JACQUES CASANOVA D E S E IN G A L T Vénitien HISTOIRE DE MA VIE É d i t i o n i
JACQUES CASANOVA D E S E IN G A L T Vénitien HISTOIRE DE MA VIE É d i t i o n i n t é g r a l e T om e T ro is F. A. BROCKHAUS WIESBADEN LIBRAIRIE PLON PARIS MCMLX UniversiteHsKblioffiek 3 o n n V. Nr. W 492 © F. A. Brockhaus, Wiesbaden 1960 Printed in Germany PERSIA-Dünndruckp ap ier, Schooller & Hoesch, Gernebach/Murg tal Droits de rep roduction et de traduction réservés p our tous p ays £>0. 4S3<j \ ) V O L U M E 5 V — [1364] CH A PIT RE P R E M IE R Je vais loger dans la maison du chef des sbires. J'y passe une nuit délicieuse et j'y recouvre entièrement mes forces et la santé. J e vais à la messe, rencontre embarrassante. Moyen violent dont je suis forcé de me servir pour me procurer six sequins. Je suis hors de danger. Mon arrivée à Munich. Épisode sur Balbi. Je pars pour Paris. Mon arrivée en cette ville, assassinat de Louis XV. T ’ a i observé sur une colline à cinquante p as de moi un berg er qui conduisait un troup eau de dix à douze brebis, et je m ’y suis adressé p our p rendre des informations qui m’étaient nécessaires. Je lui ai demandé comment s’ap p e lait ce villag e, et il me dit que j ’étais à Val de piadene, ce qui me surp rit à cause du chemin que j ’avais fait. Je lui ai demandé les noms des maîtres de cinq à six maisons que je voyais de loin et à la ronde, et j ’ai trouvé que tous ceux qu’il me nomma étaient des p ersonnes de ma connaissance, mais chez lesquelles je ne devais p as aller p orter le trouble p ar mon ap p arition. J ’ai vu un p alais de la famille Grimani, où le doyen qui était alors Inquisiteur d’État devait se trouver, et je ne devais p as me laisser voir. [1365] J ’ai demandé au berg er à qui ap p artenait une mai son roug e, que je voyais à quelque distance, et ma surp rise fut g rande lorsque j ’ai su que c’était la maison du nommé cap itaine de camp ag ne qui est le chef des sbires. J ’ai dit adieu au p aysan, et machinalement j ’ai descendu la colline. Il est inconcevable que je me sois acheminé à cette terrible maison, dont raisonnablement et naturellement je devais m’éloig ner. J ’y suis allé en droite lig ne, et en vérité je sais que je n’y suis p as allé de volonté déterminée. S’il est vrai que nous p ossédions tous une existence invisible bienfai sante qui nous p ousse à notre bonheur*, comme il arrivait quoique rarement à Socrate, je dois croire que ce qui me fit aller là ait été cette existence. Je conviens que dans toute ma vie je n’ai jamais fait une démarche p lus hardie. J ’entre dans cette maison sans hésiter, et même d’un air fort libre. Je vois dans la cour un jeune enfant qui joue à la toup ie; je lui demande où est son p ère ; et au lieu de me rép ondre il va ap p eler sa mère. Je vois dans un instant p araître devant moi une très jolie femme enceinte, qui me demande fort p oliment ce que je veux de son mari qui n’y était p as. — Je suis fâché, madame, que mon compère n’y soit p as, autant que charmé de connaître dans ce moment sa belle moitié. — Votre compère? Je p arle donc à Son Excellence Vit- turi (1)? Il m ’a dit que vous avez eu la bonté de lui p ro mettre d’être le p arrain de l’enfant dont je suis g rosse. Je suis bien enchantée de vous connaître, et mon mari sera au désesp oir de ne s’être p as trouvé chez nous. — J ’esp ère qu’il ne tardera p as à arriver car je veux lui demander un lit p our cette nuit. Je n’ose aller nulle p art dans l’état où vous me voyez. — Vous aurez un lit tout de même, et un p assable soup er, et mon mari ira vous remercier à son retour de l’honneur * Sæpc rcvocans raro impellens. (Note de l’auteur en marg e). — Q ui rap p elle souvent et excite rarement. C i c é r o n : De D ivinalione, i, 54; Cf. voir vol. 1, p . 117. V OL UME 5 - C HA P IT RE 1 3 que vous nous avez fait. Il y a une heure qu’il est sorti à cheval avec tous ses hommes, et je ne l’attends de retour que dans trois ou quatre jours. — Et p ourquoi restera-t-il si long temp s? — Vous ne savez donc [13GG] p as que deux p risonniers se sont échap p és des p lombs? Un est p atricien, et l’autre est un p articulier qui s’ap p elle Casanova. Il reçut une lettre de Messer Grande de les chercher ; s’il les trouve, il les conduira à Venise, et s’il ne les trouve p as il retournera à la maison; mais il les cherchera au moins trois jours. — J ’en suis fâché, ma chère commère, mais je ne vou drais p as vous g êner, d’autant p lus que je voudrais me coucher d’abord. — Cela sera fait dans l’instant, et vous serez servi p ar ma mère. Qu’avez-vous aux g enoux? — Je suis tombé à la chasse sur la montag ne : ce sont des fortes écorchures, et j ’ai p erdu du sang . — Pauvre seig neur 1 Mais ma mère vous g uérira. Elle l’ap p ela, et ap rès lui avoir dit tout ce dont j ’avais besoin, elle s’en alla. Cette jolie femme d’archer n’avait, p as l’esp rit de son métier, car rien n’avait p lus l’air d’un conte que l’histoire que je lui avais faite. A cheval avec des bas blancs ! A la chasse en habit de taffetas 1 Sans manteau, sans domestique ! Son mari à son retour se sera bien moqué d’elle. Sa mère eut soin de moi avec toute la p olitesse que j’aurais p u p rétendre chez des p ersonnes de la p lus g rande distinction. Elle p rit un ton de mère, et en soig nant mes blessures elle m ’ap p ela toujours son fils. Si mon âme eût été tranquille, je lui aurais donné des marques non équi voques de ma p olitesse et de ma reconnaissance ; mais l’en droit où j ’étais, et le rôle dang ereux que je jouais, m ’occu p aient trop sérieusement. Ap rès avoir visité mes g enoux et mes hanches, elle me dit qu’il me fallait un p eu souffrir, mais que le lendemain je me trouverais g uéri ; je devais seulement tenir les ser 4 H ISTOI RE DE MA VIE viettes imbibées qu’elle ap p liqua sur mes p laies, p our toute la nuit, et dormir sans jamais boug er. J ’ai bien soup é, et ap rès je l’ai laissé faire ; je me suis endormi p endant qu’elle m’op érait, car je ne me suis jamais souvenu de l’avoir vue me quitter; elle dut m’avoir déshabillé comme un enfant; je ne p arlais et je ne p ensais p as. J ’ai mang é [1367] p our sup p léer à la nécessité que j ’avais de nourriture, et j’ai dormi cédant à un besoin auquel je ne p ouvais p as résister. J ’ig no rais tout ce qui dép endait d’un certain raisonnement. Il était une heure de nuit (2), lorsque j ’ai fini de mang er, et le matin en me réveillant et en entendant sonner treize heures, j ’ai cru que c’était un enchantement, car il me sem blait que je ne m ’étais endormi que dans ce moment-là. Il m’a fallu p lus de cinq minutes p our recouvrer mes sens, p our rap p eler mon âme à ses fonctions, p our m ’assurer que ma situation était réelle, p our p asser en un mot du sommeil au vrai réveil ; mais d’abord que je me suis reconnu je me suis vite débarrassé des serviettes, étonné de voir mes p laies tout à fait sèches. Je me suis habillé dans moins de quatre minutes, j’ai mis moi-même mes cheveux dans la bourse, et je suis sorti de ma chambre qui était tout ouverte ; j ’ai descendu l’escalier, traversé la cour, et quitté cette maison sans faire attention qu’il y avait là deux hommes debout, qui sans aucun doute ne p ouvaient être que sbires. Je me suis éloig né de cet endroit uploads/Geographie/ casanova-histoire-de-ma-vie-3-5.pdf
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- Publié le Mai 13, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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