– 2 – DU MÊME AUTEUR La Révolte des élites et la trahison de la démocratie, Cha

– 2 – DU MÊME AUTEUR La Révolte des élites et la trahison de la démocratie, Champs- Flammarion. La Culture du narcissisme, Champs-Flammarion. Le Moi assiégé : essai sur l’érosion de la personnalité, Climats. Le seul et vrai paradis : une histoire de l’idéologie du progrès et de ses critiques, Champs-Flammarion. Les Femmes et la vie ordinaire : amour, mariage et féminisme, Champs-Flammarion. – 3 – Christopher Lasch CULTURE DE MASSE OU CULTURE POPULAIRE ? Traduction de l’anglais (États-Unis) par Frédéric Joly Avant-propos par Jean-Claude Michéa CLIMATS – 4 – Titre original : Mass Culture Reconsidered. © Nell Lasch, 1981. © Climats, Castelnau-Le-Lez, 2001 ; Climats, un département des éditions Flammarion, 2011. ISBN : 978-2-0812-5579-1 – 5 – Avant-propos « Aujourd’hui il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous devons être conservateurs au sens authentique, conservateurs dans un sens qu’aucun homme qui s’affiche conservateur n’accepterait ». Gunther Anders (1977). Depuis le milieu du XVIIIe siècle, époque à laquelle elle est achevée dans ses grandes lignes, la métaphysique libérale – ou, ce qui revient au même, l’Économie politique1 – n’a cessé d’annoncer aux hommes qu’une société merveilleuse, capable d’assurer à tous la paix, le bonheur et la prospérité, se trouvait à portée de leurs mains. Pour bénéficier de cette nouvelle Jérusalem il suffirait simplement qu’ils renoncent, une fois pour toutes, à leurs coupables « archaïsmes » et consentent enfin à régler l’ensemble de leurs conduites sur les seules exigences de la Raison ; celle, du moins, dont le calcul marchand, « pour le plus grand bonheur possible du plus grand nombre possible2 », est supposé offrir le modèle accompli. En imaginant ainsi les contours d’un monde dont l’Économie serait devenue l’unique 1 Sur la naissance, et les enjeux politiques et philosophiques, de cette curieuse discipline, deux ouvrages remarquables sont parus récemment : Yves Citton, Portrait de l'économiste en physiocrate, L'Harmattan, 2000, et Jean- Joseph Goux, Frivolité de la valeur. Essai sur l'imaginaire du capitalisme, Blusson, 2000. 2 Selon la formule inventée par Beccaria et popularisée par Bentham. – 6 – religion, les fondateurs de la doctrine capitaliste ne pouvaient que légitimer par avance le projet d’étendre à la culture et au divertissement eux-mêmes les principes implacables de la rationalité marchande. De fait, l’édification méthodique d’une culture de masse, c’est-à-dire d’un ensemble d’œuvres, d’objets et d’attitudes, conçus et fabriqués selon les lois de l’industrie, et imposés aux hommes comme n’importe quelle autre marchandise, a sans doute constitué l’un des aspects les plus prévisibles du développement capitaliste ; aspect, du reste, analysé et dénoncé comme tel, dès les années trente, dans les travaux précurseurs de l’École de Francfort. Ce qui était plus difficile à prévoir, en revanche, – du moins pour ceux qui ne déchiffrent l’époque présente qu’avec l’aide des sous- titres de la propagande officielle – c’est le procès dont, à partir des années soixante, les critiques radicales de l’industrialisation de la culture seraient à leur tour l’objet, au sein même de la Gauche. C’est, en effet, à cette date que la réhabilitation de la culture de masse – et, par conséquent, des « nouvelles technologies de l’information et de la communication » qui en sont le présupposé matériel immédiat – commença à devenir un exercice obligé de cette « contre-culture » (ou, comme on dirait bientôt, de la culture jeune) que les fractions les plus avancées des nouvelles classes moyennes, un peu partout dans le monde occidental, allaient s’employer à opposer à la « culture bourgeoise », avec un enthousiasme et une bonne conscience, directement proportionnels à leur absence d’esprit critique. Tout cela entrepris, il va sans dire, au nom de l’idée, désormais banalisée par les médias et validée par la sociologie d’État, que toute critique un peu radicale du Spectacle et de l’industrie culturelle ne pouvait procéder que d’une pensée conservatrice, d’un élitisme bourgeois ou, selon les plus psychologues, d’un esprit chagrin et nostalgique. Aux États-Unis, Herbert Gans est, assurément, celui qui sut conférer à cette entreprise de réhabilitation sa forme médiatique idéale, c’est-à-dire à la fois la plus naïve et la plus dépourvue de cohérence intellectuelle3. En rédigeant le bref essai que nous publions 3 Herbert Gans, Popular Culture and High Culture : An analysis and évaluation of taste, New York, Basic Books, 1974. – 7 – aujourd’hui4, c’est donc bien avec une des figures « emblématiques » de la gauche américaine moderne, que l’auteur de La Culture du narcissisme choisissait de s’expliquer. Comme on pourra le constater, l’intelligence philosophique de Lasch fut, avant tout, de refuser les nouvelles règles imposées au débat intellectuel, et de substituer, selon son habitude, l’attaque à la défense. Loin de se contenter, en effet, d’une simple réfutation des niaiseries modernistes d’Herbert Gans, il entreprit d’en dévoiler les deux postulats cachés, postulats qui contribuent, de nos jours encore, à conférer à la sensibilité libérale-libertaire cette incontestabilité apparente qui en fait le conformisme de notre temps. Le premier postulat, qui est la condition même du discours de l’économie politique, c’est l’idée que l’être humain – une fois dépouillé de tous ses oripeaux symboliques5 par les différentes théologies du soupçon – n’est fondamentalement rien d’autre qu’un consommateur, c’est-à- dire une pure et simple machine désirante, contrainte par sa nature à maximiser son utilité, de toutes les façons possibles6. Une fois cette 4 Mass culture reconsidered est paru pour la première fois dans le numéro d'octobre 1981 de la revue Democracy. 5 En écrivant que « tout ce qui est symbolique est dérisoire » (Charlie Hebdo, 14 février 2001), le brave Cavanna résume à la perfection l'anthropologie du Capital. Mais c'est malheureusement pour y voir le sommet de la sagesse critique. 6 Le grand mérite des recherches de Jean-Joseph Goux est d'avoir établi que le concept d'utilité - tel qu'il fonctionne dans l'univers du discours économique moderne - incluait, dès l'origine, le passage perpétuel de l'intérêt au désir. Selon la définition classique de Charles Gide, l'utilité d'une chose désigne ainsi, aux yeux de l'économiste contemporain, sa seule « propriété de satisfaire un désir quelconque de l'homme, raisonnable, stupide, ou coupable, pain, diamant ou opium, il n'importe ». Léon Walras ajoute — dans ses Éléments d'économie pure — « qu'il n'y a pas à tenir compte ici de la moralité ou de l'immoralité du besoin auquel répond la chose utile et qu'elle permet de satisfaire. Qu'une substance soit recherchée par un médecin pour guérir un malade, ou par un assassin pour empoisonner sa famille, c'est une question très importante à d'autres points de vue mais tout à fait indifférente au nôtre. La substance est utile pour nous, dans les deux cas, et peut- être plus dans le second que dans le premier. » Sur tous ces problèmes, on lira également Jean-Joseph Goux, L'utilité : équivoque et démoralisation, revue du MAUSS n° 6, 1995. – 8 – réduction de l’homme au consommateur tenue pour acquise, il devient naturellement intellectuellement impossible d’objecter quoi que ce soit à celui qui s’obstine à répondre, conformément aux principes de la plus vieille sagesse marchande, que le client est roi. Si l’exercice de la liberté humaine doit se confondre avec la question des choix d’un consommateur confronté à un marché donné, chacun se retrouve, en effet, légitimement fondé, pourvu qu’il y mette le prix, à exiger qu’une offre corresponde à n’importe laquelle de ses demandes, fut-elle la plus absurde ou la plus immorale. Du point de vue libéral-libertaire, il est ainsi parfaitement légitime de défendre jusqu’à ses ultimes conséquences l’idée d’un « droit de tous sur tout » (selon l’expression de Hobbes), que ce soit, par exemple, le droit d’exploiter librement son prochain, ou d’épouser son chien, ou encore de travailler joyeusement à remplacer le « vieil homme » (St Paul et St Augustin) par l’homme nouveau, c’est-à-dire – selon la définition, de nos jours, la plus couramment admise – par un « animal assis, qui contemple un écran » ; remplacement qui constitue, certes, un progrès, mais dont la réalisation intégrale semble inclure un certain degré d’assistance chimique, voire, probablement, quelques indispensables modifications génétiques7. 7 Ce droit de tous sur tout (« prenez vos désirs pour des réalités ») a, évidemment, pour corrélat logique − nul n'étant disposé à céder sur son propre désir − le droit de tous à se plaindre de tout. C'est la raison pour laquelle le projet d'un monde, où chacun aurait le droit de « vivre sans temps morts et de jouir sans entraves », porte inévitablement avec lui son complément pratique : la « guerre de tous contre tous par avocats interposés », guerre qui n'en est encore qu'à ses débuts, mais n'est déjà plus seulement américaine. Quand donc la tyrannie du politiquement correct en vient à se retourner contre la tyrannie du plaisir (alors même que l'univers médiatique exhibe quotidiennement l'unité dialectique des deux, par exemple la chasse aux pédophiles et la promotion simultanée des Lolitas), on assiste au spectacle étrange de Mai 68 uploads/Geographie/ culture-de-massse-ou-culture-populaire-christopher-lasch.pdf

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