ˆ Les migrations Sereer : jalons de la saga africaine et sénégalaise 136 ______

ˆ Les migrations Sereer : jalons de la saga africaine et sénégalaise 136 _________________________________________________________________________ Le site mégalithique de Sine Ngayène situé au sud de la ville de Kaoloack, près de la frontière Sénégal-Gambie (Source : Hamady Bocoum, Abdoulaye Camara, Adama Diop, Brahim Diop, Massamba Lame, Mandiomé Thiam, Éléments d’archéologie africaine V, Sénégal, Nouakchott, DARA/IRSH/CRIAA – SEPIA, 2002). _________________________________________________________________________ ANKH n° 14/15 2005-2006 ˆ Les migrations Sereer : jalons de la saga africaine et sénégalaise 137 _________________________________________________________________________ ˆ Les migrations Sereer : jalons de la saga africaine et sénégalaise Boubacar DIOP BUUBA _________________________________________________________________________ Résumé : Dans cette communication, l’auteur identifie les éléments de la culture sereer présents dans les cultures du Nord du Sénégal (waalo-waalo, njambur-njambur, fuutànke). Il élargit son d’analyse à l’espace soudano-sahélien, saharien et nilotique, en étudiant la migration qui a conduit les Sereer jusqu’à la côte atlantique du continent africain. Abstract : Sereer migrations : milestones of the African and Senegalese saga – In this communication, The author identifies the features of Sereer culture which are in the culture of the North of Senegal (Waalo-Waalo, Njambur-Nambur, Fuutànke). He broads out his analysis to the Soudano-Sahelian, Saharian and Nilotic regions, by studying the migration which takes the Sereer to the atlantic coast of the African continent. 1. Introduction Je suis né dans la région nord du Sénégal, à Saint-Louis plus précisément, dans une famille qui parle wolof ; le premier repère que je maîtrise dans ma généalogie maternelle est soninké (ma mère est une Kamara) ; or sa mère est une Ndaw, son dàkkental, son lignage, est Aale. Quels liens entre Ndaw Kunda et Ndaw Aale ? Ce fut pendant longtemps une énigme pour moi. Bref, si j’insiste sur cette double piste, c’est pour signaler que déjà, dans le Nord du Sénégal, la cohabitation entre Sereer et Mandinka était déjà en œuvre. Mieux, et c’est ce sur quoi il convient d’insister, dans mon entourage, parmi les parents et alliés, des noms, considérés comme sereer, étaient bien présents : Fay, Seen, Juuf, Ngom, Saar, Nduur, Caw etc. Mieux encore, dans ma tendre enfance j’ai connu un vieux Juuf, pittoresque et haut en couleurs, vêtu de sa chéchia rouge et qui quittait de temps à autre MPAL (PAAL), sa base arrière, un village à une quarantaine de kilomètres de Saint-Louis, pour venir rétablir l’ordre dans les xàmb (autels) de Balacoss, à Sor, Saint-Louis. L’étymologie de Balacoss a été rattachée à l’allemand Blockhaus, par référence à un ouvrage fortifié, établi par les Français durant la colonisation. Balacoss allemand ou Balakoos sereer ? Cette question s’est imposée à moi grâce à mes étudiants sereer1, qui faisaient partie _________________________________________________________________________ ANKH n° 14/15 2005-2006 1 Il s’agit plus précisément de l’Association des Étudiants Fadiouthiens de l’UCAD (Université Cheikh Anta Diop). ˆ Les migrations Sereer : jalons de la saga africaine et sénégalaise 138 _________________________________________________________________________ du comité éditorial de la revue du même nom. Dans le premier numéro de leur organe, ils ont expliqué que le terme Balakoos renvoie à la religion sereer. Tous ces faits sont concordants : ethnonymes sereer à Saint-Louis, toponymes qui pourraient avoir des liens avec les cultures sereer : Balakoos, PAAL où des NGom et des Juuf sont présents, Lébar, un des derniers villages avant l’entrée à Saint-Louis, dont le nom, à notre avis, pourrait avoir un lien avec langbar sereer (hippopotame), léebeer wolof. Nos hypothèses sont autorisées par l’archéologie et la tradition orale qui donnent des indications sur le passage des Sereer dans la région nord du Sénégal, dans le Waalo, le Fuuta et le Jàmbur. Sur cette question on peut se reporter aux travaux suivants : Martin. V., et Becker. C., "Vestiges, protohistoriques et occupation humaine du Sénégal", Annales de démographie historique 1974, pp. 403- 429 ; Chavane. B., Villages de l’ancien Tekrour, Paris, Karthala – CRA, 1985 ; Bocoum. H., L’Age du fer au Sénégal, IFAN – CRIAA, 2000 p. 158. Enfin, l’annexe sur la fondation du village Gandon renforce ma démonstration. Ce que nous voulons faire, c’est aller plus loin dans l’étude de ces migrations et donner quelques indications supplémentaires avant l’étape finale, l’étape sénégambienne ; et pour ce faire nos recherches en civilisations anciennes nous ont beaucoup aidé. Déjà, en 1962, J. Desanges avait publié un Catalogue des tribus africaines de l'Antiquité Classique à l'Ouest du Nil (Université de Dakar, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Publications de la section d'Histoire n°4). L'auteur était conscient de l'ambiguïté de la notion de tribus (op. cit. p 10), des limites des sources écrites (p. 11), des confusions manifestes entre les différents textes (p. 14). Nous avons pu en combinant l’approche alphabétique de A à Z, (des Bannae Abanni aux Zimizes), et géographique (de la Maurétanie Tingitane, au bord de l’Atlantique aux tribus d’Éthiopie intérieure, sub-égyptienne), dénombrer une liste de plus de 250 groupes (tribus, ethnies, clans, familles). Parmi les groupes qui se détachent du lot par le volume et la qualité de l’information que nous pouvons rassembler, on peut citer : les Garamantes, les Nasamons et les Troglodytes. Le seul peuple que nous pensons devoir ajouter à la liste reconstituée et abrégée de J. Desanges est celui des Sères mentionnés dans le texte d'Héliodore, les Éthiopiques. Ce dernier les montre, au combat, chargés de couvrir et de défendre les éléphants de l’armée du souverain Hydaspe (Héliodore IX, 2, XVIII, 3). Il les montre aussi en période de paix ; lors d'un défilé ils apportent des étoffes tissées avec le fil que produisent les araignées de leur pays ; ils exhibent une robe teinte en pourpre, une autre d'une blancheur éclatante (Héliodore X, XXV, 2). Héliodore n'est pas le seul auteur à les avoir évoqués. _________________________________________________________________________ ANKH n° 14/15 2005-2006 ˆ Les migrations Sereer : jalons de la saga africaine et sénégalaise 139 _________________________________________________________________________ 2. Mentions antiques : l’apport de l’égyptologie et des aethiopika Ils sont d'abord mentionnés dans le texte de Denys d'Alexandrie2, mais situés en Asie. Ce qui pose problème c'est qu'ils sont mentionnés en Asie près de l'Inde et en Afrique. Leur nom semble mis en relation avec la production de la soie3, ou d'un tissu recherché. Il y a une vingtaine d’années nous nous étions permis des rapprochements avec les Sereer du Sénégal, en commentant les Éthiopiques d'Héliodore sous la direction de Woronoff. A l’époque seule la ressemblance phonétique nous avait frappé. Ce groupe ethnique est un des plus anciens en Afrique de l'Ouest et semble avoir conservé dans sa mémoire des relations très anciennes et complexes avec les autres peuples qui habitent la Sénégambie, à savoir les Al pulaaren, les Lebu, les Joola, les Mandinka, les Wolof. Il s’y ajoute que dans ce groupe des ethnonymes et patronymes semblent être rattachés au dromadaire (les Saar par exemple comme dans l'expression Saar geleem = Saar chameau) ; ce qui nous édifie sur la fécondité de la piste saharienne, piste du reste largement développée par le père Gravrand dans son ouvrage Pangóol4. Cette piste est d'autant plus indiquée que, dans des mythes et légendes du Niger, ce terme revient souvent comme dans le mythe de Mâli Bero. Dans ce texte5, les jeunes Séréré sont mentionnés à plusieurs reprises : ils vivaient auprès d'un marigot, défiaient les jeunes Malléens. L'ancêtre des Zarma Sombo Mali, c'est-à-dire Mâli Bero en tua un ; ce qui ramena à la raison les Séréré ; les Zarmas emportèrent les lances des Séréré. Ils construisirent le Fond de grenier « Des coups au Fond de Grenier, suivis d'incantations » dit le texte. Ce document a été du reste exploité par l’historien nigérien Boube Gado dans une contribution portant sur « les hypothèses de contact entre la vallée moyenne du Nil et la _________________________________________________________________________ ANKH n° 14/15 2005-2006 2 Voir Counillon p. 15 pp. 251 et 252. Dans la Periegèse de Denys, les Sères sont situés en Asie et parmi les nations barbares, ils « dédaignent d'élever boeufs et grasses brebis mais tissent les fleurs chatoyantes de leur pays désert, pour en faire des vêtements pleins d'art, précieux, semblables par leurs couleurs à des prairies fleuries : même le travail de l'araignée ne saurait s'y comparer », (V, 754 à 757). 3 Voir Bunburry, 166, 167, 285, 364, 414, 423, 485, 529, pp. 658, 659, 677). Sénèque (de Beneciis 7, 9), Pline (XXXIV, 14, 145) donne un détail supplémentaire en plus du travail de la soie, il s'agit de la fabrication du fer d'excellente qualité, et précise l'apparence physique des Sères (grands, cheveux roux, yeux bleus (VI, 22 ….88 Ptolémée I, 11,….7 donne le nom de leur capitale Sera. Pomponius décrit le ver producteur de soie (VI, 26, 6-8). L'auteur évoque cet ethnonyme en relation avec l'extension des relations commerciales avec l'Asie, il signale également les différentes sources mythiques et/ou philosophiques, diplomatiques, géographiques, en relation avec ce peuple : Virgile (Géorgiques II, 121), Horace (Carm. I 29,9) Strabon (XV, 1), Pline (VI, 17), Florus (IV, 12), Pomponius Mela (III, 60). 4 Henri de Gravrand, reprenant Westermann et Baumann admet que «les Sereer constituent le groupe le plus caractéristique le tout le Cercle ouest atlantique uploads/Geographie/ ankh-14-15-b-diop-buuba-les-migrations-sereer.pdf

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