A la mémoire de Leon ªimanschi (1938-2005) LA DÉBÂCLE de l’ost croisé à Varna (
A la mémoire de Leon ªimanschi (1938-2005) LA DÉBÂCLE de l’ost croisé à Varna (10 novembre 1444) ainsi que la fin tragique du monarque Ladislas (Władysław) III Jagellon1 provoquèrent un vif émoi à Cracovie et à Buda. Les deux puissances majeures de l’Europe orientale enfin réunies dans un combat suprême pour délivrer la cité impériale de Constantinople de l’encerclement ottoman se retrouvèrent du jour au lende- main sans roi et le front de la croisade fut brisé d’un seul coup. En Pologne, le désarroi de la noblesse fut à son comble, car plusieurs prélats de l’Eglise ainsi que beaucoup de chevaliers illustres de la garde qui chargèrent imprudemment dans la journée fatidique y laissèrent leurs vies sur le champ de bataille ou furent capturés2. Quant à la tête royale, elle fut promenée au bout d’une lance à travers les villes ottomanes pour être ensuite offerte comme trophée au sultan mamelouk az-Zahir Saif ad-Din Čakmak (1438-1453)3. Macabre épilogue, qui reflétait l’ampleur du désastre, tel qu’il fut raconté dans les chroniques de l’époque, Historia de rege Vladislao de Callimachus Buonacorsi ou les Annales de Jean Dlugosz4, d’autant que la Diète réunie en août 1444 à Piotrków « … sentant la nécessité de la présence de son roi au pays alors que tant d’affaires attendaient son retour , se prononçât contre l’expédition turque »5. Après la période de l’interrègne instauré en 1445, sous le gouvernement du cardinal Zbigniew Oleśnicki (1389 – 1455), du chancelier Jean T aszka Koniecpolski L’expédition polonaise de 1450 en Moldavie et la bataille de la petite rivière de Crasna (Izvorul Crasnei, 6 septembre 1450) EMANUEL CONSTANTIN ANTOCHE Ce travail de recherche a été effectué dans le cadre du projet « ªtiinþele socio-umaniste în contextul evoluþiei globalizate – dezvoltarea ºi implementarea programului de studii ºi cercetare postdoctorale », développé par Academia Românã (contract POSDRU 89/1.5/S/61104). (? – 1455) et de la puissante famille Tęczyński, oligarchie qui représentait les intérêts de l’Eglise et des magnats de la Malopolska, la Pologne choisit en sep- tembre 1446 un nouveau monarque, Casimir Jagellon, grand duc de Lithuanie (depuis 1440 sous le nom de Kazimieras) et frère de Ladislas III. Il a fallu âprement négocier le maintien de l’union personnelle polono-lithuanienne, tel qu’il a été défini au temps du feu Ladislas II Jagellon (1386-1434), une sorte d’hégémonie fédérative dans la mesure où les deux pays avaient poursuivi pra- tiquement des politiques séparées durant plusieurs décennies. Indubitablement, les boyards lithuaniens commencèrent à requérir les mêmes droits et privilèges que la noblesse polonaise, exigences que le roi Casimir IV s’empressa de garan- tir par la charte qu’il signa à Wilno (2 mai 1447), quelques semaines avant son couronnement (25 juin 1447)6. Dans le problème de l’accès à la mer qui se posait dès lors pour la constella- tion politique de Jagellons, les tendances étaient plutôt divergentes. Pour les magnats, la szlachta et les échevins des villes de la Wielkopolska, l’effort princi- pal aurait dû être dirigé vers la Baltique où les possessions de l’Ordre teuto- nique en Prusse et en Poméranie constituaient le principal obstacle. De son côté, la noblesse de la Malopolska et de la Lithuanie, regardait vers l’est et sur- tout vers le sud, tentée à se tailler de nouvelles conquêtes et se frayer un che- min vers le littoral septentrional de la mer Noire7. Cet axe, Baltique – mer Noire, colonne vertébrale géostratégique de l’union polono-lithuanienne cor- respondant en quelque sorte aux velléités expansionnistes de la monarchie s’iden- tifiait aussi aux voies commerciales qui traversaient l’Europe orientale à cette époque et dont la plus importante était Dantzig (Gdansk) – V arsovie – Lublin – Lwów (Leopol, Lemberg, Liov). Cette dernière ville représentait un nœud commercial d’intérêt majeur, car une route la ralliant à Cracovie assurait le tra- fic avec le royaume de Bohème et les bourgs allemands du Saint Empire, tan- dis qu’à l’est, elle était en communication avec Kiev, cité florissante sur les bords du Dniepr8. De Lwów partaient aussi vers le sud les routes commerciales qui traversaient la principauté vassale de Moldavie jusqu’au liman du Dniestr et aux bouches du Danube, zones dominées par les villes portuaires de Cetatea Albã (Asprokastron, Aqkerman, Bielgorod Dniestrovski) et de Chilia (Kili) avec l’ancien Licostomo9. Pareil au principe des vaisseaux communicants, Chilia10 et Cetatea Albã représentaient les principaux débouchés qui reliaient la Baltique et l’Europe centrale à la mer Noire, leur possession assurant incon- testablement le contrôle du Bas Danube et du basin du Dniestr. De quelle manière le royaume de Pologne arrivait à assurer son emprise sur le segment méridional de ces routes ? L’hommage de vassalité prêté personnel- lement et régulièrement depuis 1387 par les princes de Moldavie11 ne prévoyait que deux obligations du droit médiéval : auxilium et consilium. Selon une juste observation de Petre P . Panaitescu, il n’y avait pas d’autre situation avantageuse 302 • TRANSYLVANIAN REVIEW • VOL. XIX, SUPPLEMENT NO. 2:2 (2010) pour la puissance suzeraine à part la libre circulation et la sécurité de ses com- merçants sur le territoire de la principauté vassale. Non sans raison, le chroni- queur Martin Cromer (1512-1589) considérait cette vassalité comme une sorte de clientélisme dans le sens antique du terme12. Le règne d’Alexandre le Bon (avril 1400 – janvier 1432) allait demeurer dans la mémoire commune des Moldaves comme une longue période de paix, de stabilité intérieure et de prospérité économique13. Politiquement, le voïévode maintint l’alliance avec le royaume polonais, qu’il renouvela d’ailleurs à plu- sieurs reprises : 1404, 1407, 1411, 1415, 1417. Alexandre envoya aussi de l’ai- de militaire à son suzerain, confronté à cette époque à une longue guerre avec les chevaliers teutoniques, des contingents moldaves en participant d’ailleurs au sein de l’armée polono-lithuanienne à la célèbre bataille de Grunwald (Tannenberg, le 15 juillet 1410) ainsi qu’au siège de Marienburg (Malborg), la résidence de l’ordre, en 1422. Bien que le prince de Moldavie ait rempli ses obligations qui découlaient de son allégeance, ni Ladislas II Jagellon, ni le grand-duc de Lithuanie ne firent quelque chose pour secourir leur vassal lorsque les Ottomans attaquè- rent au début de l’été 1420 la forteresse de Cetatea Albã. Trois ambassades moldaves se succédèrent en mai – juin à la cour du royaume pour solliciter du soutien militaire contre la menace qui pesait aux frontières méridionales. Alexandre dut repousser seul cette attaque tout en réfléchissant à l’efficacité de l’alliance avec la Pologne qu’il rompit d’ailleurs vers la fin de son règne14. Cette présence ottomane au Bas Danube et dans la Dobroudja voisine allait d’ailleurs bouleverser l’équilibre des forces en Europe Orientale15 tout en déter- minant la particularité géopolitique de la principauté moldave – celle d’un État–tampon entouré par la Pologne-Lithuanie, le royaume de Hongrie et l’Empire ottoman – espace convoité, car circonscrit par les Carpates, le Dniestr, les bouches du Danube et le littoral septentrional de la Mer Noire. Il faut souligner aussi que l’absence d’une règle stricte régissant la succes- sion des princes au trône eut souvent des conséquences désastreuses pour la stabilité politique de la Moldavie à cette époque de son histoire16. A partir de 1432, la principauté moldave allait sombrer pour une durée de presque trois décennies dans la guerre civile, période de troubles provoquée par des luttes pour le pouvoir entre les rejetons d’Alexandre le Bon, les princes Iliaº, Etienne II et Pierre III, ainsi que leurs successeurs17. Ce combat acharné avec de vifs revire- ments de situation accentua davantage l’emprise polonaise sur la Moldavie, la puissance suzeraine offrant souvent asile et soutien militaire aux princes défaits sur le champ de bataille. Ce fut le cas d’Iliaº lorsqu’il perdit pour la première fois son trône, vaincu par Etienne II à Loloni en septembre 1433. Mais n’ou- blions pas que ce prince avait épousé le 25 octobre 1425 à Suceava, Marie (Mańka) Holszańska, de la famille lithuanienne Olgimontovici–Holszański, soeur cadet- • 303 te de Sofia Holszańska, reine de Pologne et mère de Ladislas III et de Casimir IV Jagellon18. Selon la chronique de Dlugosz, ce fut elle-même qui alla retrouver le roi à Lwów, vers la fin du juillet 1448 pour lui offrir 200 cavaliers moldaves qui avaient servi sous les ordres de son fils, le prince Roman II qui chassé du pouvoir en Moldavie par Pierre III, le fils cadet d’Alexandre le Bon, et réfugié en Podolie, perdit même sa vie, probablement empoisonné par les boyards de son entoura- ge (2 juillet). Pierre venait d’être intronisé, entre fin février et fin avril par les troupes de Csupor de Monoszló, un noble croate à la solde du gouverneur de Hongrie19. Ce changement de pouvoir doit être compris et mis en relation avec les pré- paratifs pour une nouvelle expédition contre les Ottomans20, car dans la lutte suprême qui s’annonçait après V arna, Hunyadi devait s’assurer impérativement le flanc gauche danubien en installant des hommes de confiance au pouvoir en Moldavie et dans la Valachie voisine. C’est dans ce cadre qu’il élimina aussi Vlad Dracul (1437–1442 ; 1444–1447), le voïévode de cette dernière princi- pauté, parce qu’il s’était réconcilié avec les Ottomans, uploads/Geographie/ antoche-e-l-x27-expedition-polonaise-de-1450-en-moldavie-et-la-bataille-de-la-petite-riviere-de-crasna-pdf.pdf
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- Publié le Mai 22, 2022
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