Cahiers de la Méditerranée 75 | 2007 Islam et éducation au temps des réformes D
Cahiers de la Méditerranée 75 | 2007 Islam et éducation au temps des réformes Des tribus en Algérie ? À propos de la déstructuration tribale durant la période coloniale. Yazid Ben Hounet Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/cdlm/4013 DOI : 10.4000/cdlm.4013 ISSN : 1773-0201 Éditeur Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine Édition imprimée Date de publication : 10 décembre 2007 Pagination : 150-171 ISSN : 0395-9317 Référence électronique Yazid Ben Hounet, « Des tribus en Algérie ? », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 75 | 2007, mis en ligne le 21 juillet 2008, consulté le 07 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/cdlm/ 4013 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cdlm.4013 Ce document a été généré automatiquement le 7 septembre 2020. © Tous droits réservés Des tribus en Algérie ? À propos de la déstructuration tribale durant la période coloniale. Yazid Ben Hounet 1 La question tribale est réapparue en Algérie depuis les révoltes survenues en Kabylie en avril 2001. Celles-ci ont mis au devant de la scène publique un nouvel interlocuteur étatique : la coordination des arouch, dairas et communes – le terme arouch ( carûsh) étant généralement employé en Algérie pour désigner les tribus (sing. carsh). Suite à ces événements, de nombreux articles journalistiques sont parus au sujet de la tribu1, et depuis lors, on assiste tout au moins dans la presse à une mise en exergue et peut-être à une survalorisation du fait tribal dans ce pays2. Parmi les questions que pose ce regain d’intérêt pour la tribu, il en est une qui nous intéresse particulièrement : celle concernant le démantèlement tribal. Celle-ci se pose avec acuité d’autant plus qu’il était admis jusque récemment que le régime colonial avait détruit purement et simplement les tribus en Algérie. Or, si la déstructuration tribale fut, durant la période coloniale, une mesure voulue pour les départements civils du Nord, il apparaît qu’il n’en fut pas de même pour les territoires du Sud. L’organisation en tribus y fut en effet maintenue et les clivages tribaux y furent exacerbés. Dans cet article, on tentera de revisiter les thèses du démantèlement tribal en Algérie, pour en souligner les réalités mais aussi les limites, puis on prendra le cas des mesures prises par les autorités coloniales à l’égard de deux tribus appartenant à l’annexe d’Ain Sefra : les cAmûr3 et les Awlâd Sid F0 29 Ah mad Majdûb4. On comprendra donc que notre propos n’est pas de faire l’histoire sociale de ces tribus5, mais de comparer les mesures prises par les autorités coloniales à l’égard de la question tribale selon qu’il s’agit des départements civils du Nord ou des territoires du Sud. À propos du démantèlement tribal en Algérie : thèses et nuances 2 Le démantèlement de l’ordre tribal, qui s’effectue en Algérie entre 1830 et la Première Guerre mondiale environ, est une réalité qu’on ne peut nier mais qu’on se doit de nuancer. Celui-ci s’est effectué de plusieurs manières : par destruction physique, par Des tribus en Algérie ? Cahiers de la Méditerranée, 75 | 2007 1 dépossession foncière, en discréditant les structures d’autorité traditionnelles et en imposant de nouvelles normes culturelles aux populations autochtones. Destructions physiques 3 En dépit des conflits internes (notamment ceux entre tribus makhzen et tribus raya ou siba, ou simplement entre tribus proches), le monde tribal de l’Algérie ottomane avait une certaine cohérence et pouvait être vu comme un système assez complexe et fonctionnel6. Cet ordre tribal fut bouleversé par les transformations induites par le régime colonial et en premier lieu par son avant-bras : l’armée. Celle-ci prit les premières mesures d’une politique qui, à moyen terme, devait inéluctablement déstabiliser l’organisation antérieure. Elle le fit en combattant les tribus hostiles à la présence française en Algérie, mais elle le fit aussi en permettant et/ou en suscitant l’accentuation des divisions et des conflits inter et intra-tribaux. Par exemple, la résistance menée par l’émir Abd el-Kader, à la tête des tribus Hasham, Bani cAmr et Gharaba, fut anéantie en moins de quinze ans, de 1832 à 1847, du fait d’affrontements directs avec l’armée française, mais aussi en raison des conflits entre tribus – notamment ceux opposant l’armée constituée par l’émir Abd el-Kader et les tribus makhzen (makhzan) des Dûayr et des Zmala7. 4 Dans l’Ouest algérien, les tribus qui opposèrent une résistance furent par ailleurs prises en tenaille entre l’armée française et celle du sultan du Maroc, le sultan Abd Al F0 2A Rah man. Ainsi, le sultanat du Maroc participa au démantèlement tribal en « taillant en pièces » les Bani cAmr8. L’historien Redouane Ainad Tabet9 dresse, en effet, un tableau du devenir pathétique de cette grande tribu. Auparavant si puissante dans l’Ouest algérien (plus précisément dans la région de Sidi Bel Abbés), cette tribu devait subir de plein fouet les répercussions de son engagement aux côtés de l’émir Abd el- Kader. Celles-ci sont si effroyables que, pour reprendre les propos de l’auteur, au lendemain de la reddition de l’émir, en 1847, « La “verte tribu” n’est plus que l’ombre d’elle même10. » D’autres actes de résistance, les soulèvements des Awlâd Sidi Shaykh (à partir de 1863), la révolte d’El Mokrani (1871) notamment, furent mis en échec par l’armée française. On comprendra, dans ces conditions, les répercussions des pertes humaines résultant de ces batailles sur les différentes tribus : certaines disparurent, d’autres furent complètement déstabilisées. Ces défaites n’aidaient en rien la cohésion tribale parce qu’elles avaient pour conséquence de diminuer l’autorité des personnes et familles leaders. La tribu comme groupe politique subissait de la sorte un fâcheux contrecoup. 5 Toutefois, jusqu’à un certain point, les guerres ne furent pas les causes décisives du démantèlement tribal. Elles modifièrent les rapports de forces entre tribus, en affaiblissant certaines et en renforçant d’autres, mais ne changèrent pas pour l’essentiel l’organisation tribale car elles ne lui substituèrent aucune autre organisation sociale. En fait, les changements survenus dans le domaine de la propriété foncière – sénatus-consulte de 1863, loi Warnier de 1873 (visant la liquidation de la propriété communautaire des tribus) et le processus de dépossession foncière – eurent beaucoup plus d’impacts que les guerres. Des tribus en Algérie ? Cahiers de la Méditerranée, 75 | 2007 2 Sénatus-consulte et dépossession foncière 6 Les lois foncières furent en effet autrement efficaces. Il est intéressant de lire à ce propos le témoignage du capitaine Vayssière. En tournée chez les Namamsha, tribu de l’Est algérien, pour évaluer les conséquences du sénatus-consulte, il rapporte le fait suivant : « Les cheikhs et les kebars sont tous venus me trouver, commentant et déplorant la nouvelle. La consternation peinte sur leurs visages, plusieurs versaient des larmes. Ils m’ont dit : “Les Français nous ont battus, ils ont tué nos jeunes hommes et nous ont imposé des contributions de guerre. Tout cela n’était rien, on guérit de ses blessures. Mais la constitution de la propriété individuelle et l’autorisation donnée à chacun de vendre ses terres qui lui seraient échues en partage, c’est l’arrêt de mort de la tribu.” » 7 Il conclut ainsi : « Le sénatus-consulte de 1863 est, en effet, la machine de guerre la plus efficace qu’on ait pu imaginer contre l’état social indigène et l’instrument le plus puissant et le plus fécond qui ait pu être mis aux mains de nos colons. Grâce à lui, nos idées et nos mœurs s’infiltreront peu à peu dans les mœurs indigènes, réfractaires à notre civilisation, et l’immense domaine algérien, à peu près fermé jusqu’ici, en dépit des saisies domaniales, s’ouvrira devant nos pionniers11. » 8 À partir du sénatus-consulte de 1863, un ensemble de lois fut en effet mis en place en Algérie pour favoriser la propriété individuelle, principalement au profit des colons et des grandes sociétés capitalistes. Jean-Claude Vatin12 remarque, en reprenant le bilan dressé par Charles Robert Ageron qu’« entre 1871 et 1919 près d’un million d’hectares (897 000) ont été livrés aux colons. […] Les musulmans avaient perdu, en 1919, 7 millions et demi d’hectares, que l’État et les particuliers, les grandes sociétés capitalistes, s’étaient partagés. » 9 Karl Marx avait analysé vers 1879 le processus de dépossession foncière mis en œuvre en Algérie. Il considérait à ce propos que les terres des plateaux nord-africains étaient auparavant la possession indivise des tribus nomades qui les parcouraient, que la propriété tribale y était transmise de génération en génération et qu’elle ne se modifia qu’à la suite des changements suivants : « 1. fractionnement (graduel) de la tribu en plusieurs branches ; 2. inclusion de membres appartenant à des tribus étrangères13 ». Il montre ensuite comment, particulièrement à partir de la loi Warnier, la spoliation des terres tribales s’effectue, avec notamment la confiscation et la mise en vente des terres des tribus suspectées de rébellion. Ces lois avaient un double objectif : instituer la propriété privée14, mais aussi détruire les pouvoirs des tribus. Augustin Berque, dans un article datant de 1919, dira du sénatus-consulte de 1863 qu’il visait comme but politique « l’amoindrissement des grandes familles indigènes et la dislocation de la tribu15 ». 10 La question du statut des terres que uploads/Geographie/ cdlm-4013.pdf
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