Le lyrisme est l’expression d’une émotion personnelle intense. La poésie lyriqu

Le lyrisme est l’expression d’une émotion personnelle intense. La poésie lyrique traite des sentiments du poète (les thèmes récurrents sont l’amour, la mort, la nostalgie, la fuite du temps, la communion avec la nature, le destin, le sacré, etc.). Le registre lyrique peut se rencontrer aussi dans les textes en prose. Le lyrisme baudelairien est lié à l’Idéal. Il s’organise autour de thèmes traditionnels renouvelés : L’exotisme (îles tropicales, paresseuses et lointaines, mais aussi passé légendaire et idéalisé), La femme, blanche et inaccessible, opposée à la femme noire, muse sensuelle et exotique. L’enfance, idéal perdu d’innocence et de douceur. Et d’autres… Le lyrisme baudelairien est également l’occasion d’expérimenter des rythmes et musicalités nouvelles : Sans renoncer aux formes traditionnelles (le sonnet A une dame créole), les vers impairs et les quintils, strophes de cinq vers, sont fréquents avec, parfois, un « refrain » mélancolique (L'Invitation au voyage). Le lyrisme est également lié à des poèmes sensuels, associées à la femme créole ou noire, comme La Chevelure. Ce lyrisme évoquant la sensualité a bien sûr été reproché à Baudelaire durant son procès. Charles Baudelaire (1821-1867) A une dame créole Au pays parfumé que le soleil caresse, J'ai connu, sous un dais d'arbres tout empourprés Et de palmiers d'où pleut sur les yeux la paresse, Une dame créole aux charmes ignorés. Son teint est pâle et chaud ; la brune enchanteresse A dans le cou des airs noblement maniérés ; Grande et svelte en marchant comme une chasseresse, Son sourire est tranquille et ses yeux assurés. Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire, Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire, Belle digne d'orner les antiques manoirs, Vous feriez, à l'abri des ombreuses retraites, Germer mille sonnets dans le cœur des poètes, Que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs. Charles Baudelaire (1821-1867) L'Invitation au voyage Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur D'aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l'ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l'âme en secret Sa douce langue natale. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l'humeur est vagabonde ; C'est pour assouvir Ton moindre désir Qu'ils viennent du bout du monde. - Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D'hyacinthe et d'or ; Le monde s'endort Dans une chaude lumière. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Charles Baudelaire (1821-1867) La Chevelure Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir ! La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! Comme d'autres esprits voguent sur la musique, Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum. J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève, Se pâment longuement sous l'ardeur des climats ; Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève ! Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts : Un port retentissant où mon âme peut boire A grands flots le parfum, le son et la couleur ; Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire, Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur. Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse Dans ce noir océan où l'autre est enfermé ; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, ô féconde paresse, Infinis bercements du loisir embaumé ! Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues, Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond ; Sur les bords duvetés de vos mèches tordues Je m'enivre ardemment des senteurs confondues De l'huile de coco, du musc et du goudron. Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde ! N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde Où je hume à longs traits le vin du souvenir ? Charles Baudelaire (1821-1867) Moesta et errabunda Dis-moi ton cœur parfois s’envole-t-il, Agathe, Loin du noir océan de l’immonde cité Vers un autre océan où la splendeur éclate, Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité ? Dis-moi, ton cœur parfois s’envole-t-il, Agathe ? La mer la vaste mer, console nos labeurs ! Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse Qu’accompagne l’immense orgue des vents grondeurs, De cette fonction sublime de berceuse ? La mer, la vaste mer, console nos labeurs ! Emporte-moi wagon ! enlève-moi, frégate ! Loin ! loin ! ici la boue est faite de nos pleurs ! - Est-il vrai que parfois le triste cœur d’Agathe Dise : Loin des remords, des crimes, des douleurs, Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate ? Comme vous êtes loin, paradis parfumé, Où sous un clair azur tout n’est qu’amour et joie, Où tout ce que l’on aime est digne d’être aimé, Où dans la volupté pure le cœur se noie ! Comme vous êtes loin, paradis parfumé ! Mais le vert paradis des amours enfantines, Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets, Les violons vibrant derrière les collines, Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets, - Mais le vert paradis des amours enfantines, L’innocent paradis, plein de plaisirs furtifs, Est-il déjà plus loin que l’Inde et que la Chine ? Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs, Et l’animer encor d’une voix argentine, L’innocent paradis plein de plaisirs furtifs ? Moesta et Errabunda (Triste et Vagabonde) est un des derniers poèmes de Spleen et Idéal où sont évoquées des images heureuses. Mais ce bonheur appartient cependant au passé, et est l’objet d’une remémoration. Celle d’un autre espace et d’un autre temps que le rêve et l’écriture poétique seuls ont encore chance de reconstruire fugitivement. Similitude entre l’océan et la cité ; l’océan et l’enfance Les liens tissés dans le poème entre l’océan et la cité, l’océan et l’enfance font de chaque groupe l’image inversée de l’autre. Il est intéressant de chercher comment est produit par le texte le sentiment d’une équivalence : (océan=cité) (océan=enfance) et d’une opposition : (océan = cité) / (océan = enfance) Les deux "océans" sont distincts : l’un est le "noir océan" : il est l’image de la cité ; l’autre océan est le vrai, celui "dont la splendeur éclate". L’équivalence entre le "noir océan" et "la cité" est affirmée par la métaphore : "le noir océan de l’immonde cité". L’équivalence entre l’océan et l’enfance est suggérée par l’emploi de mots appartenant au vocabulaire de l’enfance pour parler de l’océan : virginité, le cœur se noie, console, grondeurs, chanteuse, berceuse ; inversement des mots appartenant au lexique de l’océan sont utilisés pour parler de l’enfance : bleu, clair, profond, vert... L’homophonie "mer" "mère" sous-tend (inconsciemment) l’assimilation de l’océan à l’enfance : on peut ressentir, en effet, comme le même appel vers une présence maternelle, les termes "console", "berceuse", "chanteuse" (qui s’appliquent à l’océan) et les "cris plaintifs", la "voix argentine" (qui concernent l’enfance). Ces relations d’équivalence reposent sur une réaction affective analogue : le noir océan qu’est la cité est rejeté dans un même sentiment de dégoût et de lassitude. L’océan et l’enfance sont unis dans un même désir : quitter la ville pour l’océan ("Emporte-moi, wagon ! enlève-moi, frégate ! ") afin de retrouver l’enfance ou... plus loin que l’enfance, le paradis perdu... L’équivalence entre l’océan et l’enfance ne résulte pas d’une comparaison établissant des éléments de ressemblance rationnellement formulables. Elle ne résulte ni d’un raisonnement logique, ni même, à proprement parler, d’un raisonnement analogique. Elle résulte du fait que tous deux sont l’objet d’un même désir : le désir d’être loin, ailleurs, de quitter "l’ici et maintenant" pour le bonheur et la sécurité d’autrefois. C’est une équivalence affective, soutenue par l’équivalence des signifiants (mer/mère) qui se profile à l’arrière-plan. Cette interprétation semble confirmée par le soin de distinguer par "rauque" le chant de la mer, implicitement comparé à celui de la mère berçant son enfant, parfois le grondant. Mais ils restent unis dans un même désir : celui d’être loin, dans l’espace et dans le temps. uploads/Geographie/ baudelaire-le-lyrisme-gr-textes.pdf

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