Anno Domini 1923 Nous avons réussi à nous séparer, À éteindre un feu dont nous
Anno Domini 1923 Nous avons réussi à nous séparer, À éteindre un feu dont nous étions las. Ennemi de toujours, il est temps pour vous D'apprendre à aimer quelqu'un en vérité. Moi, je suis libre. Tout me distrait, La Muse vient la nuit me consoler, Et au matin la gloire s'approche Et fait résonner son hochet à mes oreilles. Il n'est pas besoin de prier pour moi Ni de se retourner en partant. Un vent noir m'apaise, L'or d'octobre me réjouit. En cadeau je recevrai la rupture, Et l'oubli, comme un don du Ciel. Mais dis-moi, oseras-tu pousser Sur ce chemin de croix une autre ? Que gronde encore la voix de l'orgue, Comme un premier orage du printemps! Derrière les épaules de ta fiancée Brillent mes yeux à demi fermés. , Adieu, sois heureux, mon bel ami, Je te rends ta douce promesse, Mais prends garde ; ne dis rien à ton amie De mon délire inimitable. Car il pénétrerait d'un poison dévorant Votre union bénie, pleine de joie ; Moi je vais m'emparer d'un jardin merveilleux Où l'herbe chante, où les muses m'appellent 1 9 2 1 Grille de fonte, Lit de sapin. Comme c'est bon! Plus besoin D'être jalouse. On me fait ce lit En sanglotant, en bavardant; Va maintenant par le monde, Va où tu veux. Dieu te garde ! Maintenant mon discours fou Ne blessera plus tes oreilles. Maintenant plus personne ne fera Brûler la bougie jusqu'à l'aube. Nous avons atteint le repos Et l'innocence des jours... Tu pleures — je ne vaux pas Une seule de tes larmes. à 0. A. G. S. Amère, tu prédis l'avenir, et tu as baissé les bras, Une mèche s'est collée à ton front exsangue, Et tu souris — ce sourire vermeil A séduit plus d'une abeille Et troublé plus d'un papillon. Comme ils sont clairs, tes yeux de lune ; ton regard Qui voit au loin s'est arrêté, tendu. Est-ce un doux reproche pour le mort? Ou fais-tu aux vivants la grâce De leur pardonner ta lassitude et ta honte ? 1921 Torturée par tes longs regards, Moi aussi j'ai appris à torturer. Puisque je suis née de ta côte, Comment puis-je ne pas t'aimer? Un antique destin m'a imposé D'être la sœur qui te console. Mais je suis devenue maligne, avide, Je suis la plus douce de tes esclaves. Et quand je me pâme, docile, Sur ta poitrine blanche plus que neige Comme jubile ton cœur de vieux sage, Ton cœur, soleil de mon pays ! 1921 II : VOIX DE LA MEMOIRE Le monde est un rayon d'un autre visage, Tout le reste est son ombre. N. GOUMILIOV Le pont de bois a noirci, il penche ; Il y a là des bardanes hautes comme des hommes, D'impénétrables forêts d'orties proclament Que l'éclat de la faux n'y entrera pas. Au soir, un soupir passe sur le lac, La mousse grimpe, revêche, sur les murs. J'ai rencontré là L'année vingt et un. Le miel noir parfumé Était doux aux lèvres. Les branches griffaient La soie blanche de ma robe, Sur le pin tordu Le rossignol refusait de se taire. Au cri convenu Il sort de sa tanière, Comme un gnome des bois Plus tendre qu’une sœur À travers les prés, À travers la rivière, Il fonce et, plus tard, Je ne dirai pas : laisse-moi. A u , Rupture Voici le rivage de la mer du Nord. Voici la limite de nos malheurs et de nos gloires, — Je ne comprends plus : est-ce de bonheur, Est-ce de regret que tu pleures, Prosterné devant moi? Je n'ai plus besoin de condamnés, De captifs, d'amants, d'esclaves ; Quelqu'un que j'aime et qui soit inflexible Partagera seul mon toit et mon pain. La vie est finie pour toi, Tu resteras dans la neige. Vingt-huit coups de baïonnette, Cinq balles de fusil. Il est triste, ce nouveau Vêtement que j'ai cousu. Elle aime, elle aime le sang, Notre terre russe. Automne baigné de larmes, comme une veuve, En vêtements noirs; le cœur est embrumé... Elle se remémore les mots de son époux, Elle ne cesse de sangloter. Il en ira ainsi tant que la neige silencieuse N'aura pas pitié de la malheureuse lasse... Oublier la douleur, oublier les caresses — On donnerait pour cela plus que sa vie. 1921 Rien ne t'a promis à moi : ni la vie, ni Dieu, Ni un mien pressentiment secret. Pourquoi, la nuit, devant le sombre seuil, Hésites-tu? le bonheur fait-il mal? Je ne vais pas sortir, te crier: «Sois l'unique, Reste avec moi jusqu'à l'heure de la mort! » Je ne fais que parler, de ma voix de cygne, Avec la lune injuste. 1915 Ils ont abandonné leur terre Aux ennemis qui la déchirent, Je ne suis pas de leur côté. Leurs flatteries sont grossières, Je ne les écoute pas. Ils n'auront pas mes chansons. Mais j'ai pitié toujours de l'exilé, Du malade, du prisonnier. Errant, ton chemin est obscur, Amer, le pain de l'étranger. Ici, dans la sombre fumée De l'incendie, laissant périr Ce qui restait de la jeunesse, Nous n'avons esquivé aucun coup. Plus tard, lors de la pesée, Chaque instant sera justifié. Nous en avons la certitude. Il n'est personne dans ce monde, Qui ait moins de larmes que nous, Ni qui soit plus fier et plus simple . Pourquoi te démener, maudit ? Que regardes-tu, le souffle coupé? Tu l'as compris : on a forgé Pour nous deux une seule âme. Oui, je te consolerai Comme personne n'ose le rêver. Et si tu me blesses d'un mot féroce, Tu auras mal toi-même. En ces années fabuleuses TIOUTTCHEV Avec toi, mon ange, je n'ai pas rusé, Comment se fait-il que je t'ai laissée, Odalisque captive, en proie A toute la douleur irrémédiable de la terre ? Sous les ponts, des absinthes odorantes ; Au-dessus des brasiers, des étincelles d'or; Le vent menace, hurle comme un damné; Une balle perdue, sur l'autre rive, Cherche ton pauvre cœur. Et seule dans la maison froide, Blanche au milieu de la lumière blanche, Tu célèbres l'amertume de mon nom. Il souffle un vent de cygne. Le ciel bleu est en sang. Voici venir l'anniversaire Des premiers jours de ton amour. Tu as détruit tous mes enchantements, Les années ont fui comme une eau. Pourquoi n'as-tu pas vieilli? Pourquoi es-tu toujours le même? Même ta voix douce est plus forte, Il reste que l'aile du temps Assombrit d'une gloire de neige L'impassibilité de ton front. Il murmure : «Je n'aurai pas de pitié Même pour ce que j'aime, Sois tout à fait à moi Ou je te tue. » Comme un taon, vrombit au-dessus de moi Sans cesse depuis des jours Cette triste déduction De ta noire jalousie. Le chagrin m'étouffe, Il ne m'étranglera pas. Un vent libre sèche mes larmes; Dès qu'une gaieté se fait aimable, Elle s'entend avec ce pauvre cœur. En cette année lointaine où l'amour s'est enflammé Comme une croix impériale dans un cœur condamné, Ce n'est pas en colombe douce que tu t'es attachée À ma poitrine, mais en rapace griffu. Une première trahison, le vin de la malédiction, Voilà ce qu'a dû boire ton ami. Mais l'heure est venue pour toi de plonger Dans ses yeux verts, de demander en vain Aux lèvres cruelles un don de douceur, Et des serments comme jamais tu n'en as entendus, Comme jamais on n'en a prononcés. Ainsi un homme a mis du poison Dans l'eau d'une source Pour celui qui le suivait dans le désert; Mais il s'est égaré à son tour, et, brûlant de soif, Il n'a pas reconnu la source dans l'ombre. Il boit sa mort, penché sur l'onde fraîche, Mais la mort apaise-t-elle la soif? Ce n'est pas vrai, tu n'as pas de rivales, Pour moi tu n'es pas une femme de la terre, Mais la lumière consolante du soleil d'hiver Et une chanson sauvage du pays où je suis né. Quand tu mourras, je ne serai pas triste, Je ne crierai pas, devenu fou: «Reviens!» Un corps sans soleil, une âme sans chanson Ne peuvent pas vivre. Je le comprendrai soudain. A V. K. Chileïko Tu es fort, tu es libre, et tu as pu Oublier auprès de genoux accueillants Que le péché primitif est puni, Qu'il décompose, qu'il anéantit. Pour la divertir tu lui as livré Le secret des jours de merveille. Pourquoi? de sa main de rapace Elle éparpillera ta gloire. Honte sur toi. Sur terre aucune épouse Ne te donnera la douleur qui crée. Ces êtres-là, on les cloîtrait dans des couvents, On les brûlait sur de hauts bûchers. Extrait du livre de la Genèse 1 Rachel Et Jacob rencontra Rachel dans la vallée, Il la salua, comme un étranger sans maison. Les troupeaux soulevaient une poussière brûlante, Une énorme pierre obstruait la source. De sa main, il retira la pierre Et fit boire aux brebis l'eau pure. Mais dans sa poitrine son cœur fut pris de tristesse, Lui faisait mal comme une blessure uploads/Geographie/ anna-akhmatova-requiem-anno-domini-1923.pdf
Documents similaires
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/z3oNEKADzdGPO4BjBMY9GEn87sGL8TAShgC8OfiRbuMwoDpGfbQvvp3r6GfKzka8TkC7Jvtq3Rp43aS8jlfRXMkK.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/biY3lUBlLpPjiRcm8rP9OiNFT30w6a5M0nDjNRrADwoH20uVzHMomMNxV7bCbY4jiKn3Bn9fLP4oVmjj8nmln2E7.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/CjS4fDxSBltZFSHo83UWOQsSf4scyHK0YhdEVOFqtqr5hVR3QMU1ngySf0Qd3oNuMGdtSvnOwByt7uthpJ4jS5C1.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/TRH3eeMjMeINd7UltyXwsZ0a8ylmb2WH44TfOTrh4WCLnW2cw8bz77bHpEut5RiEWpqcJdGSZPJMf05Il75mZTnA.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/k3KvCZXdmb0tjqUsoaEtOHzGESNISNecudwiD7Np2yeSFCp68Nkek2tdPd0bh9z0uoqVQvOwqh07qx055O8mobYb.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/5vnLkko3wGVUz7YZEBln0Zj2etiosOA8GuuBEZjAdpd6rsJAnOq2OFhWb30ZCW2GDY512V3paR2izhobEUj1I86g.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/8GqwtU5IbXb3qvOCianKhp9xNWSyOk1koQbz7X6NXkdXjxoRT6jCQaA1BxGhgXl8stLt0sXOKgjywwfe9lqvUs2S.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/VwZnAugD5IDH1qcjdxH25zwUmuenvkz5i3jHo0LMT3X17AFViDlJxdbf3BeJoyvrSiLfW1h1j7ePCAlDUmmngpcz.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/vVTzMmniKUuElOWAiYM2RjR0VTfgDVZhPICVcNHhMFAfrjY8ppAnh2VN2gX3DgRoxlPrBk44oepyAhMUoSBStDMK.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/4ag7jgkVggqNajLvaf7MKM9rjLOf5pxXDERjBXFmwzhCnVEm8CeermJ7bF17uWAoXzEqQvVHmg7HNwcBmBYJVOtl.png)
-
20
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 29, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1067MB