AULU-GELLE LES NUITS ATTIQUES LIVRE QUATORZIÈME. I. Dissertation du philosophe
AULU-GELLE LES NUITS ATTIQUES LIVRE QUATORZIÈME. I. Dissertation du philosophe Favorinus contre ces charlatans appelés Chaldéens qui font profession de lire les destinées humaines dans les rapports et les mouvements des astres. J'ai un jour entendu, à Rome, le philosophe Favorinus disserter en langue grecque, avec autant de clarté que d'élégance, contre ces charlatans qui sous le nom de Chaldéens et de généthliaques, se vantent de pouvoir révéler l'avenir d'après le mouvement et la position des astres. Était-ce pour exercer et montrer son talent, ou parce que telle était son opinion sérieuse et réfléchie ? je ne saurais le dire ; toujours est-il qu'en sortant je me hâtai d'écrire les principaux points et arguments de la discussion, aussi fidèlement que je pus me les rappeler. Les voici à peu près : Cette science des Chaldéens, disait-il n'est pas aussi ancienne qu'ils veulent le faire croire, et ne remonte pas à ceux qu'ils en donnent comme les auteurs et les maîtres : l'invention de tout cet amas de prestiges et de fourberies appartient à des gens sans aveu qui demandent à un art mensonger du pain et de l'argent. Ils ont d'abord remarqué que sur la terre certaines choses subissent l'influence du ciel ; que l'océan, par exemple, croît et décroît alternativement, selon les phases diverses de la lune, et ils ont conclu de ce phénomène que, petits et grands, tous les événements d'ici-bas sont enchaînés aux étoiles, et en suivent facilement les mouvements : conséquence tout à fait ridicule et déraisonnable ; car, de ce que les fluctuations de l'océan correspondent aux variations de la lune, peut-on induire, par exemple, que le jugement du procès d'un particulier avec les riverains pour un cours d'eau, avec un voisin pour un mur mitoyen, soit inscrit dans le ciel ? Admettons néanmoins que les choses terrestres soient réglées par une puissance divine ; la brièveté de la vie peut-elle permettre à l'esprit de l'homme, quelque vaste qu'on le suppose, d'embrasser et de sonder ces rapports du ciel et de la terre ? Il hasardera quelques conjectures παχυμερίςτερον, pour employer l'expression de Favonius, sans s'appuyer sur aucune donnée scientifique ; tout sera incertain, vague, contraire, comme la vue des objets qu'un grand intervalle confond et nous dérobe. La principale différence entre les dieux et les hommes serait anéantie, s'il était donné aux hommes de prévoir aussi l'avenir. D'ailleurs les observations astronomiques elles-mêmes, cette prétendue base de leur science, sont loin d'être bien assises. Si les premiers Chaldéens, au milieu de leurs vastes plaines, ont, d'après l'examen du mouvement et du parcours, des séparations ou des conjonctions des étoiles, conclu certains rapports, exercez leur science, mais seulement sous la même latitude. Appliqué sous des latitudes différentes, le système des Chaldéens n'est plus qu'une hypothèse. Qui ne voit, en effet, l'infinie variété de parties et de cercles que produit dans le ciel la forme inclinée et convexe du monde ? Les étoiles, dont l'influence règle, suivant eux, les destins du ciel et de la terre, n'envoient pas partout à la fois le froid ou le chaud, mais varient la température selon les lieux, et, au même instant, produisent ici le calme, ailleurs les orages. Pourquoi donc leur action sur les événements ne serait -elle pas différente en Chaldée et en Gétulie, sur les bords du Nil et du Danube ? Quelle inconséquence, de croire que l'atmosphère change d'état et de nature selon les latitudes, et que les étoiles nous envoient toujours des présages uniformes sur les choses humaines, de quelque point de la terre qu'on les observe ! Enfin, ne faut-il pas s'étonner de voir tenir pour certain que les étoiles qu'on appelle communément erraticae, planètes, et que Nigidius nomme errones, que ces étoiles, dis-je, observées par les Chaldéens et les Babyloniens, ou, si l'on veut, par les Égyptiens, ne sont pas en plus grand nombre, qu'on ne le dit. Peut-être existe-t-il d'autres planètes, sans la connaissance desquelles la science ne peut être qu'incertaine et incomplète, mais que l'excès de leur éclat ou de leur éloignement ne permet pas à l'œil de distinguer. Certains astres, visibles de certaines parties de la terre et connus des habitants de ces contrées, sont invisibles et entièrement inconnus au reste des hommes. Admettons cependant qu'on ait dû se contenter des étoiles des Chaldéens et de leur point de vue exclusif, quel a été le terme assigné à l'observation ? Quel espace de temps a-t-on jugé suffisant pour déterminer les présages attachés à leur réunion, leurs révolutions ou leur passage ? L'astrologie a sans doute procédé ainsi : on a d'abord observé l'état, la figure, la position des étoiles à la naissance de tel homme, ensuite, depuis ce premier moment jusqu'à la fin de sa vie, on a remarqué sa fortune, ses mœurs, son naturel, les circonstances au milieu desquelles il s'est trouvé, on a pris note de toutes ces choses à mesure qu'elles se sont produites, et de cette observation particulière, on a conclu qu'un homme quelconque, né longtemps après, sous les mêmes phénomènes célestes, aurait la même destinée. Or, si tel a été le mode d'observation adopté pour fonder l'art de l'astrologie, l'épreuve n'a pas été suffisante. Combien d'années, en effet, ou plutôt combien de siècles ne faut-il pas pour pouvoir, d'après les mêmes phénomènes, vérifier la première observation ? Tous les astrologues s'accordent à reconnaître qu'il faut une suite d'années innombrable et presque infinie pour retrouver, dans la même situation respective qu'à leur point de départ, les étoiles dites planètes, qui gouvernent fatalement le monde : il n'est pas d'observations qui aient pu se continuer, pas de livre qui ait pu en garder la trace et le souvenir aussi longtemps. Il est encore un fait dont il faut bien, après tout tenir compte : au moment de la conception, les constellations ne sont pas les mêmes qu'à l'époque de notre naissance, dix mois plus tard : comment donc donner ces pronostics contradictoires pour le même individu, si comme le soutiennent les astrologues, nos destinées varient selon la disposition et le mouvement des mêmes étoiles ? Déjà même, à l'époque du mariage et de la cohabitation des époux, la position fatale des astres a dû décider du caractère et du sort des enfants à naître. Que dis-je ? Bien avant même la naissance du père et de la mère, on a dû tirer de leur horoscope celui des enfants qu'ils mettraient un jour au monde, et, ainsi de suite, en remontant indéfiniment : de telle sorte que, si leur science a quelque fondement de vérité, cent siècles avant nous, ou plutôt depuis la formation du ciel et de la terre jusqu'à nos jours, les astres ont pu, par signes successifs et se renouvelant de génération en génération, présager la destinée de tout enfant qui naît aujourd'hui, mais comment croire que la disposition de chaque étoile ne soit destinée qu'à déterminer le sort d'un seul homme et que cette disposition ne se représente qu'après une immense étendue de siècles, tandis que, à chaque génération et, par conséquent, à de très courts intervalles, les signes d'une personne se renouvellent et se compliquent indéfiniment, toujours les mêmes, sous des constellations toujours différentes ? Si cela est possible, s'il est nécessaire d'observer ces présages divers depuis les temps les plus reculés pour connaître le sort de ceux qui naîtront un jour, cette diversité jette le trouble dans les observations et confond tous les calculs de la science. Favorinus aurait encore pardonné aux astrologues leur opinion sur les accidents qui nous viennent du dehors ; mais il ne leur pardonnait pas d'y subordonner la pensée de l'homme, sa volonté, ses caprices, ses désirs et ses répugnances, les élans inattendus et les retours non moins soudains de l'âme qui, dans les plus petites choses, nous portent vers un objet ou nous en détournent. Ainsi, disait-il, vouloir aller au bain, puis ne plus vouloir, puis vouloir encore, tout cela n'est pas le résultat d'une volonté inconstante et capricieuse, mais d'une rotation nécessaire avec les astres errants ; les hommes ne sont plus, comme l'on dit, des animaux raisonnables, mais des jouets, de ridicules marionnettes, sans spontanéité, sans liberté, que les étoiles mènent et dirigent à leur gré. Si l'on a pu prédire, comme ils l'affirment qui du roi Pyrrhus ou de Manius Curius remporterait la victoire, qu'ils osent donc nous dire qui gagnera dans cette partie de dés, de dames ou d'échecs ? Est-ce qu'ils savent les grandes choses et ignorent les petites ? les petites sont-elles moins perceptibles que les grandes ? S'ils revendiquent les événements importants comme plus apparents et plus faciles à percevoir, je leur demanderai alors ce que, au milieu du vaste spectacle de l'univers et des œuvres admirables de la nature, nos intérêts si mesquins et nos destinées si courtes peuvent leur offrir de grand ? Je leur adresserai encore une autre question : Si l'instant où l'homme naissant reçoit sa destinée est si court et si rapide, que plusieurs ne peuvent voir le jour au même instant, sous la même uploads/Geographie/ aulu-gelle-nuit-sattiques-14.pdf
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- Publié le Dec 20, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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