 résentation  Patrick Boucheron  Dans Histoire urbaine 2003/1 (n° 7) , pages

 résentation  Patrick Boucheron  Dans Histoire urbaine 2003/1 (n° 7) , pages 5 à 16 format_quote Citer ou exporter Ajouter à une liste Suivre cette revue  Article  Auteur  Cité par  Sur un sujet proche  file_download Télécharger 1 « La cathédrale explique tout, a tout enfanté et conserve tout. Elle est la mère, la reine, énorme au milieu du petit tas des maisons basses, pareilles à une couvée abritée frileusement sous ses ailes de pierre. On n’y habite que pour elle et par elle; les industries ne travaillent, les boutiques ne vendent que pour la nourrir, la vêtir, l’entretenir, elle et son clergé; et, si l’on rencontre quelques bourgeois, c’est qu’ils y sont les derniers fidèles des foules disparues. Elle bat au centre, chaque rue est une de ses veines, la ville n’a d’autre souffle que le sien. De là cette âme d’un autre âge, cet engourdissement religieux dans le passé, cette cité cloîtrée qui l’entoure, odorante d’un vieux parfum de paix et de foi ». 2Dans ce passage du deuxième chapitre de son roman Le rêve (1888), É mile Zola exprime d’abord une évidence topographique : la cathédrale domine la ville par sa hauteur comme par son emprise au sol, et se définit avant tout par cette « grandeur de masse et d’aspect » dont a parlé Jacques Le Goff. On pourrait même caractériser un très long Moyen Âge des espaces urbains par cette prédominance écrasante. Du VIe au XIXe siècle, la cathédrale est sans rivale dans le paysage monumental urbain; seule la déborde la croissance des villes industrielles posant du même coup la double question de sa conservation (que faire de nos anciennes cathé-drales ?) et de sa substitution (que seront nos nouvelles cathédrales, puisque, ainsi que l’affirmait Le Corbusier, « nos cathédrales, à nous, ne sont pas encore dressées » ?). 3D’une disproportion l’autre : si la cathédrale occupait une place démesurée dans la cité préindustrielle, elle est, dans la ville contemporaine, désertée par ses fidèles, et l’on doit alors lui inventer d’autres fonctions urbaines. Peu importe, d’ailleurs, que les « foules disparues » qu’évoque Zola soient en grande partie une invention romantique : même si la cathé-drale conserve parfois un rôle paroissial, elle est avant tout, depuis le XIIIe siècle au moins et sans discontinuité depuis, monument du pouvoir investi par les liturgies solennelles et les rituels politiques. 4L’écrivain naturaliste tourne le dos à cette tradition d’un médiévalisme de plus en plus réactionnaire sur le plan idéologique, pour décrire une vie urbaine figée, comme assommée par la masse de la cathédrale, qui empêche la petite ville de se développer librement. C’est évidemment par lucidité politique que Zola refuse de croire à la fable romantique de la cathédrale hugolienne, « édifice dogmatique envahi par la bourgeoisie, par la commune, par la liberté ». Tout au contraire, elle est la relique encombrante d’un monde ancien qui s’attarde. Un monde où l’ecclesia était cette structure englobante qui, en ville comme ailleurs, réglait les rapports sociaux, contraignait les conduites des hommes et s’imposaient à leur esprit. Charge excessive sans doute (quelle petite ville est à ce point anémiée par « ce passé qui ne passe pas » ?), mais qui exprime d’abord une crainte. Celle d’une société engourdie dans un Moyen Âge idéal de la croyance, que tente de promouvoir les catholiques exaltés par la lecture de La cathédrale de Huysmans (1898) 5Ecclesia matrix, la cathédrale est bien la mère de la ville; mais c’est une mère abusive, qui couve ses enfants et les empêche de prendre leur envol. Tandis que Viollet-le-Duc faisait du mouvement de construction des cathédrales « une protestation éclatante contre la féodalité », Emile Zola refuse, assez logiquement d’ailleurs, de le considérer comme un facteur d’émancipation bourgeoise. La métaphore de la mère-poule est un topos littéraire, encore employé de manière relativement bienveillante par Auguste Rodin dans ses Cathédrales de France en 1914 (« La cathé- drale s’élevait pour dominer la ville assemblée autour d’elle comme sous ses ailes »). Zola inverse le rapport nourricier : mère cruelle qui dévore ses enfants, la cathédrale trône dans la ville comme la reine de la ruche. 6La cathédrale qui explique la ville, qui l’enfante et la conserve : au moment où, dans les années 1880, se déroule un débat essentiel sur la place que la ville – dans ses formes matérielles comme dans ses aspirations sociales – doit réserver à la cathédrale (cette « invention du XIXe siècle », selon l’expression de Jean-Michel Leniaud [1] [1] Jean-Michel Leniaud, Les Cathédrales du XIXe siècle. É tude du… ), la formule d’É mile Zola peut apparaître comme le programme critique d’une histoire urbaine de la cathédrale. C’est à cette histoire que les différentes contributions rassemblées dans ce volume ont voulu s’atteler. 71. Avant d’être désignée par l’expression ecclesia cathedralis à partir du XIIIe siècle – en référence à la cathèdre, le trône épiscopal – l’église de l’évêque fut longtemps appelée ecclesia civitatis, l’église de la cité. Dans les villes rétractées du Haut Moyen Âge, l’évêque est à la fois le successeur des Apôtres, qui incarne l’ensemble de la communauté diocésaine en faisant entendre la voix du Christ dans son église, et le dernier des fonctionnaires de l’Empire romain, assumant toutes les fonctions urbaines de l’administration publique. La cathédrale est donc, d’emblée, un marqueur de centralité urbaine. Du fait de son ancienneté, de son éminence, de l’évidence des souvenirs accumulés, elle est bien cette église- mère « d’où procèdent les autres églises du diocèse et où se regroupent, lors des synodes, les curés et les clercs qui desservent celles-ci » [2] [2] Jean-Louis Biget, « Introduction », dans La cathédrale ( XIIe -… . Cette organisation épiscopale est évidemment un legs de l’É glise constantinienne, religion d’É tat du Bas-Empire. La présence des cathédrales dans les villes actuelles est donc le vestige d’une histoire très ancienne, bien plus ancienne en tout cas que celle de la construction des édifices euxmêmes, datant pour l’essentiel de l’époque romane et gothique. Elle pèse encore largement aujourd’hui, au-delà des avatars historiques des « reconquêtes » (que l’on songe par exemple aux conversions des cathédrales en mosquées, puis des mosquées en cathédrales, dans la Péninsule ibérique [3] [3] Pascal Buresi, « Les conversions d’églises et de mosquées en… ) et des « réformes » : les pays luthériens ont hérité de cette organisation épiscopale. 8Se pose dès lors le problème de l’adaptation entre cette hiérarchie diocésaine et les réseaux urbains tels que l’histoire les transforme. Si l’on considère comme cathédrale toutes les églises des villes qui furent, à un moment donné de leur histoire, chef-lieu de diocèse, la France compterait plus de 170 cathédrales [4] [4] Synthèse commode dans Michel Chevalier, La France des… . Toutefois, la loi de Séparation de 1905 ne reconnaît le titre de cathédrale qu’à quatre-vingt-sept édifices, tous classés monuments historiques et appartenant au domaine de l’É tat [5] [5] Philippe Geffre, « La loi et la cathédrale », Monuments… . La loi républicaine consacre donc Gap comme une ville cathédrale, mais ignore Notre-Dame de Laon. Cette hiérarchie administrative est dépendante de l’histoire fluctuante des créations et des suppressions des diocèses. Sans doute celle-ci obéit-elle à une certaine logique d’ajustement aux réalités démographiques et urbaines : ainsi, toujours dans le cas français, peut-on évoquer la création de cinq nouveaux diocèses en Île-de-France depuis 1966, dont celui d’É vry-Corbeil-Essonnes pour lequel Mario Botta conçut sa désormais célèbre cathédrale Notre-Dame d’É vry [6] [6] Bruno Foucart et Emma Lavigne, « La cathédrale au XXe siècle :… . 9Toutefois, cette évolution est nécessairement ralentie par le poids de l’histoire. La taille des plus grandes cathédrales européennes (5 500 m2 pour Notre-Dame de Paris, 6 000 pour Bourges, 9 000 pour Cologne, 10 000 pour Séville, 11 500 pour Milan, sans compter les 15 000 m2 de Saint-Pierre de Rome) ne reflète pas le rang des villes dans la hiérarchie urbaine, mais témoigne seulement de leur grandeur passée. Ainsi peut- on évoquer le cas-limite de la cathédrale de Torcello dans la lagune vénitienne, ou celle de Siponto en Pouille, qui se dresse esseulée sur le rivage de l’Adriatique, l’habitat urbain s’étant déplacé dans la ville nouvelle de Manfredonia, à l’abri de la malaria. Du fait de ces différences de rythme, l’histoire urbaine de la cathédrale est donc celle de son inadaptation croissante en tant que critère d’urbanité. 10La vue d’une cathédrale démesurée barrant l’horizon d’une ville anémiée désolait Emile Zola; mais celle d’un édifice qui n’est plus à la hauteur des aspirations urbaines d’une cité peut en choquer d’autres. Ainsi le Père Labat en 1706, dominicain parisien en voyage vers Gênes qui, s’arrêtant à Marseille, s’étonne : « Il est surprenant qu’une ville aussi riche n’ait pas encore songé à détruire cette vieille masure et à bâtir à sa place une église plus digne de Dieu qu’on y révère, et plus proportionnée au reste de la ville, dont les bâtiments nouveaux et beaucoup des anciens sont très beaux » [7] [7] uploads/Geographie/ despre-catedrale.pdf

  • 37
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager