L'ARCHITECTURE (CLERMONT-FERRAND) Une chronique Première partie – L'architectur

L'ARCHITECTURE (CLERMONT-FERRAND) Une chronique Première partie – L'architecture (Clermont- Ferrand) (1992) I. C’était un hiver incertain. Les nuages passaient comme des draps essorés sur l’anthracite du ciel, sur la harpe bénigne du ciel et s’arrachaient sur un pommier (1), s’accrochaient et saignaient un peu sur la frise d’un pommier, sur un encadrement de fenêtre trop haut placé, ou sur le nichoir, tiens – le vieux nichoir en forme de papillote brûlée, qui pendait entre les trognons et les mouches – les nuages passaient dans le réticule et venaient échouer sur l’angle haut de la fenêtre de la cuisine, aux persiennes de métal roussies : les nuages lait, amidon, plâtre, qui passaient vitement, comme des dépêches ou des débâcles. Le froid semblait les sangler sous le ventre, à l’endroit où la buée empèse. Le fond de l’air était d’une mobilité intrépide qui rendait les trémières fanées bizarrement saillantes, menaçantes : glaives sans fleurs. Des ombres lourdes, itinérantes, pleines d’air et d’eau, noires comme de la cendre sèche, glissaient sur les murettes de béton encadrant le jardin hivernal. C’était un hiver impitoyable. Dans le début de la nuit, dans les premières prises d’escalade, poignées de magnésie de la nuit – un caisson, un tambour à la peau presque arrachée, tendu de noir – sur les rues en pente sèche, tendues comme des rubans, qui montaient vers le plateau central, ces rues au bitume tiré comme un visage après sa chute, rues à la règle et bordées d’administrations, un froid, un froid rapace vous prenait. Un froid immémorial et rapace, oui, c’était le mot, un froid avec un bec, un bec sauvage qui vous prenait aux articulations, qui vous tirait sous votre manteau, qui pinçait la peau comme un bec d’oiseau – un froid comme la cuvette clermontoise pouvait en retenir des nuits entières, jusqu’aux aurores arrivant, dernier cristal impeccable – un froid reflet de la chaleur de cuve tout aussi continue, intempérante, contenue dans les caisses de l’été. Mais l’été, une crasse séculaire, une crasse de brouillard pneumatique, déficient – de brouillard anthropologique presque, stagnant sur la ville dans l’éblouissement bleu natif – rajoutait au sentiment de la touffeur un complément. Quand le froid rendait la ville à sa pétrification d’os nocturne – delta figé. C’était un hiver impitoyable, qui laissait, tandis que le Mont-Dore et la Bourboule parvenaient à dégeler lentement, pauvrement dans la nuit, le bassin creux de Clermont-Ferrand (2), la grande bassine de cuivre (3) à une congélation continue, que la nuit accentuait en la retenant. Le froid demeurait là, sur les pentes, sur le plateau central, sur les pentes sèches, plus fixement, plus noblement qu’il ne s’accrochait aux flancs des vallées, aux arbres, aux batteries d’arbres ou aux bouleaux solitaires, pris dans le spectre du givre, accrochés à ces flancs. C’était un hiver sans beauté. La Beauté, la belta ou belleza (4), le beau, le sentiment océanique ou pompier du beau, le Beau si l'on voulait, ce sentiment-là apparaissait au fond dans chaque rue, dans chaque portion de rue, dans chacune des rues par exemple fuyant du carrefour des Salins (5) en étoile, ou de la place des fontaines pétrifiantes, en étoile cassée – vorticisme modelé d'une architecture de décombres, vorticisme granulé, modelé soyeux des crépis pourris depuis des lustres. Oui, la beauté triomphait, chaque rue pour elle : mais triomphait en croix comme le Crucifié, avec un clou aux mains et dans les pieds pour leçon. La beauté triomphait, dans cet hiver impitoyable. Elle triomphait en croix. NOTES 1) Il est probable que cet énigmatique pommier d'hiver est le pommier sis à Ceyrat, au 52, avenue [ici le nom d'un négociant en vin radical-socialiste ayant traversé deux guerres avec une boutelle de Corent poussiéreux dans la main pour passeport historique], où l'on n'obtint pas le téléphone fixe (à cadran) avant 1975, source sûre, le Molise guettait (à Ceyrat al Segrino, aussi bien, plus au Nord dans la Briance des lacs : Ceyrat des Serins, au bord des lacs d'Artière actionnés par le paysan économe, purs comme ceux de Côme ou de Longone, avec les mêmes reflets où la douleur vacille (et privatisés progressivement à partir des années 2010, tant la mode était là féroce), mais comme derrière des Andes surréelles (toujours le minimum de fiction transposée permettant à tous les Oedipes somptueux, sépulcraux, somptuaires du monde civilisé de dédorer enfin leurs avantageuses poses et de se présenter pour des péchés de désespoir simples, à l'endroit où l'acédie est venue briser les nerfs du fils, en forme de charpente paternelle, en bois détrempé) aussi bien dans le sang rouge d'anciens votes de classe (quand les listes – le contexte domine : on est acteurs sur la scène du monde – de Ceyrat – maçonniques, viticoles, radical-socialistes (on y trouvait bien quelque dissident communiste de l'avenue de Beaulieu, Maurice , qui jusqu'au bout refusa d'aller voir projeter un film dans un complexe de cinéma moderne (il est vrai qu'à Clermont, les hangars blancs des cinémas pornographiques étaient remplacés, sur leur lieu-même, avenue d'Italie, par la liturgie sédécavantiste)) – et de Boisséjour – rouge sang des fraises et des taches des mûriers, au puits artésien, rouge pouzzolane du P.C.F., d'Angélus abâtardies (M. Chenais, prononcé Chené, en était la proue) – aux temps gothiques où les concitoyens étaient des pays, seulement des pays – étaient listes séparées, cela jusqu'au mitan des années 80), où se nouent les angélus de plaine de Monza et de montagne du Vieuboissac), que ce pommier a été planté circa 1961 ou 1962 (environ la naissance du monde des origines), par un gendarme dont le prénom était Marien (prénom qu'on a porté à peu près partout sur la Terre chrétienne s'entend, jusqu'aux confins, car il y a eu des Marien andins ayant connu la douleur, des Marien l'Aréopagite enfermés pour y terminer des Chroniques Universelles dans les orgues de la cathédrale de Ratisbonne, des Marien irlandais, des Marien abbruzzese comme leur autre ascendance, tout aussi saints que les autres – il n'y a qu'au saint que le prénom fait gloire – mais principalement dans les terres mal affranchies qui font la transition entre l'Auvergne et le Bourbonnais, où les contreforts placides de la Limagne deviennent soudain, d'un jaune de tournesol fané, ocres et bruns comme une terre de sienne, que l'air est infiltré de terre battue et que des maisons vigneronnes ocres aussi se dressent sur des monticules toscans (par exemple, dans la cour de l'hôtel de ville de Riom, superbe hôtel Renaissance, sur la plaque à la mémoire des soldats communaux morts pendant la Guerre de 1914 (que connut un autre, qui y perdit son frère), Marien est rien de moins que le deuxième prénom le plus porté : quatre occurrences, ce qui est sans exemple sur toute la courbe terrestre) et qui possédait à cet endroit un jardin et une grosse cabane attenante, avec une véranda (rien n'était encore construit en ce lieu, dans ce vallon sans malaria bien sûr mais à poisse d'air et moustiques nombreux, ratons et peupliers torves de l'Artière, qui enchaînait des prés tourbés d'eau, une eau qui faisait moisir jusqu'aux poteaux délimitant les terres, où des ânes très pareils aussi aux ânes italiens paissaient sous les carrières fantasquement rouges de Gravenoire – plus tard le lieu deviendrait une banlieue résidentielle aisée, mais cela n'empêcherait pas l'imagination de la littérature, qui naît où elle le veut). 2) C'est une chose connue des autochtones, moins des étrangers, que la cuvette de Clermont- Ferrand conserve aussi bien les brûlures gazeuses de la fournaise d'été que le froid mécanique et sans rachat de l'hiver ; de même que la pierre noire aux réverbérations incompréhensibles, l'absence de rivière, de fleuve, de lac, de toute eau et la situation d'enfoncement y exagèrent la touffeur des nuits d'été, il est courant que les nuits d'hiver soient plus froides à Clermont- Ferrand que dans les puys. Ce phénomène, dénommé inversion thermique, peut donner lieu, aux alentours du lac de la Cassière, à des brouillards sublimes. 3) Il est connu que jusqu'au milieu des années 1960, dans la cité de la Chaux, par exemple, aussi bien sous les côtes de Chanturgue, les fils subissant encore des sermons et vivant dans les cités Michelin lavaient leurs jeunes corps dans des bassines de cuivre – il n'existait, pour ainsi dire, aucun ornement pour le corps masculin (au blason (pas héraldique, même rue du Nord), aussi bien délié des Délies – découplé dans les sables ligériens à Decize (pas celle des [vélodrome P. Marcombes, après-dire] celle des [« Le département de la Nièvre » – ex-legein]), comme dirait ma tante des Garnaudes (pas Françoise, ma grande-cousine ; l'autre, la folle (née un an plus tôt))...). Tout cela a beaucoup changé, mais il faut prendre note de l'arrivée tardive des douches et des baignoires dans la cité de Clairmont. L'auteur pourrait ajouter que son propre père – vivant avec son frère, ses parents et ses grands-parents dans deux pièces d'une demi- cité Michelin (celles que d'aucuns comparèrent à des troupeaux d'éléphants paissant sur uploads/Geographie/ l-x27-architecture-clermont-ferrand-odt.pdf

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