ENVER HOXHA ANNEES DE JEUNESSE «Korça est la ville de ma jeunesse, et la jeunes

ENVER HOXHA ANNEES DE JEUNESSE «Korça est la ville de ma jeunesse, et la jeunesse est l'âge où se forme le caractère et se trace le chemin que l'on suivra dans la vie... C'est là que j'ai commencé à voir la vie, la réalité, les gens et les événements avec plus de sérieux et d'attention, à prendre conscience de la nécessité de profonds changements. . .» «J'admirais la France et son peuple pour ce qui appartenait d'cux ;i l'bistoire, mais j'admirais et rcspectais aussi ses gens pour leur fierté de leurs prédécesseurs, pour leur sensibilité au destin de leur pays». ENVER HOXHA Korça occupe une place à part, privilégiée, dans ma vie. Je suis né à Gjirokastër, j'y ai passé mon enfance, j'ai formé mes jarrets dans ses rues et ruelles. de pierre si attachantes, je m'y suis dessillé les yeux et y ai reçu les premières leçons sur la patrie, sur les hommes et sur la vie. Mais Korça est la ville de ma jeunesse, et la jeunesse, on le sait, est la phase de l'existence où se forme le caractère et se trace le chemin que l'on suivra dans la vie. J'ai été d'abord dans cette ville pour achever mes. trois années de lycée, qui furent au nombre des plus belles et plus inoubliables de ma vie, puis, après six ans d'absence, en qualité de professeur dans le même lycée dont j'étais sorti. Trente à quarante ans se sont écoulés depuis et il m'est difficile maintenant de dire ce qui m'y a produit la plus forte impression, ce que j'y ai appris et acquis de plus précieux, à qui je dois la considération et le respect le plus. profonds. Le lycée de la ville était à l'époque, sans conteste, l'établissement secondaire le plus réputé et le plus qualifié du pays. A tiare d'ancien éléve de ce lycée, je ne cesserai jamais d'évoquer avec vénération tout ce que cette école mous a donné, à ma génération et à moi, en matière d'instruction et de culture. Mais Korça n'était pas seulement le lycée. Les particularités de cette ville, depuis son schéma directeur, ses ruelles et l'architecture de ses constructions, depuis son histoire ancienne et récente jusqu'à sa vie de tous les jours, aux usages et aux manières des gens, à leurs soucis et à leur lutte journalière, nous ouvrirent, à mes camarades et à moi, de nouvelles et plus larges fenêtres sur la vie, pour mieux nous la faire connaître et comprendre. Je tiens pour une grande chance d'avoir étudié et vécu à Korça à l'époque même où, dans cette ville, plus nettement que partout ailleurs dans l'Albanie d'alors, avaient commencé à plonger leurs racines et à faire leurs premiers pas une idéologie et un mouvement nouveaux, l'idéologie et le mouvement communistes. Non seulement avides d'étudier et d'étendre nos connaissances personnelles, mais surtout désireux et soucieux de servir tant soit peu notre patrie et notre peuple miséreux qui cherchait une voie de salut, nous, les jeunes de ce temps-là, devions être très vite sensibles au vent nouveau qui avait commencé à souffler de Korça et l'alimenter de toutes nos forces et avec toute notre passion. -J'ai été et resterai toujours reconnaissant de cette prise de conscience aux ouvriers korçois, laborieux, assoiffés de civilisation et de progrès, surtout à leurs éléments les plus avancés, les prolétaires. Je n'exagère pas en disant que ce sont eux qui ont donné à notre jeunesse de l'époque une juste orientation dans la vie, et je ne dis pas cela pour leur faire plaisir, je le souligne qu'ils furent nos premiers maîtres du communisme. Je me rappelle toujours avec un profond respect et une particulière nostalgie ces prolétaires honnêtes, rompus par le labeur et les souffrances, qui se trempaient comme des combattants d'un monde nouveau, de même que je me souviens avec respect et nostalgie de tout ce que j'ai vu, connu et appris à Korça dans les premières années de ma jeunesse. Ainsi que je l'ai déjà raconté en détail ailleurs, c'est à l'automne 1927 que je me rendis pour la première fois dans cette ville pour y faire, au lycée local, mes trois dernières années d'études secondaires. Pendant des jours et des nuits, à Gjirokastër, tout chez moi était en effervescence pour les préparatifs de mon départ. A mesure que le moment de la séparation approchait, mon émotion s'accroissait, mais l'exaltation que suscitait en moi l'idée que j'allais à Korça dominait tout. Finalement, un matin, de bonne heure, après avoir embrassé et serré dans mes bras ma mère, mon père, ma sœur, Sano, mes autres parents et mes camarades, mes compagnons de voyage et moi sommes montés dans un vieux camion et nous nous sommes mis en route. Le trajet de Gjirokastër à Korça est long et à l'époque il se faisait en deux étapes, avec une halte d'une nuit à Përmet. Nous voyagions dans un tacot. Il tombait souvent en panne et le chauffeur l'arrêtait à chaque source pour remplir d'eau le radiateur, qui laissait échapper sa vapeur comme un vieillard essoufflé. Nous brûlions d'arriver au plus tôt à destination, mais nous prenions aussi plaisir à faire quelques arrêts en chemin, pour contempler le pays, les villes et les villages qui s'égrenaient sur notre trajet. C'était la première fois que je parcourais la route Gjirokastër-Përmet-Leskovik-Erseke-Korça. Quelles beautés il m'allait être donné de voir! Nous laissâmes derrière nous le pont sur la rivière que j'avais franchi tant de fois avec mes amis d'enfance, dépassâmes aussi la colline du «Père Mane», où nous jouions et sucions comme des abeilles les fleurs jaunes des sauges. Puis vint le Viro avec ses eaux froides. Plus loin, entouré de peupliers, nous apparut le moulin du fameux Dino Çico. C'était la limite jusqu'où nous, les jeunes, poussions nos promenades. La tanière de Dino Çiço était pur nous le «bout du monde». C'était à nos yeux un homme mystérieux, toqué ou savant, car, disait-on, enfermé dans une chambre, il fabriguait une étrange machine. Pratiquement sans instruction, il s'efforçait d'inventer un appareil qui «se mouvrait sans jamais s'arrêter». Cette machine, lui et ses proches l'appelaient en turc Devri daim, c'est-à-dire mouvement perpétuel. Ce fameux engin fait seulement en bois, qu'il faconnait lui-même à l'aide d'un canif de berger, devait «fonctionner, voler ou nager», sans avoir besoin, selon lui, ni d'air, ni d'essence, ni de pétrole! Dino Çiço habitait le quartier d'Hazmurat, nous le voyions rarement sortir, avec ses étroits pantalons noirs, sa toque blanche et une limousine, également blanche. Quand nous le rencontrions en chemin, après l'avoir salué, nous lui demandions quand il allait sortir son Devri daim. Il nous répondait: «Patience, mes enfants, vous ne tarderez pas à le voir.» Mais ce Devri daim, nous ne le verrions jamais. Malgré tout, je ne sais qui décida de conduire Dino Çiço jusqu'à Vienne. Il y alla, accompagné du «fameux» Xhevat Kallajxhi (le «Pif», comme on l'appelait à cause de son gros nez), mais ils en revinrent en catimini, car l'«invention» s'avéra n'êtr e qu'un simple mécanisme d'horlogerie en bois. Nous priâmes le chauffeur, qui goûtait nos chansons dont le son se mêlait au vrombissement de sa vieille guimbarde, de soulever la bâche du plateau arrière. Découverts, nous fûmes «gratifiés» du soleil qui nous tombait sur la tête et de la poussière qui nous couvrait comme si on nous avait plongés dans la farine. Mais, jeunes comme nous étions, nous ne nous en souciions guère, il nous suffisait de nous repaître de la vue des montagnes et des villages de la Laberie, de la Mashkullore de Çerçiz*, (Lieux et personnages célèbres dans l'histoire patriotique du pays.) du pont de Kardhiq, de Picar de Çelo *( Lieux et personnages célèbres dans l'histoire patriotique du pays.) et, plus loin, des montagnes de la Lunxherie et des villages qui défilaient à la suite l'un de l'autre sous nos yeux, tels que nous nous les représentions lorsque nous les énumérait notre instituteur, monsieur Arshi. Le camion trépidait sur la route en lacets surplombant le vieux Drino, que nous connaissions bien, mais dont nous ne savions pas qu'il était aussi beau qu'il nous apparaissait dans ces parages. De là, la rivière coulait ses eaux d'un bleu foncé au milieu de platanes ombreux. Dans cette zone se trouvaient de beaux étangs sûrement très poissonneux. Ce devait être ici que l'oncle Haxhi (surnommé le sourd) venait pêcher le poisson qu'il nous vendait. Et voilà finalement le site des «Eaux froides» de Tépélène. Le camion s'accorda un moment de repos; nous, ses passagers, aussi; le camion «buvait de l'eau» et nous en buvions, mais, en plus, nous secouions la poussière de nos vêtements, nous nous lavions le visage, alors que notre véhicule, lui, se contentait de recevoir sur son groin les quelques seaux d'eau que lui jetait dessus le chauffeur. «Ne vous en faites pas, les gars, nous disait-il. Vous aurez tout le temps de vous ennuyer, on a encore bien du chemin à faire.» Et nous reprîmes notre route. Peu après, nous nous engageâmes dans la gorge de Mezhgoran uploads/Geographie/ annees-de-jeunesse.pdf

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