Islamisme : concevoir l'impensable Texte dont le contenu a servi de base à une
Islamisme : concevoir l'impensable Texte dont le contenu a servi de base à une intervention faite devant un cercle de discussion politique le 27 février 2015, ici retranscrite et largement complétée. Le texte a été relu en septembre 2015, subissant quelques corrections et modifications dont les plus importantes sont signalées entre crochets. 1 – Une situation nouvelle ? Janvier 2015 : un paroxysme La gauche et les médias touchés en leurs centres Une application de la loi musulmane 2 – Les réactions populaires Les réactions anti-musulmanes Les rassemblements de solidarité Les demandes d'explication 3 – Failles dans le discours officiel « Les islamistes sont une infime minorité » « L'État assure votre sécurité » L'islamisme en cercles concentriques 4 – Une situation impensable La barbarie Une sécession sur une base migratoire Donner raison aux Le Pen La société contre l'oligarchie Déni et déréalisation 5 – Questions ouvertes Une libanisation en cours ? Quel jeu de l'oligarchie ? L'avenir du Front National ? Mort anthropologique de l'Occident ? Je vais évoquer les attentats de Paris [de janvier 2015] pour en comprendre les implications, mais avant, quelques mots de présentation. Je fais partie d'un groupe politique, le collectif Lieux Communs, dont l'objectif est de viser l'instauration d'une démocratie directe, régime politique qui doit entraîner, pour nous, la redéfinition des besoins et l'établissement de l'égalité des revenus. Nous sommes donc pleinement engagés dans la critique sans concession des sociétés telles qu'elles existent, et aujourd'hui largement dominées par les imaginaires de consom- mation, de délégation et de hiérarchie. C'est un projet ambitieux qui vise l'autonomie individuelle et collective, nous reprenons le projet d'émancipation, mais nous sommes tout à fait lucides sur les chances d'y arriver... Il y au- rait un énorme travail à faire, que nous prétendons entamer d'ailleurs1, du moins dans la théorie puisque la pra- tique n'est plus que parcellaire voire quasi inexistante. Tout ça pour dire que nous avons autre chose à faire que de nous occuper de ces questions d'islamisme, de reli- gion, etc. qui ne nous intéressent a priori pas du tout, mais que nous rencontrons dans l'analyse que nous faisons de la réalité. Par exemple certains d'entre nous vivent et/ou travaillent dans des zones d'immigration, où la ques- tion de l'extrême droite musulmane, puisque c'est ainsi que nous caractérisons politiquement tous les courants is- lamistes2, se pose d'elle-même, et de manière assez inquiétante, depuis de nombreuses années. La chose a pris de l'ampleur depuis les prétendus « printemps arabes ». C'est ce que nous avions déjà constaté lorsque nous nous étions rendus en mars 2011 dans la Tunisie post-insurrectionnelle3, où nous avons des copains depuis des années qui se trouvent dans des situations très délicates. Et puis certains d'entre nous sont d'origine maghrébine et musul- mane, ce qui fait que nous sommes particulièrement concernés et avertis. Bref, comme nous prétendons changer le monde, nous sommes mis en demeure de le comprendre, de saisir son évolution et ses tendances, à l'échelle lo- cale comme géopolitique. C'est là que l'analyse du phénomène de l'islamisme nous semble inévitable4. Et une fois encore, depuis janvier dernier, nous voilà devant une situation qui est à penser mais que nous n'avons pas choisie et qui n'a rien de réjouissant. Le fil qui va guider mon propos, c'est la tentative d'interpréter l'événement comme un révélateur d'une situation plus générale. En gros : en quoi ces attentats permettent-ils de décrire la situation dans laquelle nous sommes vis-à-vis de l'islamisme ? Je vais procéder en cinq points. 1 D'abord je vais me demander en quoi la situation est nouvelle depuis ces attentats perpétrés à Paris, le massacre du comité de rédaction de Charlie Hebdo, les assassinats qui ont suivi, jusqu'à la tuerie de l'Hyper Cacher ; et à partir de là – ce sera ma deuxième partie – quelles ont été les différentes réactions dans la population française. Troisièmement, je vais aborder les réactions médiatiques et l'affaiblissement du discours officiel, qui a laissé pas- ser une image de la réalité particulièrement inquiétante et qui me semble littéralement impensable. Je passerai donc en revue, lors du point suivant, les « verrous » idéologiques qui me semblent empêcher de prendre la mesure de ce qui est en train de se passer. Et je finirai par quelques questions grandes ouvertes sur l'avenir. 1 – Une situation nouvelle ? Je vais donc commencer par me demander en quoi la situation qui fait suite aux attentats de ce début 2015 est, ou crée, une situation nouvelle. Et la réponse n'est pas évidente parce que, après tout, en toute lucidité, tout ceci a un air de déjà-vu, rien qu'en nous limitant au cas français... Des scandales autour des caricatures, il y en avait déjà eus en 2004, les caricatures danoises, réactivées en 2011 par l'incendie des locaux de Charlie Hebdo, précisément. Des menaces et des réclusions d'intellec- tuels, c'est presque devenu courant depuis Salman Ru- shdie en 1988, jusqu'à Robert Redecker en 2006 en France, et des assassinats ont également déjà eu lieu, comme celui de Théo Van Gogh aux Pays-Bas en 2004. Des meurtres de militaires, de policiers, d'en- fants, de juifs ou d'anonymes aussi depuis 30 ans, se- lon différents modes opératoires. Quant au niveau de violence, on est encore loin des presque 200 morts et 2 000 blessés de Madrid il y a dix ans et, question mise en scène, il semble que le summum ait été atteint en mai 2013 lorsqu'un soldat de la British Army avait été trucidé en pleine rue à Londres avec un hachoir de boucher quasiment sous l'œil des caméras... Alors quoi ? Janvier 2015 : un paroxysme Peut-être est-ce un mélange de tout ça, une sorte d'accumulation, de paroxysme, mais qui a lieu dans, qui est lié à, un contexte particulier : du côté géopoli- tique, il y a l'émergence foudroyante du Califat de l'État Islamique cet été, créé ex nihilo, et qui essaime en Afrique avec Boko Haram ou Ansar Din, mais aussi dans le Caucase, aux Philippines, maintenant en Chine, et qui suscite, en tant que réalisation du fan- tasme musulman, des émules partout dans le monde, Tunisie et Belgique en tête, qui partent s'y engager. Sans même parler de l'exécution d'otages comme celle d'Hervé Gourdel, la connexion avec la situation natio- nale est donc immédiate, exactement comme avec la situation palestinienne, avec les manifestations antisé- mites du mois de juillet. Fait nouveau, on voit une ré- action, notamment sur le front intellectuel : c'est l'écho de livres comme Le Suicide français d'E. Zemmour et Soumission de M. Houellebecq, la diffusion de films comme l'Apôtre ou Timbuktu, la popularité des thèmes autour du « Grand Remplacement de population », l'intérêt d'une partie de la population pour l'incernable mouvement « anti-islamisation » en Allemagne (Pegi- da) cet automne, etc. Bref, avant même ces tout der- niers attentats, l'islamisme commençait à ne plus être perçu globalement comme un épiphénomène passager, mais bien comme un courant de fond international qui concerne tout le monde. La gauche et les médias touchés en leurs centres Mais je crois aussi que les meurtres à Charlie Heb- do – je pense que ceux de l'Hyper Casher, pourtant tout aussi affolants, passent malheureusement très lar- gement derrière – ont choqué surtout parce qu'ils ont visé des valeurs profondes, d'abord françaises, ensuite de gauche, et enfin de l'oligarchie médiatique. C'est le droit au blasphème qui est violemment remis en cause (en fait, aboli) alors même que chacun le pensait aussi évident, naturel, au point que le terme même semble sorti du Moyen Âge – ne parlons pas de celui d'apos- tasie. C'est, plus largement, la liberté d'expression, la liberté de penser, qui est attaquée, mais aussi l'humour, la dérision, l'impertinence, la caricature, la gauloiserie, alors même que, de Rabelais à Desproges, elles sem- blaient consubstantielles à la mentalité de ce pays de- puis des siècles. Et c'est aussi la presse qui est en cause, et plus largement le monde médiatique, alors même qu'il semble se substituer peu à peu au pouvoir politique5, d'où sa réaction, dont je vais parler, qui ex- primerait une sorte d'« esprit de corps ». Et il y a aussi l'aspect humaniste qu'incarnait l'hebdomadaire, défen- seur de toutes les causes de la « gauche » contempo- raine et partageant son auto-aveuglement et ses bons sentiments – en ce sens-là, le comité de rédaction déci- mé a aussi été victime de sa propre idéologie. C'est la raison pour laquelle ces attentats sont vraiment une er- reur stratégique pour les islamistes : ils ont mis en porte-à-faux leurs propres défenseurs6. Enfin, je crois ne pas avoir été le seul à avoir eu l'impression d'avoir 2 perdu avec Wolinski, Charb, Cabu, Honoré, des co- pains de lycée, potaches et attachants dans leur conne- rie même. J'ai grandi avec Cabu, et j'ai du mal encore à réaliser qu'il a été trucidé par des islamistes... Une application de la loi musulmane Trucidé ou plutôt exécuté, parce que ce qui ressort de l'événement, c'est que c'est un acte de guerre qui a été uploads/Geographie/ collectif-lieux-communs-islamisme-concevoir-l-x27-impensable.pdf
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- Publié le Sep 08, 2021
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