1 Arnaud Fournet Le dialecte germanique attesté dans les toponymes de l'ancien
1 Arnaud Fournet Le dialecte germanique attesté dans les toponymes de l'ancien comté de Boulogne-sur-mer (Pas-de-Calais) L'article s'intéresse aux toponymes dans la région autour de Boulogne-sur-mer (Pas- de-Calais). Un bon nombre d'entre eux diffèrent des couches franques et gallo-romaines que l'on peut rencontrer dans le reste du nord de la France. Ils dérivent en fait d'une autre source, certes germanique mais montrant des affinités plus fortes avec la Normandie et l'Angleterre. Le matériel toponymique permet de retrouver les principales caractéristiques phonologiques de cet idiome dans une perspective comparative au sein du germanique, dans sa branche westique pour l'essentiel avec quelques éléments plus rares relevant de la branche nordique. Il est en outre possible de dresser un glossaire de cette variété dialectale à mi-chemin entre l'anglais et le saxon. Il est également possible d'examiner comment cette intrusion fut absorbée graduellement par le français, sous sa forme dialectale dite « picarde ». L'article se focalise sur la partie la plus à l'ouest du Pas-de- Calais. Les références aux régions voisines du Pas-de-Calais ont surtout une visée contrastive par rapport à la zone étudiée. Les formes anciennes des toponymes et les dates de leurs attestations sont tirées pour l'essentiel de la compilation réalisée par POULET (1997). Elles peuvent également être vérifiées dans Haigneré (1881). 1. Introduction Il est bien connu que plusieurs tribus ou peuples germaniques se sont implantés sur le territoire de la Grande Bretagne vers le milieu du premier millénaire (après J.C) et qu'ils ont imposés leur langue aux habitants, celtes pour la plupart. Saxons, Angles, Jutes, et plus tard Scandinaves ont progressivement envahi cette région et lui ont donné ces caractéristiques linguistiques contemporaines. Il est probablement moins connu que des évènements similaires se sont produits dans le nord de la France : des Saxons se sont établis le long des côtes de la Manche et ont laissé un grand nombre de toponymes saxons à proximité de Boulogne-sur-mer. Les travaux précurseurs sur cette question furent écrits par de Loisne et Haigneré il y a maintenant plus d'un siècle. Les villages Frencq et Zouafques conservent la trace de la multiplicité des intrusions germaniques dans le nord de la France. Frencq se rapporte de façon transparente aux Francs alors que Zouafques est un peu plus opaque et témoigne de la présence de Souabes : ce toponyme dérive d'un composé de type gallo-romain *Swabiacus par un intermédiare Suaveke *[swavekə] attesté en 1115. La phonétique moderne de ce nom est flamande avec entre autres un déplacement de l'accent sur la première syllabe, une particularité qui se retrouve dans d'autres toponymes germanisés, dont nous verrons des exemples plus loin. De façon générale, du point de vue de la théorie des « strats » le saxon ne peut pas être décrit comme un substrat puisque le gallo-roman et le français étaient en fait déjà présents lorsque ces intrusions germaniques se sont produites. Dans le cas présent au lieu de disparaître le substrat a survécu et absorbé le nouveau-venu. Le saxon ne peut pas non 2 plus être décrit comme un adstrat, contrairement au cas du flamand, puisqu'il n'était pas juxtaposé à une autre zone où le gallo-roman et le français étaient parlés mais au contraire éparpillé de façon plus ou moins dense dans la même zone que le gallo-roman (et plus tard le français). Le saxon n'est pas non plus un superstrat, puisque c'est le français sous sa forme parisienne et francienne qui joue ce rôle, y compris pour le français dialectal dit « picard ». Pour ces raisons le saxon doit sans doute être décrit comme étant un instrat : une langue intrusive et minoritaire qui s'établit sur un territoire déjà occupée par une autre langue. Il va sans dire qu'on ne possède aucune donnée géo-socio-linguistique sur les localités à majorité germanique ou francophone pendant le moyen-âge dans la zone étudiée. Les hypothèses de cette nature se fondent sur des indications indirectes. En premier lieu les morphèmes utilisés dans les toponymes et leurs patrons génériques sont une indication concernant leurs origines linguistiques respectives. En outre les changements phonétiques que connaissent les toponymes sont aussi une indication de la langue parlée sur place. Dans l'ensemble il est clair que le germanique évolue plus lentement que le gallo-romain ou le français et que la structure syllabique des toponymes est considérablement plus altérée par les francophones. Par exemple Saint-Omer /omeR/ < Audomar, avec perte d'une syllabe, peut être comparé à Audinghen (Bo), avec maintien du d intervocalique. D'autres évolutions très importantes comme Sanct-Wulmer > Samer /same/ ou Monasterium > Moutier /mutje/ indiquent que ces toponymes ont été soumis aux changements phonétiques gallo-romans et français. Dans certains cas des toponymes gallo-romains ont acquis des traits germaniques, tels que des déplacements de l'accent sur la première syllabe et un gel de l'évolution phonétique. Cela indique que le saxon a connu une dynamique d'expansion dans certains cas et que sa disparition finale ne se résume pas uniquement à un processus d'attrition continue et linéaire. Comme on le verra dans la suite il existe plusieurs indices cohérents attestant une poussée du français et permettant de dater le moment où la mosaïque linguistique héritée du haut moyen-âge a été résorbée au profit d'une aire purement francophone, bien qu'initialement dialectale. 2. Esquisse historique La région autour de Boulogne-sur-mer était habitée à l'époque romaine par un peuple « belge » appelé Morini, un ethnonyme qui se laisse facilement analyser comme un dérivé de *mori ‘mer’, un mot attesté en celte : par exemple irlandais muir. D'après la narration partiellement ethnographique faite par Jules César dans De bello gallico, les peuples dits « gaulois » étaient divisés en trois branches principales : les Aquitains ou Pre-Basques, les Celtes et une troisième composante au nord-ouest dite « belge », dont l'identité exacte est peu claire et débattue. Les « Belges » occupaient la région qui va de la Seine au sud-ouest à la Moselle à l'est et au Rhin au nord. César indiqua que les « Belges » différaient des Celtes proprement dits par la langue, les lois et les institutions. Les découvertes archéologiques : tombes, temples, maisons, etc. ont confirmé que cette région avait des caractéristiques distinctes en comparaison avec le centre de la France. Dans l'ensemble elle était moins urbanisée et donc plus difficile à conquérir dans la mesure où chaque tribu n'offrait aucun objectif clair. On peut noter que les fleuves côtiers 3 autour de Boulogne: la Liane et la Canche au sud ne semblent pas celtes : Elna (in pago Bononensi super fluvio Elna 867), également attestée avec un h initial : Helna1, et Quantia *[kwantja] (723). Comme le souligne Poulet (1997:29) : “très peu d'hydronymes peuvent être identifiés comme celtes avec certitude” dans le nord de la France. Il en existe néanmoins quelques exemples clairs comme Thérouanne /teRwan/ < *Tarwonna ‘rivière du taureau’. La Canche Quantia doit peut-être son nom à ses roseaux *ǩwen mais ce nom n'a pas le changement *kw > p attendu en gaulois. Quelle que fût leur langue, proprement celte ou non, les Morini furent intégrés dans l'empire romain et devinrent des locuteurs gallo-romains. Selon Eska (2008:165): « Transalpine Gaulish, first attested in the third century BC, was engraved in Greek characters until it gave way after the Roman conquest to Roman characters. The language probably ceased to be spoken in the second half of the first millennium AD. » Cette datation jusqu'au milieu du premier millénaire pour la disparition des idiomes pré-gallo-romans paraît néanmoins un peu optimiste et trop tardive. Il reste que de nombreux toponymes celtes comme Briva Isara ou Randa sont traduits en latin vers le 3ème siècle respectivement en Pontus Isara (d'où Pontoise) et Fines, ce qui indique que le latin fut préféré au gaulois à cette époque. Il semble probable, bien qu'impossible à prouver ou réfuter, que les idiomes pré-gallo-romans étaient éteints dans le nord de la France, lorsque des tribus germaniques ont commencé à s'y établir à partir du 4ème siècle. On peut noter que le nord de la France fut évangélisé à cette époque sous l'impulsion de Vitrice (330–407), évêque de Rouen. De façon générale l'arrière-plan ethnico-culturel des évangélisateurs est souvent une indication fiable quant à celui des évangélisés. Dans le cas de Vitrice on peut diagnostiquer une gallo-romanicité majoritaire dans le nord de la France à son époque. Du fait des intrusions germaniques une deuxième vague d'évangélisation dut avoir lieu. De façon très intructive deux personnes se sont employées à cet objectif. La partie orientale du Pas-de-Calais autour d'Arras fut convertie pour la deuxième fois par St Vaast ou Vedastus (ca. 453, ca. 540) né en Limousin et de façon évidente locuteur gallo-roman. En comparaison la partie occidentale autour de Boulogne fut convertie par St Omer ou Audomar (600-670), un Saxon né en Normandie. Ce fait témoigne du clivage ethnico- linguistique qui existait à l'époque dans cette région entre gallo-romans majoritaires à l'est et saxons nombreux à l'ouest. La basse vallée de l'Orne en Normandie est une autre zone où le peuplement saxon a été important, comme le montrent l'étude et uploads/Geographie/ dial-02-2013-fournet-v2.pdf
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- Publié le Fev 09, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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