L'œuvre d'Aimé Césaire et le ‘français régional antillais’ 1. Introduction 1.1.

L'œuvre d'Aimé Césaire et le ‘français régional antillais’ 1. Introduction 1.1. Contexte : la lexicographie différentielle francophone L’exposé que je vais vous présenter est à replacer dans le contexte plus large d’un projet de rédaction de ce qui devrait devenir, à moyen terme, un dictionnaire historique, comparatif et philologique des régionalismes du français des auteurs antillais, dans le sillage des DSR, DHFQ et DRF. Je rappelle que ces dictionnaires se donnent pour but de décrire, sous forme lexico- graphique, les particularités diatopiques du français en francophonie (j’emploie ici ce mot dans son acception globalisante, c’est-à-dire qui inclut la France !). Ils se caractérisent par un certain nombre de traits structurels : - leur visée est historique : ils tentent de rendre compte de l’origine et de l’histoire du mot, ainsi que de sa représentation dans le discours scientifique (d’où l’importance des bilans bibliographiques consacrés à chaque mot) ; - ils se veulent comparatifs, c’est-à-dire que les phénomènes lexicaux à décrire sont replacés dans un contexte géographique plus vaste : à titre d’exemple, mentionnons que les particularités des français d’Amérique trouvent souvent leurs correspondants dans l’Ouest de la France ; - enfin, ils sont philologiques, dans la mesure où ils fournissent au lecteur un très grand nombre de citations illustrant les nombreux emplois du mot à travers les genres et les types de discours, en privilégiant toutefois le discours littéraire et, dans une moindre mesure, journalistique. Un dictionnaire de ce genre n’existe pas encore pour le français des auteurs antillais, ce qui est très regrettable ; d’une part, parce que ce français s’avère très riche en particularités lexicales de toutes sortes ; d’autre part, parce que nous avons beaucoup à apprendre d’une meilleure connaissance de ce français dans une optique comparative, car dans une certaine mesure les français d’outre-mer sont les véritables archives vivantes de ce français populaire véhiculaire de l’époque coloniale qui n’a malheureusement pas laissé beaucoup de traces dans la lexicographie ou la littérature de l’époque. 1.2. Le concept de ‘français régional antillais’ Certains m’objecteront peut-être que le ‘français régional antillais’ est un objet inexistant, et que par conséquent il serait vain de vouloir lui consacrer un dictionnaire. Il est en effet bien connu que les locuteurs qui vivent en situation de diglossie français/créole sont prompts à nier l’existence de leur variété régionale de français, n’y voyant qu’une accumu- lation de ‘fautes’ condamnables ; on préférerait vivre dans l’illusion rassurante que seul le français le plus châtié est pratiqué aux côtés du créole, que certains cherchent également à parler d’une façon illusoirement conçue comme ‘pure’. Les adversaires de la notion de ‘français régional antillais’ se comptent également parmi ceux qui redoutent de voir ce dernier s’approprier ne serait-ce qu’une toute petite partie de la valeur identitaire normalement recon- nue au créole ; d’autres encore le craignent parce que sa reconnaissance risque d’accélérer la André Thibault – Université Paris-Sorbonne (Paris-IV) – Réseau ‘Étude du français en francophonie’ de l’AUF Colloque international ‘Aimé Césaire à l’œuvre’ – Paris, ENS, 8-9 octobre 2008 - 2 - francisation du créole, lequel pourrait alors disparaître purement et simplement. Je voudrais simplement signaler pour l’instant que l’existence du français régional antillais est désormais reconnue explicitement par un auteur qu’on ne peut pas soupçonner d’être un adversaire du créole, Raphaël Confiant, qui écrit en page 31 de son nouveau Dictionnaire créole marti- niquais – français (Ibis Rouge, 2007) : « le français est devenu une ‘langue naturelle’ à la Martinique tout en prenant, au cours de ce processus de naturalisation (ou de nativisation, si l’on préfère) une coloration autochtone relativement marquée. » Pour moi, le français régional antillais est d’ailleurs à considérer dans toute l’étendue de ses registres. Si je m’empresse d’apporter cette précision, c’est qu’on a trop souvent tendance à concevoir les variétés diatopiques d’une langue comme limitées à la langue parlée, voire relâchée ; or, il peut y avoir des régionalismes dans tous les types de discours et tous les niveaux de langue. C’est au discours littéraire que j’ai choisi de me consacrer, en raison de la richesse intrinsèque de ce type de discours, et de ses implications culturelles et identitaires ; mais j’espère que de riches corpus de langue parlée verront le jour et pourront donner lieu à des études consacrées spécifiquement à ce type de discours, lesquelles nous permettraient de projeter un éclairage complémentaire sur le portrait nécessairement partiel que nous fournit l’étude de la seule langue littéraire. 1.3. La frontière entre ‘français’ et ‘créole’ En ce qui concerne le problème de la frontière entre français et créole, je n’ai pas l’intention de m’y attaquer ici ; je parlerai simplement de ‘types lexicaux’, sans présumer de l’appartenance de chacun d’entre eux à des codes linguistiques clairement séparés. Je vou- drais préciser toutefois que je travaille exclusivement sur des ouvrages écrits en français, ou qui en tout cas s’adressent à un lectorat international, bien que dans plusieurs d’entre eux de courts passages en créole puissent apparaître à l’occasion. 1.4. Quels auteurs doit-on étudier en priorité ? Vous l’aurez remarqué, la régionalité linguistique n’est pas du goût de tous les auteurs. Certains s’efforcent d’éliminer autant que faire se peut tout trait régional de leur style. D’autres en revanche se livrent à une accumulation baroque de traits régionaux et de mots d’auteur. Il convenait, pour initier ce projet, d’analyer la production d’un auteur qui fait un usage régulier – mais jamais pléthorique ni caricatural – de régionalismes. Notre choix s’est porté sur Joseph Zobel, auteur martiniquais dont nous avons dépouillé exhaustivement tout l’œuvre en prose (v. Thibault / Drouin à paraître pour une présentation d’ensemble du projet ; Thibault 2008 pour une première publication consacrée à une présentation comparative des régionalismes communs aux Antilles et au Québec ; et Thibault à paraître pour un glossaire exhaustif des régionalismes du roman Rue Cases-Nègres). Dans la même lignée, l’un de nos doctorants, M. Teodor Zanoaga, a entrepris il y a un an une thèse sur les régionalismes dans l’œuvre d’Ernest Pépin, et l’une de nos étudiantes de master 2, Mlle France Sainval-Noël, rédige cette année son mémoire sur le roman Solibo Magnifique de P. Chamoiseau ; en outre, deux de nos étudiants de master 1 (Mlle Paulina Morawiecz et M. Jean-Louis Laurilmar) travaillent sur l’écrivain haïtien Jacques Roumain. André Thibault – Université Paris-Sorbonne (Paris-IV) – Réseau ‘Étude du français en francophonie’ de l’AUF Colloque international ‘Aimé Césaire à l’œuvre’ – Paris, ENS, 8-9 octobre 2008 - 3 - 2. Les antillanismes dans l’œuvre d’Aimé Césaire A priori, Aimé Césaire ne m’était pas apparu comme un auteur à dépouiller en prio- rité, dans l’optique de l’élaboration d’un dictionnaire historico-comparatif des particularités régionales du français des Antilles. Le style de Césaire est plutôt caractérisé par un riche vocabulaire encyclopédique, un lexique très recherché dans lequel les racines gréco-latines et les termes hautement spécialisés des nomenclatures savantes tiennent le haut du pavé. Pourtant, je savais bien qu’en raison de l’importance de cet auteur dans le panorama des lettres antillaises, il faudrait bien que je me donne un jour la peine de faire le relevé exhaustif des mots qui présentent un intérêt diatopique dans son œuvre, et je remercie les organisateurs de ce colloque de m’en avoir donné l’occasion. Contre toute attente, j’ai relevé quelques dizaines d’antillanismes chez Aimé Césaire – ce qui évidemment n’est pas beaucoup au regard des quelque 500 mots relevés chez Zobel, mais lorsqu’il s’agit de donner à ces mots leurs lettres de noblesse dans le cadre d’un dictionnaire qui aura, entre autres, la fonction d’une anthologie de citations littéraires antillaises, chacune de ces attestations s’avère très précieuse. On remarquera que ce ne sont pas tous les ouvrages de Césaire qui contiennent des antillanismes : ces derniers ont été relevés prioritairement dans Cahier d’un retour au pays natal ainsi que dans les recueils Les armes miraculeuses, Cadastre et Moi, laminaire. Du point de vue de leur origine, ces régionalismes illustrent plusieurs cas de figure (v. ci-dessous, section 4), comme le prouve la vingtaine d’articles que je leur ai consacrée pour cette présentation (v. ci-dessous, section 6). 3. Méthodologie Sur la méthodologie qui doit présider à la confection d’un glossaire des particularités diatopiques d’un auteur littéraire, je me contenterai de renvoyer ici à Thibault 2006, où sont détaillées les différentes facettes d’une telle entreprise. Les articles réunis ci-dessous, section 6, s’inspirent des propositions réunies dans cet article. Je rappellerai très brièvement quelles sont les principales articulations d’un article : un mot-vedette sous forme lemmatisée, suivi de l’indication de sa catégorie grammaticale, d’une définition, d’éventuels renvois sémasio- logiques et onomasiologiques, d’un bloc de citations numérotées et dûment référencées (le tout pouvant se scinder en de nombreuses subdivisions si la sémantique du mot s’y prête) ; cette première partie, synchronique, est suivie d’un commentaire historico-comparatif, qui peut comporter entre autres des attestations anciennes ; puis, un bilan bibliographique clôt l’article, en présentant par ordre chronologique les principaux ouvrages de référence qui ont traité du mot (il s’agit essentiellement de dictionnaires historiques et étymologiques de français, mais aussi de créole). 4. uploads/Geographie/ cesaire-antillanismes.pdf

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