Deuxième partie : axiomes, définitions et démonstrations chez Pascal, Arnauld e
Deuxième partie : axiomes, définitions et démonstrations chez Pascal, Arnauld et Nicole. Nous proposons d’aborder, dans cette deuxième partie, trois textes qui s’échelonnent entre 1658 et 1667, à savoir l’opuscule de Blaise Pascal sur l’esprit géométrique, la Logique ou l’art de penser d’Arnauld et Nicole (première édition 1662), ainsi que les Nouveaux éléments de géométrie d’Arnauld (1667). Il n’est pas inutile de préciser que Pascal décède en 1662 et qu’il n’a donc pas connu ces deux derniers écrits dans leur état définitif. Mais, avant de proposer une étude d’extraits de textes à proprement parler, nous devons signaler quelques éléments de contexte d’une part sur l’institution de Port-Royal, à laquelle ces trois protagonistes sont liés, d’autre part sur les diverses controverses dans lesquelles Pascal, Arnauld et Nicole sont engagés. Signalons que Pascal prend part à des controverses tant scientifiques, philosophiques que théologiques. L’histoire de l’abbaye de Port-Royal est marquée, à l’Âge Classique, par deux dates : 1602 avec la prise de fonction de l’abbesse Angélique Arnauld et 1710 avec la destruction de l’abbaye de Port-Royal des champs. Fondée en 1204, elle est située non loin de Paris (à Magny-les-Hameaux dans les Yvelines). À partir de 1625, les sœurs et les théologiens de Port- Royal s’installent dans l’abbaye de Port-Royal de Paris, Faubourg Saint- Jacques. La communauté de Port-Royal forme un réseau familial, politique, religieux, intellectuel et culturel complexe qui n’est pas réductible au seul « jansénisme », c’est-à-dire la doctrine théologique prônée par Jansénius, que l’on peut caractériser comme une forme rigoriste et pessimiste d’augustinisme. De manière très schématique, le salut de l’homme dans sa nature déchue ne peut provenir selon cette doctrine que de la grâce divine. Jansénius (1585-1638) est un théologien exerçant à l’université de Louvain, dont la principale œuvre, l’Augustinus, paraît peu après sa mort en 1640. La doctrine de Jansénius commence à être diffusée en France via l’abbé de Saint-Cyran qui, d’une part, est un ami de Jansénius et qui, d’autre part, entretient dès 1623 des liens étroits avec l’abbaye de Port- Royal. Il dirige d’ailleurs cette institution à partir de 1635. Ces quelques données expliquent pourquoi cette institution est généralement associée à la doctrine de Jansénius. Il faut néanmoins manier avec prudence la thèse selon laquelle Port-Royal constituerait le lieu par excellence de promotion et de diffusion du « jansénisme ». T out d’abord, le « jansénisme » est une catégorie polémique utilisée dans la controverse qui oppose certains membres de Port-Royal aux jésuites. Ensuite, comme nous l’avons déjà indiqué ci-dessus, en utilisant cette catégorie, on ne mesure pas la complexité de la vie intellectuelle et théologique qui caractérise cette institution ainsi que la diversité des sources utilisées par les auteurs que nous allons examiner : principalement Pascal et Arnauld, secondairement Nicole. Prenons le cas d’Antoine Arnauld (1612-1694) – frère d’Angélique Arnauld. Il effectue des études de théologie en Sorbonne à partir de 1632, notamment sur les conseils de Saint-Cyran par qui Arnauld découvre la doctrine de Jansénius. Arnauld rédige à partir de 1639 une Apologie de l’abbé de Saint-Cyran qui atteste de sa proximité avec les thèses théologiques de ce dernier. Pratiquement au même moment, Arnauld 1 découvre l’œuvre philosophique de Descartes. À plus long terme, Arnauld participe à la défense et à la diffusion du cartésianisme au sein de l’Abbaye de Port-Royal comme en atteste par exemple la Logique ou l’art de penser. Cet intérêt pour la philosophie de Descartes se reflète dès les premiers travaux d’Arnauld. Ainsi, en 1640, Arnauld prend connaissance des Méditations métaphysiques – ainsi que des trois premières objections accompagnées de leurs réponses – via le père Marin Mersenne qui lui en fournit une copie – On rappellera ici à toute fin utile qu’un important cercle de savants se constitue autour de Mersenne à partir des années 1630. Dans une lettre à Peiresc du 23 mai 1635, Mersenne donne même le nom d’Académie à ce cercle. Ajoutons que Mersenne peut être considéré comme le secrétaire de l’Europe savante jusqu’à sa mort au milieu du XVIIe siècle. La correspondance de Mersenne compte dix-sept volumes et elle constitue le principal support pour étudier les controverses scientifiques et philosophiques durant le premier XVIIe siècle. On en a un exemple ici avec les Méditations métaphysiques de Descartes – Arnauld adresse à son tour des objections à ce dernier via Mersenne. Les réponses de Descartes convaincront Arnauld du bien-fondé de la philosophie cartésienne. Aussi ne faut-il pas interpréter les textes d’Arnauld sous le seul angle de son « jansénisme », mais également en rappelant systématiquement ce qu’il doit à Descartes. Il convient de dire quelques mots de l’affaire Arnauld. Celle-ci éclate au début de l’année 1655 et elle a essentiellement pour objet son adhésion à certaines propositions héritées de Jansénius. Rappelons tout d’abord que la doctrine de Jansénius fait l’objet d’une condamnation pontificale dès 1643. En 1649, le théologien Nicolas Cornet, farouche opposant aux thèses de Jansénius, cherche à faire condamner sept propositions jansénistes par l’assemblée de la Sorbonne. Cinq de ces sept propositions qui tournent autour de la nature de l’homme, de la grâce et du libre- arbitre sont finalement condamnées comme hérétiques par une bulle pontificale le 31 mai 1653. De manière plus circonstanciée, le 31 janvier 1655, le marquis de Liancourt, proche de Port-Royal, se voit refuser l’absolution suite à sa participation à la fronde – période de révolte qui s’étend de 1648 à 1653 sous la régence d’Anne d’Autriche et de Mazarin durant la minorité de Louis XIV –, parce qu’il refuse de retirer sa petite-fille de Port-Royal. Arnauld publie le 24 février puis le 10 juillet 1655 deux lettres condamnant ce refus. Mis en accusation par la faculté de théologie en raison du contenu hérétique de ces deux lettres, Arnauld perd son titre de docteur et est exclu de la Sorbonne à la fin du mois de janvier 1656. La campagne des Provinciales, en défense d’Arnauld, est lancée par Pascal sous le pseudonyme de Louis de Montalte au début de l’année suivante. Pascal publie, sous couvert d’anonymat, 18 lettres. Il y aborde tout d’abord les événements qui secouent la Sorbonne avant de critiquer frontalement la morale des jésuites et de montrer, malgré leurs objections, que ces critiques sont parfaitement fondées. Cette série de lettres s’achève sur une défense de Port-Royal et des thèses de Jansénius qui, aux yeux de Pascal, n’ont rien d’hérétique. Pascal soutient également que la conception de la grâce héritée de Jansénius n’est pas incompatible avec le libre-arbitre. Ces lettres remportent un vif succès et elles participent, sur le plus long terme, au discrédit des jésuites. 2 Le contexte institutionnel que nous venons de décrire est cependant loin de suffire pour cerner les textes que nous nous proposons d’étudier. Il nous faut en effet dire quelques mots sur les contributions proprement scientifiques de Pascal auxquelles il fait d’ailleurs allusion dans son opuscule sur l’esprit géométrique. Par exemple, nous allons voir que, dans ses réflexions portant sur les critères de validité d’une définition, Pascal fait allusion aux non-sens logiques de son contradicteur le père Etienne Noël au moment de la controverse sur l’existence du vide, soit à la fin des années 1640. Pour rappel, Pascal défend progressivement l’hypothèse du vide après avoir multiplié, en 1646-1647, des expériences qui s’inspirent de celle pratiquée par T orricelli en 1643 et diffusée en France dès 1644 via Mersenne. Le 25 octobre 1647, Pascal reçoit une lettre rédigée par le père jésuite Etienne Noël qui combine des arguments de style aristotélicien et cartésien pour réfuter l’existence du vide. On notera au passage que Pascal s’écarte ici de manière significative de la physique cartésienne en défendant progressivement, sur la base d’expérience répétées et variées, l’hypothèse du vide. Précisons que cette première controverse porte non seulement sur cette hypothèse, mais encore sur la méthode à suivre dans les sciences expérimentales. À la fin de sa lettre, le père Noël soutient que, dans l’expérience de T orricelli, l’espace qui ne contient pas de mercure ne peut pas être du vide, puisqu’il laisse passer la lumière. Or, selon Noël, cette transmission de la lumière ne peut se faire que par l’intermédiaire d’une matière subtile ou d’un corps transparent. Ce faisant, Noël définit la lumière comme suit : « la lumière, ou plutôt l’illumination, est un mouvement luminaire des rayons, composés des corps lucides qui remplissent les corps transparents, et ne sont mus luminairement que par d’autres corps lucides (…) or cette illumination se trouve dans l’intervalle abandonné du vif argent ; il est donc nécessaire que ces intervalles soient un corps transparent »1 Dans sa réponse, datée du 29 octobre 1647, Pascal montre que cette définition est fautive, parce que circulaire : « La période qui précède vos dernières civilités, définit la lumière en ces termes : La lumière est un mouvement luminaire de rayons composés de corps lucides, c’est-à-dire lumineux ; où j’ai à vous dire qu’il me semble qu’il faudrait avoir premièrement défini ce que c’est que luminaire, et ce que c’est que corps lucide ou lumineux : car jusque-là je ne puis entendre uploads/Geographie/ cours-de-philosophie-de-la-logique.pdf
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- Publié le Aoû 23, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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