CONTRIBUTION À L'ÉTUDE D'UN MOT VOYAGEUR : CHLEUH Rachid Agrour Éditions de l'E

CONTRIBUTION À L'ÉTUDE D'UN MOT VOYAGEUR : CHLEUH Rachid Agrour Éditions de l'EHESS | Cahiers d'études africaines 2012/4 - N° 208 pages 767 à 811 ISSN 0008-0055 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-cahiers-d-etudes-africaines-2012-4-page-767.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Agrour Rachid, « Contribution à l'étude d'un mot voyageur : Chleuh », Cahiers d'études africaines, 2012/4 N° 208, p. 767-811. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de l'EHESS. © Éditions de l'EHESS. 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Pour tenter de saisir la genèse complète du signifiant et des signifiés, nous étudierons tout d’abord les différents termes usités pour désigner les populations berbérophones de l’Afrique du Nord tout au long de l’histoire ; ensuite nous tenterons de décrire les différentes étapes de l’arabisation de cette région et ses conséquences pour notre sujet ; dans un troisième temps, nous explorerons l’origine du mot, son introduction et sa possible étymo- logie ; enfin nous présenterons les parcours du terme Chleuh, sous diffé- rentes formes, qui aboutissent à son adoption dans trois régions différentes. État des lieux « Tout individu au contact avec une population quelconque est confronté au pro- blème de l’identification nominale de la société côtoyée ; il est contraint de dénom- mer l’objet de sa description. Ces appellations ne sont pas neutres et drainent des implications idéologiques [...]. Celles-ci reposent sur trois critères dont les deux premiers ont la même origine : l’ethnocentrisme » (Bourgeot 1972 : 71). Dans le Maroc précolonial, il existe alors différents termes arabes pour désigner les trois grands groupements berbères du pays. À la fin du XIXe siècle, période pour laquelle nous disposons de sources nombreuses et variées à ce sujet, on peut noter que les berbérophones du Rif oriental sont dits, en arabe vernaculaire (darija), Riyafa ou Rouafa (littéralement les Rifains), ils s’opposent aux arabophones des montagnes du Rif occidental qui sont dits Jbala (les montagnards). Ensuite, le terme Braber (sing. Berbri) est utilisé pour désigner spécifiquement les tribus berbérophones de l’Atlas central (Moyen-Atlas et Haut-Atlas oriental) (Mouliéras 1902 : 86). Bien qu’à la 1. Petit Robert, 2010, p. 422. Cahiers d’Études africaines, LII (4), 208, 2012, pp. 767-811. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lille 3 - - 105.157.160.135 - 27/11/2014 19h03. © Éditions de l'EHESS Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lille 3 - - 105.157.160.135 - 27/11/2014 19h03. © Éditions de l'EHESS 768 RACHID AGROUR fin du XIXe siècle il désigne aussi plus particulièrement les tribus qui bordent le Sahara, comprises « entre l’Oued Dra et l’oued Ziz, [qui] possède[nt] presqu’en entier le cours de ces deux fleuves, et déborde[nt] en bien des points sur le flanc nord du Grand Atlas » (de Foucauld 1888 : 10). Enfin, le terme Souassa est utilisé pour désigner les tribus du Sud (Haut-Atlas occidental, Sous et Anti-Atlas). Le terme de Chleuh ou Chellaha (sing. Chelh) désigne toutes les popu- lations berbérophones en général que ce soit dans le Rif, le Sous ou encore le Tafilelt. C’est toujours le cas aujourd’hui. LES DIFFÉRENTS CHLEUH DU MAROC (R. Agrour & A. Bentaleb) Les Barbares Le terme de Berber est utilisé depuis des siècles par les Arabes pour dési- gner les populations autochtones de l’Afrique du Nord. Dans les sources arabes de nombreuses explications aussi diverses que farfelues s’échinèrent longtemps à tenter de donner une explication étymologique du mot. Voici celle que nous rapporte le célèbre Ibn Khaldoun : « Leur langage est un idiome étranger, différent de tout autre, circonstance qui leur a valu le nom de Berbères. [...] il [Ifrikos]2 céda à l’étonnement et s’écria : “Quelle 2. Légendaire prince qui serait venu, dans une lointaine époque, du Yémen pour envahir l’Afrique du Nord, à laquelle il donna son nom. 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Cette explication désigne clairement cette population comme appartenant à une sorte de sous-humanité. « Si le “Barbare” est celui qui “ne parle pas comme tout le monde” — c’est-à- dire : comme celui qui le traite de barbare —, alors on est toujours le Barbare de quelqu’un » (Monteil 1962 : 100). Il s’avère en fait que l’origine de ce terme se trouve dans la langue latine. Dans l’Antiquité, pour les Grecs et les Romains, tous ceux qui étaient étrangers à leur civilisation étaient désignés du nom de barbares3. Cepen- dant, on peut légitimement se demander pourquoi, de tout l’empire romain, le terme a persisté pour désigner, encore aujourd’hui, un peuple particulier : les Berbères. À l’époque de la domination romaine, le Maghreb actuel est alors divisé en quatre principales provinces. De l’Est à l’Ouest se succèdent les provinces romaines d’Africa, de Numidie, de Maurétanie Césarienne et enfin de Maurétanie Tingitane. Il faut souligner qu’entre ces deux dernières provinces, il y a un espace de près de trois cents kilomètres abandonné aux tribus indépendantes du pays, aux barbares. De plus, les principaux massifs montagneux de la Numidie (Aurès) et de la Maurétanie Césarienne (Kabylie) sont contournés par les voies romaines qui les encerclent sans les pénétrer ! Ces routes de communication et de commerce sont jalonnées de postes mili- taires tandis que les reliefs, abandonnés aux barbares, restent insoumis : « [...] dans les zones de résistances militaires, celles qui resteront réfractaires à la pénétration économique et culturelle romaine, la vie a persévéré dans ses formes préromaines » (Benabou 2005 : 371). De tout l’Empire romain donc, l’Afrique du Nord est le seul territoire qui renferme, à l’intérieur du limes censé le protéger, des populations non romanisées, indépendantes et barbares : ce sont les Berbères que trouveront les premiers flots des contingents arabes qui atteignent l’Afrique du Nord au VIIe siècle ! Malheureusement de nos jours, les Berbères, marqués du sceau de la francophonie par l’épisode colonial, ont du mal à assumer cette dénomina- tion car ils font un rapprochement inapproprié et anachronique entre le nom de « Berbères » qui les désignent en français et le terme « barbare » employé 3. « En grec sous la forme barbaroi, en latin barbari » (BOURGEOT 1972 : 72). 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Il a ainsi été utilisé, à l’époque des Almoravides uploads/Geographie/ contribution-a-l-x27-e-tude-d-x27-un-mot-voyageur-chleuh.pdf

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