LE DÉFI DE L’ANTHROPOCÈNE — Laurent Testot L’humanité est désormais la principa

LE DÉFI DE L’ANTHROPOCÈNE — Laurent Testot L’humanité est désormais la principale force géologique à l’ œuvre sur la Terre. L’une des conséquences en est que la Terre se réchauffe. Est-il envisageable d’éviter la catastrophe ? Mondialisation et réchauffement climatique ont au moins un point commun ?: les deux termes ont émergé au début des années 1980. Mais si la mondialisation a rapidement suscité l’intérêt des chercheurs comme du public, et bien que le Groupement gouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec), créé en 1988, ait commencé à alerter l’opinion à grand renfort de rapports toujours plus alarmants, il a fallu attendre les années 2000 pour voir le climat s’imposer dans les études et les débats ?: sécheresse en Australie, fonte des glaces, montée prévisible des eaux, etc., l’ont poussé sur le devant de la scène médiatique. Un certain nombre de phénomènes globaux sont désormais visibles et s’imposent comme évidents. ? L’une des conséquences du réchauffement est la multiplication des essais dans le champ de l’histoire environnementale, un courant historique en émergence visant à mieux appréhender ce qui semble à ce jour le changement global le plus important que l’humanité ait connu. Une multitude de livres sont venus rejoindre sur les rayons des bibliothèques les travaux précurseurs d’Emmanuel Le Roy Ladurie, pour disséquer le sujet des relations homme-environnement sur la longue durée. Au début des années 2000, les ouvrages des experts et plus encore les rapports du Giec étaient jugés alarmistes… Une décennie plus tard, force est de constater qu’une majorité d’experts avancent des arguments de plus en plus pessimistes, et que la thématique de l’environnement se teinte d’inquiétudes de plus en plus marquées. ? L’histoire environnementale a vocation à rester, par nature pourrait-on dire, anthropocentrique (du grec anthropos, « ?humain ?»). C’est ce que rappelle l’historien John R. McNeill, qui souligne qu’il serait envisageable, à l’instar de l’historien britannique Arnold J. Toynbee publiant « ?Une histoire de la révolution romaine vue sous l’angle de la flore ?», de donner un jour la parole au reste du vivant. Mais acte en est pris ?: nous sommes visiblement entrés dans une nouvelle ère, l’Anthropocène, dans laquelle l’humanité a accédé à un nouveau rang, celui d’agent géologique. Pour être en mesure d’appréhender le réchauffement de l’atmosphère, l’extinction de nombreuses espèces vivantes, la raréfaction de ressources vitales et la possible multiplication d’accidents tectoniques ou épidémiques, qui semblent désormais des options sérieuses de notre futur proche, nombre de défis sont inscrits à l’agenda des experts. ? L’ère de l’humanité toute-puissante À cette urgence ont déjà répondu quelques auteurs, qui popularisent depuis peu cette notion d’Anthropocène, susceptible d’être officiellement reconnue et ajoutée à l’échelle des temps géologiques à l’occasion du XXXIVe Congrès international de géologie qui se réunira à Brisbane (Australie) en août 2012. L’Anthropocène succéderait ainsi à l’Holocène, ère débutée voici quelque 12 000 ans et caractérisée par un réchauffement naturel ayant favorisé les révolutions néolithiques (domestication des plantes et des animaux, préalable à l’établissement de sociétés sédentaires et hiérarchisées) dans certaines des zones tempérées du monde. L’idée n’est pas nouvelle. Le savant soviétique Vladimir Vernadsky, inventeur du terme « biosphère », prophétisait dans les années 1920 que l’humanité était en passe de devenir un « facteur géologique planétaire ». Mais c’est le prix Nobel de chimie 1995, Paul J. Crutzen, qui a popularisé la notion d’Anthropocène à partir de 2000, pour désigner une nouvelle ère géologique caractérisée par l’influence majeure de l’homme sur le milieu terrestre depuis les années 1850. Le diagnostic est sans appel : pour la première fois, les sociétés sont capables d’altérer de façon décisive l’environnement à l’échelle mondiale. Le choix du feu a triomphé Un article signé par P.J. Crutzen, Will Steffen et J.R. McNeill [1] expose nombre d’arguments susceptibles de prouver que le déploiement à grande échelle de processus de production gourmands en énergies fossiles a progressivement fait sortir la Terre de l’ère Holocène depuis la révolution industrielle. « Les activités humaines sont devenues si envahissantes et profondes qu’elles entrent en rivalité avec les grandes forces de la nature et poussent la Terre vers une terra incognita planétaire », avertissent-ils. Le tournant de la révolution industrielle, souligne Alain Gras, n’était pas pour autant joué d’avance, ni inscrit dans une optique d’évolution linéaire des sociétés. Pour lui comme pour les avocats de la théorie de l’Anthropocène, le choix combiné du capitalisme et de l’industrialisation était une alternative parmi d’autres modèles socioéconomiques à la disposition des sociétés du XIXe siècle. Mais c’est le choix du feu qui a triomphé. La combinaison occidentale, basée sur une croissance économique exponentielle et sur la combustion à très grande échelle de l’énergie issue du patrimoine fossile, charbon puis pétrole, portait dans son bagage une telle charge utopiste qu’elle s’est progressivement imposée à la planète entière. Longtemps, le modèle du confort pour tous a été l’apanage d’une fraction de la population mondiale. La libéralisation progressive des marchés, qui bat son plein depuis les années 1980, a rebattu les cartes. En une seule décennie, la classe moyenne mondiale a triplé. Des dizaines de millions de Chinois, d’Indiens, de Brésiliens…, accèdent aux standards de vie autrefois réservés aux seuls États- Uniens, Européens de l’Ouest et Japonais. Certains s’alarment aujourd’hui d’une possible apocalypse démographique quand les projections de l’Onu tablent sur un maximum de population atteint vers 2100, aux alentours de 10 ou 11 milliards d’habitants. C’est là poser un faux problème. Si notre Terre peut largement nourrir 11 milliards de personnes consommant peu, elle ne pourra suffire ne serait-ce qu’à 1 milliard vivant selon les standards états-uniens nous y sommes déjà. Ce n’est pas la démographie qu’il faudra contraindre, mais nos idéaux de vie… Ce qui promet des choix politiques douloureux voire, à l’heure où nous écrivons, irréalistes. Imposer les décisions nécessaires Aujourd’hui, les rapports affluent pour souligner que certaines catastrophes récentes, telle l’éruption du volcan Eyjafjöll en Islande qui paralysa le trafic aérien mondial au printemps 2010, seraient imputables à l’action de l’homme [2]. Le réchauffement climatique affaiblirait les glaciers, qui jouaient jusqu’ici le rôle de barrière en exerçant une formidable poussée sur le magma. Notons que 2010 a été, après 2005, la deuxième année la plus chaude jamais enregistrée depuis que l’on a commencé à relever les températures, vers 1800. Ce qui a fait dire au groupe d’assurance allemand Munich Re, dans un rapport de décembre 2010, que le réchauffement global était la seule explication plausible à la série de catastrophes « naturelles » qui a marqué 2010 : sécheresse incendiaire en Russie, phénoménales inondations au Pakistan, au Brésil et en Australie… Plus directement, le tremblement de terre du Sichuan, en Chine, qui provoqua 80 000 morts en mai 2008, pourrait avoir été provoqué par la formidable pression exercée par les 320 millions de tonnes d’eau du barrage de Zipingpu, construit sur une faille géologique. Certains vont jusqu’à estimer que l’activité humaine est à l’origine de la violence inattendue du séisme ayant provoqué le récent accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daï-Ichi, elle-même bâtie sur une faille sismique. Au-delà de ces catastrophes ponctuelles que nulle science, dans l’immédiat, ne saurait corréler avec une absolue certitude au réchauffement planétaire (qui, lui, est une donnée réelle et mesurable, serait-ce avec une marge d’erreur), les thèses sur l’influence de l’environnement sur l’histoire humaine s’imposent doucement. Il apparaît ainsi qu’il est possible de corréler nombre d’événements sociaux aux troubles météorologiques. Parmi les pionniers de cette approche, David D. Zhang qui, avec son équipe, a modélisé une approche qui montre clairement un lien quasi systématique de cause à effet entre les guerres qui ravagèrent la Chine entre l’an 1000 et 1911 et les variations climatiques. De ces premiers jalons posés en histoire environnementale s’impose une conclusion. Il y a urgence de réagir. Et en la matière, les inerties politiques ont la vie dure. À l’heure actuelle, les données environnementales ne sont accessibles qu’au compte-gouttes, quand elles ne sont pas, comme dans le cas des conséquences de l’explosion de la centrale de Fukushima, purement et simplement censurées par les gouvernements et les agences internationales au nom d’intérêts industriels ou nationaux. Or J.R. McNeill diagnostique qu’il y a les sociétés qui s’en sortent, et celles qui sont écrasées par les changements environnementaux qu’elles ont générés. Il donne moult exemples des deux voies. Pour ces sociétés qui ont su négocier le retour en arrière, il estime qu’il y a fallu trois facteurs : une mobilisation des citoyens, une réactivité des pouvoirs publics, une volonté des entreprises responsables. Pour ne prendre qu’un exemple canonique, l’abandon de ces CFC, ou fréons, gaz qui ravageaient la couche d’ozone, a été rendu possible par la synergie entre les préoccupations manifestées par des associations, l’implication des politiques et la nécessité ressentie par les industries de mettre un terme à un scandale susceptible à moyen terme d’altérer leur image et donc leur existence. Notons que ce problème particulier a bénéficié d’une conjoncture favorable : il existait une technologie de rechange, elle était commercialisable et autorisait de plus grands profits. Et qu’il va malgré tout persister. Les atteintes à uploads/Geographie/ anthropocene-laurent-testot.pdf

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