ARRAULT Jean-Baptiste Géographie-cités, UMR 8504, Equipe EHGO 13 rue du Four 75
ARRAULT Jean-Baptiste Géographie-cités, UMR 8504, Equipe EHGO 13 rue du Four 75006 Paris tél : 06 63 30 30 78 jbarrault@parisgeo.cnrs.fr Titre de l’article : Géographie et mondialisation. Les géographes français face à la crise des années 1930. J.-B. Arrault, Doctorant Université de Paris I/UMR 8504, Géographie-cités, Equipe EHGO. Résumé : Contrairement à ce qui est couramment pensé de la géographie française dans l’entre-deux-guerres (une géographie triomphante mais routinière et excessivement régionaliste), il apparaît que les années 1930, marquées par la crise économique mondiale, ont constitué un moment où non seulement la géographie humaine s’est appropriée de nouveaux objets, mais aussi où elle a modifié ses protocoles explicatifs : l’échelle mondiale est devenue en effet pour un grand nombre de géographes un élément important à prendre en compte dans l’analyse. Cette manifestation paradoxale de la mondialisation en géographie permet ainsi de relire l’histoire de la discipline à son époque classique : on propose de valoriser le contexte critique des années 1930 dans l’ouverture de la géographie à la mondialisation. Mots-clé : Crise des années 1930, Explication géographique, Histoire de la Géographie, Géographie économique, Mondialisation. Geography and Globalization. French Geographers in front of the 1930’s Crisis. Abstract : In contrary to what is generally thought about french geography during the 1920s and 1930s, that is to say a triumphant geography but too set in its regionalistic ways, the paper intends to show that the 1930s, with the world economic crisis, were a time when human geography not only discovered some new objets, but also modified its own procedures of explanation. The world scale became indeed for a lot of geographers an essential part of analysis. This quite paradoxal emergence of globalization in the geographical discourse allows us to reread the french geography’s history in its classical age. That implies to emphasize the role of the 1930s critical context in the opening up of geography to globalization. Key-words : 1930s World Crisis, Economic Geography, Geographical Explanation, History of Geography, Globalization. 1 Les années 1930 et même tout l’entre-deux-guerres sont très souvent considérés, par les historiens de la mondialisation, comme une période de repli, entre la « première mondialisation » d’avant 1914 (Berger, 2003) et les Trente Glorieuses. Ce schéma a le mérite de la clarté ; il convient même, à la rigueur, si l’on se contente de définir la mondialisation à partir de critères économiques tels que le commerce extérieur ou les investissements à l’étranger. Mais si l’on cherche à définir plus spécifiquement la mondialisation comme un processus de mise en relation et surtout de mise en dépendance des parties du monde entre elles, comme une dynamique de rupture d’isolement, on ne voit pas a priori en quoi l’internationalisation des économies produirait plus de mondialité (dimension mondiale des phénomènes) qu’une crise économique d’échelle mondiale. Il s’agit certes alors d’une mondialité « en négatif », mais les pays du monde ne se trouvent pas moins en état de dépendance mutuelle. Si les années 1920 et 1930 ont été marquées par la montée des nationalismes, le repli sur les empires coloniaux, le désir d’autarcie, il n’est pas certain que les contemporains aient été convaincus de la possibilité d’une telle (re)fermeture du monde ni d’une disparition de toute mondialité. En géographie, il semble bien, a contrario, que l’on se soit trouvé face à une sorte de dilemme, pour reprendre un terme d’Ernest Minor Patterson dans un ouvrage de 1930 où il examine « l’obstacle qu’oppose le nationalisme au libre mouvement de population et de denrées nécessaires à une époque de dépendance économique internationale » (Platt, 1931a). Le discours géographique des années 1930, tel qu’il s’exprime, pour ce qui nous concerne ici, dans les Annales de Géographie et dans les comptes rendus de la Bibliographie Géographique Internationale, oscillerait ainsi entre le constat d’un repli sur l’Etat-nation, avec une montée du protectionnisme, et celui d’une interdépendance entre les nations, qu’accompagne un plaidoyer récurrent pour la réouverture des frontières. Pour nombre de géographes, l’autarcie, même dans le cadre impérial, est un rêve, et la conjoncture économique des années 1930 agirait comme un révélateur de solidarité internationale, serait l’occasion d’une prise de conscience, sinon totalement nouvelle, du moins fortement renouvelée, d’un niveau avancé d’interpénétration des économies. L’enjeu serait donc de caractériser plus précisément cette prise de conscience, de cerner combien les géographes des années 1930, au contraire des modèles historiographiques établis, sont non seulement très soucieux de ce qui se passe dans le monde (c’est l’« irruption du monde », le souci d’être en prise avec l’actualité, selon Robic, 1996a, p. 216) mais également, et comme en conséquence, très sensibles à la dimension mondiale des problèmes économiques. Plusieurs aspects mériteraient d’être abordés : l’omniprésence thématique et lexicale du mondial dans le discours géographique, l’intérêt manifeste pour le commerce, la production, la consommation, le marché, et ce à l’échelle mondiale, la conscience explicitée d’une interdépendance entre les nations, l’importance accrue en géographie de la statistique… Nous voudrions porter seulement l’attention dans cet article sur, d’une part, les interprétations habituelles de cette période de crise et de la géographie française classique, pour les mettre en discussion, en insistant notamment sur leur caractère insuffisamment archéologique (au sens où elles ne retourneraient pas assez aux textes), et d’autre part, sur l’attitude des géographes face à la crise économique elle-même, leur façon d’analyser son apparition, son fonctionnement, son évolution, les remèdes qu’on a tenté de lui appliquer. L’ambition est au final de corriger quelque peu le regard porté sur les années 1930, en montrant que ces années de crise pourraient être, en quelque manière, pensées sous le signe de la mondialisation – voire qu’a eu lieu dans les années 1930 une émergence décisive, quoique paradoxale, de l’échelle mondiale en géographie1. 1 Cet article s’inscrit dans une thèse en cours, dirigée par Marie-Claire Robic, sur l’émergence de la mondialisation dans les problématiques de la géographie, de la fin du XIXe siècle aux années 1950. 2 1. La géographie en temps de crise : éléments d’une controverse historiographique. La crise des années 1930 dans l’histoire de la mondialisation. Les historiens de la mondialisation ont pris l’habitude de proposer pour la période contemporaine (XIXe-XXe siècles) une chronologie discontinuiste. Ils mettent en regard une « première mondialisation », dans les années 1880-1914, et la mondialisation actuelle, qui débute, selon les auteurs, dès 1945 ou vers 1970 ; et entre les deux s’intercale une phase de repli. Suzanne Berger, politiste américaine, parle ainsi d’« une parenthèse de soixante-dix ans » (2003, p. 7), et d’une « dislocation dévastatrice des liens d’interdépendance entre pays développés » après la Première Guerre mondiale (p. 10). L’historien François Crouzet fait le même diagnostic : « la crise de 1929, puis la dépression des années 1930 entraînèrent une désagrégation de l’économie mondiale, une déglobalisation, un recul de la mondialisation » (2002, p. 234). Pour l’économiste Régis Bénichi, l’entre-deux-guerres est également marqué par une fragmentation de l’espace mondial, un repli national et une crispation protectionniste (2003, p. 65 et sq.). Le monde connaîtrait bien, dans l’entre-deux-guerres, un tournant majeur, classiquement associé, depuis les analyses de Karl Polanyi, à une « grande transformation », c’est-à-dire le retournement du système international fondé sur le libéralisme économique, dont le symbole serait l’abandon de l’étalon-or au début des années 1930 : « la rupture du fil d’or donna le signal d’une révolution mondiale » (Polanyi, 1944, p. 51). Ce modèle Polanyi ne doit pourtant pas être adopté sans discussion ; ce n’est pas qu’il faille douter du recul du commerce international entre 1913 et 1939, mais on peut penser sans doute que la propagation de la crise économique de 1929 dans le monde ne constitue pas moins un indicateur de solidarité entre les parties du monde que les échanges internationaux. Les aperçus historiques sur la mondialisation en restent pourtant généralement au modèle du flux et du reflux. En géographie toutefois, la période 1914-1945 suscite des interprétations divergentes, et cette divergence est lourde d’implications quant à la possibilité d’une conception proprement géographique de la mondialisation. Certains géographes, tel Laurent Carroué, ne se démarquent pas de la position esquissée plus haut : « dans la logique de Braudel, quatre grandes strates historiques peuvent être identifiées », XVe-XIXe siècles, XIXe siècle-1918, puis « un demi-siècle de “retrait” » (1918-1970), et enfin, la phase actuelle (2004, p. 4). Et ce n’est pas nouveau : Paul Claval par exemple, a analysé la crise des années 1930 comme un moment de déstructuration de l’économie mondiale : « la crise disloque la reconstruction fragile des années d’après-guerre, provoque une rupture et une disparition presque totale du marché mondial » (1968, p. 761). Après 1945 seulement, on pourra songer à « recréer l’unité économique du Monde » (p. 535). Le schème de la rupture est repris à l’envi depuis lors. C’est au point que Claude Manzagol, dans un manuel récent, emprunte à un économiste un schéma qui illustre parfaitement cette interprétation du « repli » de la mondialisation dans l’entre-deux-guerres (figure 1). Jacques Lévy parle aussi à ce propos, et à plusieurs reprises, d’un « point bas uploads/Geographie/ arrault-jb-geographie-et-mondialisation-les-geographes-francais-face-a-la-crise-des-annees-1930.pdf
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- Publié le Dec 27, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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