Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Au Niger, la f

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Au Niger, la faillite d’une mission de « stabilisation » financée par l’UE PAR RAMDANE GIDIGORO ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 30 NOVEMBRE 2021 Ces dernières années, la mission « Eucap Sahel », basée à Agadez, est devenue le symbole de l’utilisation dispendieuse de l’argent européen et de l’absence de stratégie des 27 pour la région. Censée aider à la stabilisation du Niger, elle a été dévoyée pour lutter contre les flux migratoires. © Photo Michael Kappeler / DPA via AFP C’est aussi à la grandeur d’un bâtiment que l’on reconnaît l’importance d’une institution. Comme un symbole, à Niamey, le QG d’Eucap Sahel Niger, est posé à côté du ministère de la Justice, dans un immeuble massif, à quelques kilomètres seulement du palais présidentiel. La mission de coopération civile, composée en grande majorité de policiers, affiche sa présence et pour cause. Voilà 10 ans que cette émanation du Service européen pour l'action extérieure (SEAE), la diplomatie de l’UE, est installée dans le pays avec un seul objectif : réformer en profondeur les forces de sécurité nigériennes. Une action pensée en parallèle de la stratégie militaire, développée principalement par les Français avec Serval et Barkhane. « C’est la stratégie des trois D : défense, diplomatie, développement », lâche un consultant qui travaille dans la région. Depuis 2012, 241 millions d’euros ont été dépensés au Niger par Eucap. Une enveloppe avec laquelle les directions successives ont multiplié les dons de matériels : drones, 4X4, équipements techniques et même achat d’essence. Mais aussi organisé des formations à destination des forces de l’ordre locales. Les cours dispensés par des policiers européens, le cœur du mandat d’Eucap, sont divers : technique d’intervention, police scientifique, renseignement criminel, détection de la fraude documentaire ou respect des droits de l’homme. Niamey, le 3 mai 2019. Exercice d'arrestation à un poste de contrôle dans la mission civile de soutien de l'Union européenne, Eucap Sahel au Niger, lors d’une visite de la chancelière allemande, Angela Merkel. © Photo Michael Kappeler / DPA via AFP Une centaine de fonctionnaires sont aujourd’hui en poste sur le territoire, répartis principalement sur deux sites : Niamey, la capitale et Agadez, dans le nord du pays. La mission a récemment été renouvelée pour un mandat de deux ans, jusqu’à l’été 2022 avec des axes de travail inchangés : lutte contre la criminalité organisée, contre les groupes terroristes, et contre l’immigration irrégulière. Récemment, elle a inauguré la deuxième compagnie de garde-frontière du pays, les CMCF, dont elle a assuré l’intégralité de la formation. Installée au sud- est du Niger, à Birni’N’Konni, leur mission sera d’empêcher les fréquents passages sur l’une des routes migratoires les plus fréquentés du continent africain. La création d’une troisième compagnie a été annoncée début juillet, pour intervenir, cette fois-ci, le long de la frontière avec le Mali. Pourtant et malgré le bon bilan de façade de la mission, 19 000 agents de police nigériens ont été formés depuis son installation, plusieurs observateurs européens que Mediapart a pu interroger dénoncent un flou généralisé qui entoure l’action d’Eucap au Niger, alors que la situation sécuritaire n’a de cesse de se dégrader. « La commission est dans une logique purement comptable. Ce qui l’intéresse, c’est de former beaucoup d’agents nigériens sans aucune stratégie », se souvient un ancien cadre d’Eucap en poste à Niamey des années durant. « Certains agents nigériens ont été formés 6 fois par Eucap, sur différents sujets, sans aucune logique, raconte Léonard Colomba-Petteng, Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 chercheur en sciences politiques, spécialiste de la région, et l’auteur d’une note assez critique sur la mission, un policier français s’amusait en disant que ses homologues nigériens étaient même mieux formés que ceux qui donnaient les formations ». Les objectifs de la mission sont parfois déconnectés de la réalité du terrain, avance un haut flic en poste dans le Sahel : « On forme par exemple les policiers au Niger ou au Mali à des actions de police judiciaire. C’est bien mais pour qu’ils puissent mettre en œuvre ce qu’ils ont appris, encore faut-il qu’il y ait des moyens derrière, ce qui n’est pas toujours le cas. » « Parfois nous ne savons même pas ce que fait Eucap alors que nous devrions justement nous coordonner », rebondit un fonctionnaire de la délégation de l’Union Européenne au Niger, en poste à Niamey. « Personne ne comprend très bien ce que fait Eucap. Certaines de leurs formations sont exactement les mêmes que celles que proposent Civipol, un organisme rattaché au ministère de l’intérieur français qui intervient aussi au Niger. Ils ont d’ailleurs les mêmes manuels », s’amuse un chercheur qui travaille sur le Sahel. Pour un commissaire, autrefois en poste au Mali, la mission manque surtout d’une stratégie de sorties : « On dépense beaucoup d’argent mais on ne fait que maintenir les forces de l’ordre à bout de bras. » Des critiques qui rappellent celles formulées par la Cour des comptes européenne, dans un rapport rendu en 2018. Dans ce document, long de 41 pages, les auditeurs fustigent l’absence de procédures de suivi dans la plupart des actions de la mission européenne. « Par exemple, aucune des missions [au Niger et au Mali – ndlr] n’a récolté des informations pour savoir si les membres des forces de sécurité qui avaient été formés, ont continué à travailler dans la branche pour laquelle ils ont reçu une formation », écrivent les magistrats. Ces derniers s’inquiètent également de l’utilisation dispendieuse de l’argent public. À Agadez, une gendarmerie, pourtant équipée par Eucap des années auparavant, était vide lors de leur visite : « Il n’y avait pas de chaises, la moitié des tables étaient manquantes et les bénéficiaires ont été incapables de nous montrer les ordinateurs qui leur avaient été fournis. » Des recommandations reprises par la Cour des comptes française. Dans un rapport de février 2021, son premier président, Pierre Moscovici regrettait « les défaillances dans le suivi des militaires formés par les missions EUCAP au Mali et au Niger », alors même que les dépenses pour la défense s'envolent. Entre 2012 et 2018, elles représentaient 60 % des 1,35 milliards d’euros investis par la France dans la zone. Sur le terrain, la présence de la mission Eucap peine également à convaincre les fonctionnaires nigériens. « La mission est très critiquée », se lamente un ancien fonctionnaire de police français, toujours en poste au Niger. « Leur agenda n’a jamais été transparent », râle un policier nigérien en poste du côté d’Agadez. « Quels sont les indicateurs de la réussite des ces projets européens ? Ce n’est pas clair », alarme de son côté Ibrahim Yacouba, ancien ministre des affaires étrangères et chef du Mouvement patriotique pour le Niger (MPN), un parti d’opposition. À Agadez, après Niamey, l’autre ville où la mission est implantée, les critiques se concentrent sur son quartier général, un écrin de 13 000 mètres carrés, hyper sécurisé, inauguré en 2017 et depuis visité par ministres et chefs d'États européens. Ancien carrefour pour les voyageurs ouest-africains en route vers le Maghreb, cette ville saharienne est devenue l’obsession des décideurs européens, à l’acmé de la crise migratoire, soucieux de réduire drastiquement l’arrivée des migrants de la Libye aux côtes italiennes. Un palace bunker Bâti en temps record, le nouveau QG dispose de plusieurs villas pour loger les 50 fonctionnaires en poste dans la région, de terrains d’entraînement, mais aussi d’une piscine et d’un jardin. Le tout en plein désert, dans une ville souvent affectée par la pénurie d’eau potable. Des installations, dont Mediapart a pu obtenir une vidéo, mais qui sont également visibles depuis Google Earth. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 « C’est un palace à l'intérieur, presque le Ritz, au milieu du dénuement », s’emporte l’ancien maire de la ville, Rhissa Feltou. L’homme est également heurté par les murs d’enceinte qui encadrent le terrain. Comme si les fonctionnaires voulaient se « bunkériser » et « se protéger des pauvres », qui peuplent sa ville. Pour l’installation, Eucap Sahel Niger s’est appuyée sur un couple d’entrepreneurs franco-nigérien, installé depuis une dizaine d’années dans la région. Le terrain, ainsi que les villas, leur appartiennent. La mission loue le tout à prix d’or : plus de 40 000 euros par mois, selon des informations de Mediapart. « C’est évidemment bien au-dessus du prix du marché », s’amuse un bon connaisseur de la zone. Elle a également payé pour les travaux de rénovation. La situation n’est pas isolée. Entre juillet 2016 et juillet 2017, les fraisde fonctionnementet d’investissement de la mission Eucap, qui recouvrent principalement les dépenses du bâti, ont avoisiné les 11 millions d’euros, soutient un haut fonctionnaire européen, soit un peu moins de la moitié de l’enveloppe qui lui était alors accordée. Parmi eux, de nombreux frais de gardiennage mais aussi des coûts annexes plus surprenants comme… l’entretien des piscines des villas qu’occupent les agents et le paiement d’abonnements à Canal Sat. Pour loger ses agents uploads/Geographie/ article-969138.pdf

  • 31
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager