distances en ascension constante pour de faibles récoltes qu’elles devaient redescendre chargées sur leur dos. De leur côté, les hommes donnaient une part importante de leur activité à la chasse et, pour les plus fortunés d’entre eux, aux échanges commerciaux mais ils s’adonnaient aussi à la piraterie dans laquelle ils excellaient. Le territoire du Magne, appelé du temps des Vénitiens Braccio (ou Brazzo) di Maïna, comporte trois divisions8 : côté oriental c’est la Prossiliaka9 ou Kato Mani, le Magne inférieur. Côté occidental, ouvrant dans la mer Ionienne c’est la région Aposkeria10, c’est-à-dire la région qui se trouve à l’ombre ; au nord de cette partie il y a l’Exo Mani ou Magne de l’extérieur et au sud la Messa Mani, le Magne de l’intérieur. Ne serait-ce que de parler de ces divisions, qui répondent davantage à un contexte voulu et défini par les habitants plus encore qu’à une réalité administrative, puisque le Magne fait partie de la Préfecture de Sparte dans le nome de Laconie, on comprend immédiatement que les choses n’y sont pas simples. Les flancs gauches et les flancs droits du Taygète extrêmement tourmentés par de nombreuses gorges profondes et inaccessibles sont bordés de ravins abrupts. C’est cette morphologie qui donne au Magne une impression de retrait : on a la sensation de passer une véritable frontière qui est indiscutable puisque physiquement naturelle. Ce cocktail de conditions d’une vie dure et âpre faisait que les Maniates étaient un peuple qui ne s’en laissait pas compter et dont la sagacité, face au danger, était constamment en éveil. Il en découlait une attitude qui déclenchait une immédiate réactivité aux évènements. Une archive d’un diplomate français, alors en 8 . Y. Saïtas, Mani, elliniki paradosiaki architektoniki Mani 9 . Signifie tournée vers le soleil levant 10 . Signifie à l’ombre 4 poste dans la ville de Coron qui se trouve dans la presqu’île de gauche par rapport à celle du Magne, rapporte que Les habitants du Magne sont continuellement en état de guerre ou de révoltes11. Malgré cela les Ottomans tentèrent de nombreuses fois de s’approprier le Magne en raison de son intérêt géostratégique. Pourtant cette province demeurait un bastion imprenable car les habitants étaient insaisissables grâce à la topographie du lieu dont ces montagnards connaissaient parfaitement les points de passage. En effet, depuis toujours leurs moyens d’existence provenaient aussi, en grande partie, de Laconie où ils avaient l’habitude de uploads/Geographie/ 2009-liberakis-bey-du-magne.pdf

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