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[«PUBLIC LIBRAHY THE an».,,. 3 3333 081 62 2598 V D 30628 * CONTES MAUVES DE MA MERE-GRAND H1T1EME MILLE PRÉCÉDEMMENT PARUS : CONTES BLEUS DE MA MÈRE-GRAND, illustrés par Henry Morin. CONTES ROSES DE MA MÈRE-GRAND, illustrés par Maurice Lalau. Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays y compris la Suède et la Norvège. CHARLES ROBERT-DUMAS CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND DESSINS DE MAURICE LALAU ANCIENNE LIBRAIRIE EU RNE BOIVIN & C ie , ÉDITEURS 5, RUE PALATINE, VI e MDCCCCXXIX * •93CAoî6' \ LA FILLE AUX LOUPS • • • . ' - i • . • - - • * '. I 'O^l était une fois une petite fille qui se nommait Anémone. Elle n'avait guère riche mine, la pauvre enfant : des joues creuses, les lèvres blan- ches, la figure tirée par le chagrin; un petit corps de souffreteuse : des jambes grêles, deux bras fluets, la poitrine étroite sous des épaules décharnées. Elle faisait peine à voir, quand elle allait à la rivière, le dos rond, raidie sur ses mollets, portant de toute la force de ses reins sa hottée de linge. Mais lorsque, déposant son fardeau pour reprendre haleine, elle relevait la tête, alors on n'apercevait plus ni ses joues hâves, ni ses lèvres blêmes, mais seulement Œ 4 CONTES MAUVES DE. MA MÈRE-GRAND. ses deux yeux clairs et si grands qu'ils paraissaient emplir son visage. Elle souriait au Ciel, d'un sourire plus triste que des larmes, et demeurait là toute perdue, son- geant que c'était dans ce Là-Haut diaphane que demeuraient les anges. Elle les imaginait enfants comme elle mais roses, dodus, aussi blonds qu'elle était brune, avec des vêtements faits de nuages, tandis qu'elle allait en loques. Ils jouaient à cache-cache dans l'azur; la nuit, ils dormaient, leurs ailes sagement repliées, ayant pour berceaux le duvet des nuées et pour veilleuses les étoiles. — Eh bien, faut-il que je t'aide à bayer aux corneilles? Grand Dieu, la voix de sa méchante belle-mère! Anémone, d'un douloureux effort de ses petits bras, rejetait sa hotte sur son dos, et se bâtait vers la rivière. Les vieilles disaient à la veillée que les petits enfants sages qui mouraient, montaient au Ciel et devenai nt des anges. Et Anémone, cassée en deux sous son paquet de linge, marmottait entre ses dents menues : « Mon doux Jésus, faites- moi vite mourir, pour que je sois bientôt un ange, et que j'aille retrouver ma maman. » Car Anémone n'avait plus de maman sur celte terre. La sienne était là-haut, près du bon Dieu qui aime les humbles et les appelle à lui quand il a pitié de leur misère. Elle était donc partie pour le Ciel, un soir d'hiver, tuée par le travail et le froid, laissant derrière elle Anémone, toute seule avec son père qui était un pauvre bûcheron. Ils avaient eu, tous deux, bien du chagrin; mais l'homme beaucoup moins que l'enfant, puisque peu de mois après, il rentra de la ville, un beau soir, conduisant par la main une inconnue. C'était une fort belle femme à l'œil luisant comme un velours, aux cheveux noirs, au menton décidé, mais réputée dans tout le voisinage pour sa méchanceté et son caractère acariâtre. Anémone qui ignorait cela, n'allait guère tarder à l'apprendre. — Voici ta seconde maman, ma mignonne, embrasse-la, dit le bûcheron. La fdlette, interdite, se laissa baiser au front, puis, éclatant en sanglots, s'enfuit comme une folle. Quand elle fut loin, bien loin, elle s'abattit sur l'herbe, appelant à longs cris sa vraie maman, celle qui était morte et au Ciel : « Maman, maman! » Celle-ci l'enten- dait, Anémone en était bien sûre, mais le bon Dieu sans doute ne voulait pas qu'elle descendît, puisqu'elle ne parut point et qu'elle laissa sa fillette rentrer seule. Le visage sali par les pleurs, creusé par le chagrin, la petite alla se coucher sans souper. Elle joignit les mains, commença sa prière, mais le sommeil passa sur elle aux premiers mots : elle s'endormit. En rêve elle vit des anges qui voletaient et, l'effleurant de leurs ai!es, lui soufflaient Ufa~_ £ "m LA FILLE AUX LOUPS. 5 à l'oreille : « On n'a pas deux mamans, Anémone, on n'en a qu'une! » Et leurs voix l'enchantaient comme une musique lointaine. Les anges ne l'avaient pas trompée, elle s'en aperçut dès son réveil, lorsque le poing de sa belle-mère l'ébranla : — Allons, debout ! Anémone, la tête encore toute sonore de son rêve, se dressa sur son séant, se frotta les paupières, écarquilla les yeux... — Et que ça ne traîne pas, hein ! Une nouvelle bourrade l'éveilla tout à fait. D'un bond elle quitta son lit de feuilles sèches, jeta un jupon sur ses hanches et se hâta de prendre un chaudron qu'un doigt brutal lui désignait : — Allons, ouste, à la rivière, chercher de l'eau! Et ne muse pas en route, sinon gare! Anémone sortit après avoir glissé un regard vers le lit de son père : il était vide, le bûcheron étant parti de grand matin. Elle en éprouva un gros saisisse- ment. « Ainsi donc, tout aujourd'hui, personne qui pût la défendre! Elle était livrée au bon plaisir de cette femme. » Elle eut peur. Tout en allant vers le ruisseau, elle se promit d'être bien douce, bien sage, bien docile. « Elle sera peut-être satisfaite », pensait-elle; et, se rappelant le mauvais regard et le geste menaçant de l'étrangère, elle tremblait : « Mon Dieu, pourvu qu'elle ne me batte pas ! » Elle fut battue cependant, et dès son retour du ruisseau : « elle avait lambiné; le chaudron n'avait pas été rincé ; l'eau était bourbeuse... » Ce furent des reproches d'abord, puis un pinçon au bras, deux taloches. Anémone pleura. — Attends, je vais t'apprendre à pleurnicher, moi ! Elle la secoua comme un prunier, lui tira les cheveux, les oreilles. L'enfant, terrifiée, tombée sur les genoux, ses petits bras haut, croisés en avant de sa tête pour parer les coups, jurait en sanglotant qu'elle ne pleurerait plus jamais, jamais. Elle se fit si humble qu'on cessa de frapper; le jour s'acheva sans nouvelle correction. Mais que de travaux elle dut faire! Ecurer les | oêlons, les marmites, fourbir la crémaillère, nettoyer l'âtre, enlever les cendres, gratter la suie de la cheminée. Vers le soir, elle eut quelque répit : le bûcheron allait rentrer. — Décrasse-toi, cria la mégère, que ton père ne te voie pas avec cette face de souillon. Et tâche de ne pas avoir les yeux rouges, car s'il remarque tes larmes, tu me le paieras cher demain! m CONTES MAUVES DE MA MÈRE-GRAND. Anémone obéit en tremblant : elle trouva même un sourire pour accueillir son père. Il entra, déposa sa cognée dans un coin, embrassa sa femme, puis sa fille : — Ah, ah, fit-il, ça me réjouit le cœur de vous revoir. C'est une bonne chose, après une rude journée de travail, que de retrouver au logis des frimousses ave- nantes. Alors, on fait bon ménage toutes deux, la maman et la fille? Il tapotait les joues d'Anémone qui, confus^, le cœur gros à éclater, les pleurs au bord des paupières, cachait derrière son dos ses menottes gonflées, endolories. II était brave homme, un peu simple, aimant certes bien sa fille, mais peut-être plus encore sa tranquillité. 11 mangea sa soupe et un bon morceau de lard, puis alla se mettre au lit. Il n'avait rien remarqué, ni les jeux rougis de son enfant, ni ses mains enflées, ni ta lassitude, pas plus que son air de pauvre animal battu, lorsque sa belle- mère qui faisait la douceâtre, fixait à la dérobée son œil venimeux sur elle. Anémone, sitôt étendue sur son grabat, s'endormit, mais non sans avoir confié sa peine à sa chère maman là-haut, près du bon Dieu. « Maman chérie, qui es au Ciel, tu vois, j'ai eu bien du chagrin aujourd'hui, e! LA FILLE AUX LOUPS. 7 aussi des coups et tant de travail; mes mains me font bien mal, et mes bras, mes jambes, tout mon corps. Pourtant, je suis contente que papa n'ait rien vu, et qu'il s'endorme heureux, en s'imaginant que je m'entends bien avec sa vilaine méchante femme. Ma vraie maman, ma seule maman, c'est toi, je n'en aurai jamais d'autre, va, sois tranquille. Et je te promets de ne jamais me plaindra à mon papa, pour ne pas le chagriner ni lui faire avoir des mots avec celle qui prétend te remplacer ici. Puisque tu es près du bon Dieu, et que tu le vois sans doute chaque jour, demande-lui de prendre pitié de ta petite Anémone, afin qu'elle ne manque pas de courage. N'oublie pas surtout, ma douce maman. » Son chat Gris-Gris qu'elle dorlotait chaque soir n'eut pas cette fois sa ration de caresses. Il sortit à plat ventre de dessous le vieux bahut où il s'était tenu caché toute la journée, affolé par le remue-ménage qui bouleversait uploads/Geographie/ contes-mauve.pdf
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- Publié le Aoû 18, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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