Chronique d’une culture conquérante : le taro (Tchad méridional et Nord-Camerou
Chronique d’une culture conquérante : le taro (Tchad méridional et Nord-Cameroun) (1) Christian SEIGNOBOS Géographe, ORSTOM RESUME Un Colocasia se diffuse actuellement, à partir du Nigeria, dans les régions du Tchad et du Nord-Cameroun. Le suivi de ce tubercule laisse apparaître un certain nombre de mécanismes, tant pour les acteurs de la diffusion que pour les groupes qui en développent sa culture. Il permet à la fois d’exhumer le rôle des taros «archaïques» dans d’anciens agrosystèmes et de mieux percevoir certaines stratégies villageoises actuelles. Cette diffusion spontanée demanderait en outre à être prise en compte par les développeurs à l’écoute des besoins des sociétés villageoises. MOTS-CL& : Colocasia - Taro - Diffusion - Tchad - Nord-Cameroun. ABSTRACT About an intensive trop : Taro (Southern Chad and Northern Cameroon) Currently, a Colocasia spreads from Nigeria to Chad and Northern Cameroon. The observation of this tuber suggests a number of mechanisms for the people responsible for the spread as well as for the groups whieh grow it. It allows both to reveal the rok of the ‘archaic” taros in former agrosystems and to better understand some carrent rural strategies. Moreover. this spontaneous spread would require to be taken into account by the developers who tare for the requirements show by the rural societies. KEY WORDS : Colocasia - Taro - Spread - Chad - Northern Cameroon. Le genre Colocasia était représenté dans un certain nombre d’agrosystèmes du Nord-Cameroun et du Tchad méridional sous forme d’un taro archaïque, de petite taille, qui devait subir une cuisson assez longue avant d’être consommé. De consistance glaireuse, il avait la particularité de provoquer des irritations de la gorge (2). Ce taro (Colocasia esculenta (L) Scftott.) est encore produit sur les hauts massifs les plus arrosés des monts Mandara. Les Mafa le cultivent généralement autour des habitations, dans les parties humides en contrebas des dalles rocheuses. Il peut également être transplanté début juin près des «eaux» (« way))), pâtures encloses maintenant des sources pérennes. Il est alors cultivé sur de petites parcelles prises dans un maillage de drains qui convergent vers un collecteur longeant les pâtures. Il est aussi transplanté dans ces drains-canaux, en particulier dans les « gru uray » (tête + canaux), qui sont les amorces élargies des Cah. Sci. Hum. 24 (2) 1988 : 283-302. 284 C. SEIGNOBOS FIG. 1. - Taro dans les drains (Ziver, Monts Mandara, Cameroun) canaux. La culture du taro se pratique toujours à plat. Les Mafa distinguent deux variétés en fonction de la couleur de la tige : « metler mataraha » (blanc) et « metler madzaha » (noir-brun), ce dernier étant le plus productif. Ce taro s’offre un peu comme un complément de soudure. Il arrive à maturité en trois mois et peut être consommé dès la fin du mois d’août. Il intervient dans un domaine de sorghos et de petit mil à cycles longs (récolte en novembre). $a production, constante, échappe à la rotation sorgho/petits mils- haricots qui rythme le calendrier agraire mafa. Autoconsommé, le taro mafa se trouve parfois sur les marchés de Piémont et sur celui de Mokolo, vendu par tas de 100 ou préparé. Ce taro archaique était également répandu sur les plateaux des monts Mandara centraux, chez les Wula, les Kapsiki, les Bana et les Jimi. Appelé « rambiyo » à Rumzu, « rembewo » à Mogode et « mapupu » à Kila, il était cultivé près des habitations. On ne prélevait que partiellement des tubercules pour la consommation ou pour la semence si bien que chaque pied restait en terre cinq à six ans. Chaque année, un léger buttage était pratiqué. §a cuisson avec un sel de potasse liquide (issu de la lixiviation de cendres) permettait d’atténuer l’irritation des muqueuses de la gorge. Pris comme aliment de soudure, il venait en alternance avec le mil des fonds de silos. Dans les massifs-îles en avant des monts Mandara, comme à Mogudi (ouest de Maroua), un taro à tige rouge, appelé « guzar » en giziga, était encore cultivé autour des trous d’eau au début du siècle. Son utilisation était la même que celle que nous venons d’évoquer. Une variété de C. esculenta, très proche, était également mise en culture dans les plaines du moyen Logone, principalement sur la rive occidentale, l’est étant Cah. Sci. Hum. 24 (2) 1988 : 283-302. Une culture conqdrante : le taro 285 Zones de production de nouveaux Colocasia Zones de production du tara wrchaiqw~ Traces de tara mchaïqw \o BONGOR FIG. 2. - Situation de la culture du taro (1986) dominé par d’autres tubercules comme Colezrs dazo. Il a également été cultivé dans les plaines du mayo Kebbi. en aval du lac de Léré. Dans ces deux cas, il s’agit vraisemblablement de deux aires semi-relictuelles pour une production qui connut une extension plus large. Cette culture pouvait se pratiquer à plat ou sur des billons, écobués ou non. Encore entre les mains de femmes agées, ce taro est en voie de disparition. Nous l’avons observé (1977-1978) à Koutoun, chez les Gabri de la berge droite du Logone, dans quelques villages marba de la Tandjilé, dont Djo Gogor. Ce même taro est également présent dans les villages de Djarede et Boussa sur le mayo Kebbi (Cameroun) (1985). A cet ancien taro est venu récemment s’ajouter dans les plaines du Logone et du mayo Kebbi une variété tardive plus volumineuse, au rendement accru et mieux apprécié gustativement. §a diffusion, initialement au Tchad, puis au Cameroun, a parfois pris un caractère spectaculaire. Cah. Sci. Hum. 24 (2) 1988 : 283-302. 286 C. SEIGNOBOS Le développement d’un nouveau C. esculenta au Tchad, dans les plaines du moyen Logone Dans les premières décennies de la période coloniale, les populations du moyen Logone et de la Tandjilé engagèrent vers le Nigeria un mouvement d’émigration dont la genèse reste mal élucidée. Ce furent les mines de la région de Jos qui reçurent le gros de ces immigrants. Ils revenaient ensuite au pays avec des poneys du Yetseram qu’ils croisaient avec leurs propres poneys du Logone, avec des lingots de métal qui contribuèrent à renouveler l’artisanat marba-moussey . . . Ils en rapportèrent également le protestantisme et des bibles en haoussa. Aussi, après cette première période minière, des liens entre Jos et le moyen Logone se FIG. 3. - Billon de taro (Djouman, Tchad) Cah. Sci. Hum. 24 (2) 1988 : 283-302. Une culture conquérante : le taro 287 FIG. 4. - Zone d’extension première du taro soso sont-ils prolongés à travers les différentes églises protestantes, l’enseignement religieux et les soins hospitaliers. En 1955, le pasteur de Djouman (pays kim), Mata Yo, introduisit dans le village les semences d’un tara cultivé dans la région de JO~. Sa femme en fit le premier billon en 1956 et . . . en 1958 tout Djouman avait adopté ce taro. Le « gunin (= taro) soso » - du nom de l’ethnie voisine de Jos - (3) devait connaître un succè? rapide auprès de l’ensemble des quatre bourgades « kim» : Djouman, Kolobo, Eré et Kim. En 1960-61, sa culture est généralisée dans ces villages (4), qui maintiendront le monopole de cette production pendant près de quinze ans, puis les établissements du fleuve : Besme, Goundo, Kabalay . . . en amont de Kim, l’adoptèrent à leur tour. A Boussour, une majorité de cultivateurs font du taro dès 1969, Misséré et Dray Ngolo le cultivent à peu près uniformément en 1972. Après quelques précurseurs isolés en 1970, Sategui et Lai achètent massivement des semences en 1974. En 1975, la piste de Ham à Laï devient l’axe de production du taro soso. Les points de vente se multiplient cette année-là, y compris pour les villages de l’intérieur qui stockent leurs sacs sous des auvents partiellement clos. Pour cette même année, sur le tronçon de Ham à Djouman, on recense un point de vente à Ham, deux entre Ham et Kolobo - alimentés par les Marba et Cah. Sci. Hum. 24 (2) 1988 : 283-302. 288 c. SEIGNOB~S ,-~-, “.i PHOTO 1. - Bilions de taro dans la région de Éré (1977) Tchad PHOTO 2. - Bilions de taro surélevés durant la période d’inondation ; situatbn aprés le retrait des eaux, au moment de la récolte (village de Djouman, 1977) Cah. Sci. Hum. 24 (2) 1988 : 283-302. Une culture conquérante : le taro 289 les Moussey - et une tête de pont pour Kolobo. En amont de Djouman, trois autres nouveaux points de vente sont créés au bord de la piste, en plus des villages qui, comme Boumo, Korindwa... organisent la commercialisation de leurs productions. Toujours à cette époque, c’est une dizaine d’établissements supplémentaires (Besme, Kabalay . ..) qui emboîtent le pas aux Kim dans leur vente à l’extérieur, et les femmes partent en groupe convoyer leurs produits sur les mêmes marchés ou vont en prospecter d’autres. Le « taro soso» prend alors de plus en plus souvent le nom gambay de « bogolo» et dépasse Lai pour remonter le Logone apres 1975. En 1976, il mord un peu à uploads/Geographie/ chronique-d-x27-une-culture-conquerante-le-taro-tchad-meridional-et-nord-cameroun.pdf
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- Publié le Nov 03, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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