Jules Michelet (1798 - 1874) Tableau de la France (1861) Bibliothèque de Cluny
Jules Michelet (1798 - 1874) Tableau de la France (1861) Bibliothèque de Cluny Librairie Armand Colin, Paris, 1962 Un document produit en version numérique par Jean-Marc Simonet, bénévole, professeur retraité de l’enseignement de l’Université de Paris XI-Orsay Courriel: jmsimonet@wanadoo.fr Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://classiques.uqac.ca/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/ Jules Michelet — Tableau de la France (1861) 2 Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marc Simonet, bénévole. Courriel: jmsimonet@wanadoo.fr À partir du livre de : Jules Michelet (1798-1874) Tableau de la France (Première partie du vol. II de l’Histoire de France, édition définitive de 1861, E. Flammarion, Paris) Repris dans le recueil publié chez Albin Michel, Paris, 1962, pages 79-161. Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Arial, 12 points. Pour les notes de bas de page : Arial, 10 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2004 pour Macintosh. Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’) Édition numérique réalisée le 17 janvier 2007 à Chicoutimi, Ville de Saguenay, province de Québec, Canada. Jules Michelet — Tableau de la France (1861) 3 TABLEAU DE LA FRANCE L’Histoire de France commence avec la langue française. La langue est le signe principal d’une nationalité. Le premier monument de la nôtre est le serment dicté par Charles le Chauve à son frère, au traité de 843. C’est dans le demi-siècle suivant que les diverses parties de la France, jusque-là confondues dans une obscure et vague unité, se caractérisent chacune par une dynastie féodale. Les populations, si longtemps flottantes, se sont enfin fixées et assises. Nous savons maintenant où les prendre, et, en même temps qu’elles existent et agissent à part, elles prennent peu à peu une voix ; chacune a son histoire, chacune se raconte elle-même. La variété infinie du monde féodal, la multiplicité d’objets par laquelle il fatigue d’abord la vue et l’attention, n’en est pas moins la révélation de la France. Pour la première fois elle se produit dans sa forme géographique. Lorsque le vent emporte ce vain et uniforme brouillard, dont l’empire allemand avait tout couvert et tout obscurci, le pays apparaît, dans ses diversités locales, dessiné par ses montagnes, par ses rivières. Les divisions politiques répondent ici aux divisions physiques. Bien loin qu’il y ait, comme on l’a dit, confusion et chaos, c’est un ordre, une régularité inévitable et fatale. Chose bizarre ! nos quatre-vingt-six départements répondent, à peu de chose près, aux quatre-vingt-six districts des capitulaires, d’où sont sorties la plupart des souverainetés féodales, et la Révolution, qui venait donner le dernier coup à la féodalité, l’a imitée malgré elle. Le vrai point de départ de notre histoire doit être une division politique de la France, formée d’après sa division physique et naturelle. L’histoire est d’abord toute géographie. Nous ne pouvons raconter l’époque féodale ou provinciale (ce dernier nom la désigne aussi bien), sans avoir caractérisé chacune des provinces. Mais il ne suffit pas de tracer la forme géographique de ces diverses contrées, c’est surtout par leurs fruits qu’elles s’expliquent, je veux dire par les hommes et les événements que Jules Michelet — Tableau de la France (1861) 4 doit offrir leur histoire. Du point où nous nous plaçons, nous prédirons ce que chacune d’elles doit faire et produire, nous leur marquerons leur destinée, nous les doterons à leur berceau. Et d’abord contemplons l’ensemble de la France, pour la voir se diviser d’elle-même. Montons sur un des points élevés des Vosges, ou, si vous voulez, au Jura. Tournons le dos aux Alpes. Nous distinguerons (pourvu que notre regard puisse percer un horizon de trois cents lieues) une ligne onduleuse, qui s’étend des collines boisées du Luxembourg et des Ardennes aux ballons des Vosges ; de là, par les coteaux vineux de la Bourgogne, aux déchirements volcaniques des Cévennes et jusqu’au mur prodigieux des Pyrénées. Cette ligne est la séparation des eaux : du côté occidental, la Seine, la Loire et la Garonne descendent à l’Océan ; derrière s’écoulent la Meuse au nord, la Saône et le Rhône au midi. Au loin, deux espèces d’îles continentales, la Bretagne, âpre et basse, simple quartz et granit, grand écueil placé au coin de la France pour porter le coup des courants de la Manche ; d’autre part, la verte et rude Auvergne, vaste incendie éteint avec ses quarante volcans. Les bassins du Rhône et de la Garonne, malgré leur importance, ne sont que secondaires. La vie forte est au nord. Là s’est opéré le grand mouvement des nations. L’écoulement des races a eu lieu de l’Allemagne à la France dans les temps anciens. La grande lutte politique des temps modernes est entre la France et l’Angleterre. Ces deux peuples sont placés front à front comme pour se heurter ; les deux contrées, dans leurs parties principales, offrent deux pentes en face l’une de l’autre ; ou si l’on veut, c’est une seule vallée dont la Manche est le fond. Ici, la Seine et Paris ; là, Londres et la Tamise. Mais l’Angleterre présente à la France sa partie germanique ; elle retient derrière elle les Celtes de Galles, d’Écosse et d’Irlande. La France, au contraire, adossée à ses provinces de langue germanique (Lorraine et Alsace), oppose un front celtique à l’Angleterre. Chaque pays se montre à l’autre par ce qu’il a de plus hostile. L’Allemagne n’est point opposée à la France, elle lui est plutôt parallèle. Le Rhin, l’Elbe, l’Oder vont aux mers du Nord, comme la Meuse et l’Escaut. La France allemande sympathise d’ailleurs avec l’Allemagne sa mère. Pour la France romaine et ibérienne, quelle que soit la splendeur de Marseille et de Bordeaux, elle ne regarde que le vieux monde de l’Afrique et de l’Italie, et d’autre part le vague Océan. Le mur des Pyrénées nous sépare de l’Espagne, plus que la mer ne la sépare elle- même de l’Afrique. Lorsqu’on s’élève au-dessus des pluies et des basses nuées jusqu’au por de Vénasque, et que la vue plonge sur l’Espagne, on voit bien que l’Europe est finie ; un nouveau monde s’ouvre : devant, Jules Michelet — Tableau de la France (1861) 5 l’ardente lumière d’Afrique ; derrière, un brouillard ondoyant sous un vent éternel. En latitude, les zones de la France se marquent aisément par leurs produits. Au nord, les grasses et basses plaines de Belgique et de Flandre avec leurs champs de lin et de colza, et le houblon, leur vigne amère du Nord. De Reims à la Moselle commence la vraie vigne et le vin ; tout esprit en Champagne, bon et chaud en Bourgogne, il se charge, s’alourdit en Languedoc pour se réveiller à Bordeaux. Le mûrier, l’olivier, paraissent à Montauban ; mais ces enfants délicats du Midi risquent toujours sous le ciel inégal de la France 1. En longitude, les zones ne sont pas moins marquées. Nous verrons les rapports intimes qui unissent, comme en une longue bande, les provinces frontières des Ardennes, de Lorraine, de Franche-Comté et de Dauphiné. La ceinture océanique, composée d’une 1 Arthur Young, Voyage agronomique, T. II de la traduction, p. 189 : « La France peut se diviser en trois parties principales, dont la première comprend les vignobles ; la seconde, le maïs ; la troisième, les oliviers. Ces plants forment les trois districts : 1° du nord, où il n’y a pas de vignobles ; 2° du centre, où il n’y a pas de maïs ; 3° du midi, où l’on trouve les vignes, les oliviers et le maïs. La ligne de démarcation entre les pays vignobles et ceux où l’on ne cultive pas la vigne, est, comme je l’ai moi- même observé, à Coucy, à trois lieues du nord de Soissons ; à Clermont dans le Beauvoisis, à Beaumont dans le Maine, et à Herbignai près Guérande, en Bretagne. » — Cette limitation, peut-être trop rigoureuse, est pourtant généralement exacte. Le tableau suivant des importations dont le règne végétal s’est enrichi en France, donne une haute idée de la variété infinie de sol et de climat qui caractérise notre patrie : « Le verger de Charlemagne, à Paris, passait pour unique, parce qu’on y voyait des pommiers, des poiriers, des noisetiers, des sorbiers et des châtaigniers. La pomme de terre, qui nourrit aujourd’hui une si grande partie de la population, ne nous est venue du Pérou qu’à la fin du seizième siècle. Saint Louis nous a apporté la renoncule inodore des plaines de la Syrie. Des ambassadeurs employèrent leur autorité à procurer à la France la renoncule des jardins. C’est à la Croisade du trouvère Thibaut, comte de Champagne et de Brie, que Provins doit ses jardins de roses. Constantinople nous a fourni le marronnier d’Inde au commencement du dix- septième siècle. Nous avons longtemps envié à la Turquie la tulipe, dont nous possédons maintenant neuf cents espèces plus belles que celles des autres pays. L’orme était à peine connu en France uploads/Geographie/ michelet-jules-tableau-de-la-france-uqac.pdf
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- Publié le Aoû 02, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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