CHAPITRE 3. APPRENDRE À LIRE À L’ÂGE ADULTE Régine Kolinsky in Ludovic Ferrand

CHAPITRE 3. APPRENDRE À LIRE À L’ÂGE ADULTE Régine Kolinsky in Ludovic Ferrand et al., Psychologie cognitive des apprentissages scolaires Dunod | « Univers Psy » 2018 | pages 67 à 75 ISBN 9782100775569 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/psychologie-cognitive-des-apprentissages- scolaires---page-67.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Dunod. © Dunod. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Par Régine Kolinsky (Fonds de la recherche scientifique-­ FNRS, Belgique ; Unité de recherche en neurosciences cognitives (UNESCOG) ; Centre de recherche cognition & neurosciences (CRCN) ; Université Libre de Bruxelles (ULB, Belgique)) et José Morais (Unité de recherche en neurosciences cognitives (UNESCOG) ; Centre de recherche cognition & neurosciences (CRCN) ; Université Libre de Bruxelles (ULB, Belgique)). © Dunod | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info par benedicte schmitz via Haute Ecole Bruxelles-Brabant (IP: 109.136.105.188) © Dunod | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info par benedicte schmitz via Haute Ecole Bruxelles-Brabant (IP: 109.136.105.188) Sommaire 1. Niveau ­ d’expertise et processus ­ d’acquisition................................... 70 2. Réorganisation cérébrale................................................................... 72 © Dunod | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info par benedicte schmitz via Haute Ecole Bruxelles-Brabant (IP: 109.136.105.188) © Dunod | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info par benedicte schmitz via Haute Ecole Bruxelles-Brabant (IP: 109.136.105.188) © Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit. 69 ­ L’alphabétisation à ­ l’âge adulte constitue un domaine de grande importance sociétale, car il y a encore beaucoup ­ d’adultes dans le monde qui ne savent pas lire : 780 millions, soit 16 % de la population de 15 ans et plus. En Afrique, ­ c’est le cas de presque deux tiers de la population au Burkina Faso et au Niger, de plus de la moitié au Bénin, au Tchad, en Éthiopie, en Guinée, au Mali et au Sénégal, et de plus ­ d’un tiers dans huit autres pays. Ailleurs, certains pays dits émergents contribuent aussi fortement aux statistiques en la matière. ­ C’est le cas, notamment, de ­ l’Inde, où 37,2 % des personnes (287 millions) de 15 ans et plus étaient illettrées en 2010, et du Brésil, qui présente un taux ­ d’analphabétisme de 7 %, soit plus de 10 millions ­ d’adultes analphabètes, dont environ 650 000 entre 15 et 24 ans. Enfin, contrairement à ce que nous pour- rions croire, certains pays européens recensent eux aussi un taux important ­ d’analphabétisme, comme le Portugal, avec 4 % ­ d’adultes analphabètes, selon le EFA Global Monitoring Report 2015 (unesdoc.unesco.org). Or, ne pas savoir lire à ­ l’âge adulte condamne souvent à ­ l’exclusion sociale et à la pauvreté. Au-­ delà de la mise en place ­ d’une éducation universelle de qualité accessible à tous les enfants, il est donc important de remédier à cette situation. ­ L’alphabétisation à ­ l’âge adulte soulève cependant plusieurs questions dont la première conditionne toutes les autres et doit être posée même si vrai- semblablement tout le monde lui donne la même réponse : est-­ ce possible ? Oui, bien sûr ! Les preuves sont multiples. Non seulement les campagnes ­ d’alphabétisation qui ont eu lieu dans tant de pays, dont les illustrations les plus réussies ont été celles de ­ l’ex-­ URSS, de Cuba, de la Chine et de la Tanzanie, mais aussi les cours ­ d’alphabétisation pour adultes organisés dans nos pays européens le confirment amplement. Nous-­ mêmes pouvons en témoigner, car nous avons examiné beaucoup ­ d’ex-­ analphabètes, que ­ l’on appelle aussi « lecteurs tardifs ». Tout comme les analphabètes, pour des raisons stricte- ment sociales et économiques, ces personnes ­ n’ont jamais eu ­ l’occasion de fréquenter ­ l’école pendant leur enfance, mais ont bel et bien réussi à apprendre à lire à ­ l’âge adulte (e.g. Morais, Cary, Alegria & Bertelson, 1979). Pourquoi dès lors abordons-­ nous ce thème en posant cette question si naïve ? Parce que, en France, il y a eu et il persiste sans doute encore dans certains milieux ­ l’idée que le langage écrit est un autre langage, un langage à part entière, ­ qu’on peut mettre en parallèle avec le langage parlé. Cette conception semble ignorer que, contrairement au langage parlé, ­ l’écrit a émergé récemment dans ­ l’histoire de notre espèce, il y a un peu plus de 5 000 ans, et ­ l’alphabet, un peu moins de 3 000 ans, comme produit culturel © Dunod | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info par benedicte schmitz via Haute Ecole Bruxelles-Brabant (IP: 109.136.105.188) © Dunod | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info par benedicte schmitz via Haute Ecole Bruxelles-Brabant (IP: 109.136.105.188) 70 Psychologie cognitive des apprentissages scolaires de notre inventivité cognitive. Surtout, cette conception semble vouloir ignorer que ­ l’acquisition du langage parlé est, elle, soumise à une période critique : le manque ­ d’exposition au langage parlé et ­ d’interaction langagière au cours des premières années de vie compromet son développement de manière irrémédiable. Comme nous venons de le souligner, il ne semble pas que ce soit le cas du langage écrit, qui peut être acquis même à ­ l’âge adulte. Il ­ n’empêche que ­ l’alphabétisation à ­ l’âge adulte soulève des questions spécifiques. Premièrement, il est légitime de se demander si, en ­ n’étant alphabétisé ­ qu’à ­ l’âge adulte, il est possible ­ d’acquérir le même niveau ­ d’expertise, de maîtrise des habiletés de lecture ­ qu’en apprenant pendant ­ l’enfance, et si ­ l’apprentissage a lieu selon le même parcours et les mêmes processus, ou ­ d’une manière partiellement différente. Deuxièmement, puisque nous savons ­ aujourd’hui que la lecture apprise pendant ­ l’enfance a pour effet de réorganiser considérablement les régions du cerveau impli- quées dans le langage et dans certaines capacités visuelles et ­ d’influencer les traitements perceptifs correspondants (Dehaene et al., 2010), il est inté- ressant ­ d’examiner dans quelle mesure ces réorganisations et influences se produisent quand ­ l’alphabétisation a lieu tardivement. 1. Niveau ­ d’expertise et processus ­ d’acquisition ­ L’impact de ­ l’âge ­ d’acquisition de ­ l’écrit sur le niveau de maîtrise des habi- letés de lecture reste une question largement ouverte en ce qui concerne les adultes. En réalité, cette question ­ n’a été examinée que pour une tranche ­ d’âge restreinte, typiquement en comparant le progrès ­ d’enfants débutant ­ l’apprentissage de la lecture à 5, 6, ou 7 ans, et sans prise en compte des méca- nismes perceptifs, cognitifs et cérébraux sous-­ jacents. De plus, dans la plupart des études, les comparaisons ont été faites soit entre pays différents, soit entre écoles publiques et privées, ce qui introduit une confusion soit avec des diffé- rences orthographiques entre langues (différences qui rendent ­ l’acquisition de la lecture plus ou moins difficile), soit avec des facteurs socioculturels. Il est certes vrai que les adultes lecteurs tardifs atteignent rarement les mêmes performances en lecture que les personnes ayant appris à lire pendant ­ l’enfance, mais cette différence pourrait ­ n’être due ­ qu’à une moindre pratique quotidienne de la lecture, et/ou à une motivation moindre. © Dunod | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info par benedicte schmitz via Haute Ecole Bruxelles-Brabant (IP: 109.136.105.188) © Dunod | Téléchargé le 17/12/2020 sur www.cairn.info par benedicte schmitz via Haute Ecole Bruxelles-Brabant (IP: 109.136.105.188) 71 Apprendre à lire à l’âge adulte ■ Chapitre 3 Ce qui est toutefois établi, ­ c’est que, tout comme lors de ­ l’acquisition de la lecture chez les lecteurs précoces, se développe chez les lecteurs tardifs dans une région du cortex occipito-­ temporal gauche un réseau neuronal qui prend en charge la reconnaissance des suites de lettres. On a appelé ­ l’aire corres- pondante « VWFA » (pour visual word form area), ou « boîte aux lettres du cerveau » (Dehaene, 2007). Les lecteurs tardifs présentent des niveaux ­ d’activation cérébrale de la VWFA moindres que les lecteurs précoces, mais ces différences semblent dépendre de leur niveau plus faible en lecture : elles ­ s’annulent si on ajuste les niveaux de lecture (Dehaene et al., 2010). Donc, tant chez les lecteurs tardifs que précoces, ­ l’apprentissage de la lecture mène au développement ­ d’une nouvelle interface permettant ­ d’accéder, à partir de la vision, à des représentations qui sont normalement propres au langage parlé, les représentations phonologiques. De fait, si le langage écrit ­ n’est uploads/Geographie/ apprendre-a-lire-a-l-x27-age-adulte.pdf

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