A. Beitone, L. Lorrain, C. Rodrigues, La dissertation de science économique © D

A. Beitone, L. Lorrain, C. Rodrigues, La dissertation de science économique © Dunod, 2019. 1 Entraînement à la dissertation de science économique Sujet 15 Comment peut-on expliquer les inégalités de développement entre les différentes régions du monde ? 1. Se préparer à la rédaction 1.1. L’enjeu du sujet La question posée vise à se demander pour quelles raisons certaines régions du monde ont atteint un niveau de développement économique plus élevé que d’autres. Initialement elle portait sur l’opposition Nord (développé)-Sud (sous-développé). L’émergence, notion assez vague signifiant la combinaison d’un niveau de croissance économique soutenu, d’une réduction de la pauvreté et d’un certain rattrapage économique de régions ou pays, a conduit à analyser le maintien, voire le renforcement des inégalités de développement dans le cas des PMA (pays les moins avancés). Cette question interroge bien sûr l’analyse économique qui a donné lieu à des recommandations de politiques économiques qui n’ont pas toujours permis d’améliorer le niveau de développement des économies, qu’il s’agisse de stratégies d’industrialisation par substitution des importations ou de plans d’ajustement structurel. Cette question revient alors à se demander pourquoi certaines régions, en premier lieu l’Europe occidentale, ont connu une dynamique de développement avant les autres, et pourquoi les autres régions ont réussi à rattraper ce niveau pour certaines, à l’image de l’Amérique du Nord ou du Japon puis de l’Asie de l’Est, et échoué pour d’autres, à l’image de l’Afrique subsaharienne. Ainsi, il ne s’agira pas d’analyser uniquement l’état actuel des inégalités de développement. Nous faisons ici le choix de nous interroger sur les dynamiques historiques à l’œuvre depuis la première industrialisation. 1.2. Le cadrage et les concepts clés Cette question relève du champ de l’économie du développement. Il a été foisonnant après les décolonisations, porté par les analyses de la Cepal (Commission économique pour l’Amérique latine, organisme de l’ONU) notamment, mais également par différentes analyses s’attachant à expliquer les « retards » de développement. En 1981, A. O. Hirschman propose de classer les théories économiques du développement selon deux critères : acceptation/rejet du « mono-économisme », réciprocité/non réciprocité des avantages du développement économique. Pour lui, l’économie du développement repose sur le refus du « mono- économisme » et sur l’affirmation de la réciprocité des avantages. Cependant, cette classification permet d’identifier les champs théoriques qui pourront être mobilisés pour traiter le sujet : de l’économie orthodoxe (néoclassique) à l’économie « marxiste » du développement. Il sera possible d’y puiser les propositions de politiques économiques à mettre en œuvre et d’analyser, avec le recul, leur impact. Un renouvellement important est apparu à la suite des travaux sur le rôle des institutions dans la dynamique du développement, initialement menés par D. North (prix Nobel A. Beitone, L. Lorrain, C. Rodrigues, La dissertation de science économique © Dunod, 2019. 2 d’économie en 1993). La récente publication en France de l’ouvrage de D. Acemoglu et J. A. Robinson, Prospérité, puissance et pauvreté. Pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres ? (2015), est un signe du renouvellement de la réflexion dans ce champ disciplinaire. Il convient également de tenir compte des analyses proposées par l’histoire économique mondiale, en particulier les travaux de Robert C. Allen. L’analyse tente en effet d’expliquer les causes du développement économique et des divergences/convergences qui ont pu apparaître au cours des siècles passés et permet de mieux comprendre les inégalités de développement économique. 1.3. La construction d’une problématique L’analyse de la dynamique économique qui sous-tend le sujet va conduire à s’interroger autour de deux axes : • Pourquoi la révolution industrielle est-elle apparue en Europe de l’Ouest, notamment en Angleterre, et pour quelle raison sa diffusion a-t-elle été inégalitaire entre les régions du monde ? • Pourquoi, malgré un développement important de l’analyse économique et la mise en œuvre de politiques volontaristes, seuls quelques pays, notamment en Asie de l’Est, ont rattrapé ou s’inscrive dans une voie de rattrapage du niveau de développement économique occidental ? Les réponses apportées à ces deux questions permettront alors de traiter le sujet en s’appuyant sur les apports de la théorie économique et de l’histoire économique. A. Beitone, L. Lorrain, C. Rodrigues, La dissertation de science économique © Dunod, 2019. 3 2. Rédiger le devoir : une proposition Introduction Le Brésil, économie émergente considérée comme un modèle au cours des années 2000 (le B des BRICS), est entré en récession en 2015 sur fond de scandales de corruption touchant les plus hautes sphères de l’État. Pour l’économiste D. Rodrik, la situation du Brésil, comme celle de beaucoup d’autres émergents, s’explique par une confusion entre développement économique et économie de rente, en particulier au cours de la période faste dite du « boom des matières premières » dont le pays a bénéficié au début des années 2000. Les ressources tirées des exportations de matières premières n’ont pas été suffisamment converties en investissements propices au développement, notamment au niveau industriel. Rodrik pointe cependant la qualité des institutions brésiliennes comme atout fondamental de l’économie de ce pays, en particulier son organisation démocratique, qui devrait lui permettre de surmonter les difficultés actuelles à l’inverse d’un pays comme la Turquie. Pour ce spécialiste du développement, l’émergence repose sur des fondamentaux, en particulier la capacité à industrialiser l’économie dans un cadre institutionnel favorable. Aujourd’hui, même si la Chine (le C des BRICS) ralentit, l’Asie de l’Est est analysée comme un modèle de rattrapage du niveau de développement économique. Comment se fait-il alors que, depuis la révolution industrielle britannique, certains pays se soient inscrits dans cette dynamique de développement et d’autres pas ? Le développement économique a été défini par l’économiste F. Perroux comme « la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître, cumulativement et durablement, son produit réel global ». Le développement repose ainsi sur la capacité à produire davantage mais cette capacité se fonde sur des éléments non matériels. Dès lors, ces éléments non matériels expliqueraient-ils les inégalités de développement entre région ? Les conditions matérielles, les accidents de l’histoire ne jouent-ils pas également un rôle dans les dynamiques de divergence/convergence de développement à l’œuvre depuis plusieurs siècles ? Pour répondre à cette question nous nous proposons d’analyser les conditions initiales du développement économique et les possibles explications de la divergence entre les grandes régions du monde (I). Nous nous demanderons ensuite pourquoi certaines régions ont connu une dynamique de rattrapage, en particulier l’Asie de l’Est, quand d’autres sont restées enfermées dans le sous-développement, en particulier l’Afrique subsaharienne (II). * I. La grande divergence La première industrialisation va marquer le coup d’envoi de ce que K. Pomeranz qualifie de « grande divergence ». La Grande-Bretagne présentait les conditions favorables au décollage et a initié la dynamique du développement économique (I.A). Par la suite la diffusion inégale des techniques et les volontés impérialistes ont renforcé les inégalités de développement (I.B). A. Les fondamentaux de l’industrialisation britannique L’une des plus importantes énigmes de la science économique est de comprendre pourquoi ce qu’il est convenu d’appeler « révolution industrielle » est apparu en Grande-Bretagne plutôt qu’en Chine ou en Afrique au XVIIIe siècle. Pour l’historien de l’économie R. C. Allen la dynamique des inégalités de développement s’enclenche avec l’industrialisation britannique A. Beitone, L. Lorrain, C. Rodrigues, La dissertation de science économique © Dunod, 2019. 4 puis européenne. Il considère que l’industrialisation et le développement économique reposent sur des fondamentaux comme la géographie, les institutions ou la culture mais également sur des « accidents de l’histoire ». Comment expliquer que l’Angleterre se soit industrialisée dans un contexte technologique peu différent de celui des autres régions du monde vers 1500 ? Allen évoque une « ère mercantiliste » sur la période 1500-1800 qui a conduit à faire de la Grande-Bretagne la puissance économique dominante. Tout commence par la conquête des océans et des routes maritimes qui ont permis, avec tous les désastres et crimes commis (colonisation, pillages, exterminations, déportations esclavagistes), un enrichissement des pays européens et le financement de l’industrialisation par les revenus dégagés. Initialement la domination maritime est hollandaise mais les politiques mercantilistes mises en œuvre par l’Angleterre, notamment les actes de navigation (à partir de 1651) interdisant aux navires autres que britanniques de livrer des marchandises sur le territoire national, lui permettent de devenir une puissance coloniale de premier plan. Pour en faire une puissance industrielle, d’autres éléments s’avèrent nécessaires comme une main-d’œuvre abondante pour alimenter les besoins en travail de l’appareil productif. Pour K. Marx (Le capital, 1867), l’avènement du capitalisme repose sur l’accumulation primitive du capital grâce l’exploitation des colonies par les marchands et l’exploitation des terres par les propriétaires, rendue possible par les enclosures. Dès le XVIe siècle mais surtout entre 1760 et 1840, les terrains communaux qui étaient libres d’accès aux paysans et bergers sont clôturés et permettent l’intensification de l’élevage et de l’agriculture. Cependant les populations rurales, privées de ces terres, doivent se déplacer vers les zones urbaines pour y travailler. L’exode rural est renforcé par les gains de productivité agricole. P. Bairoch a mis en évidence dans ses travaux les relations nécessaires entre progrès de l’agriculture et uploads/Geographie/ sujet-15-corrige-complet.pdf

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