Bretagne-France : une relation coloniale IJIN Gael Briand Bretagne-France : une
Bretagne-France : une relation coloniale IJIN Gael Briand Bretagne-France : une relation coloniale IJIN Gael Briand Gael Briand Bretagne-France : une relation coloniale Essai IJIN Du même auteur Réunifier la Bretagne ? Région contre métropoles ? Collectif Géographes de Bretagne sous la direction d’Yves Lebahy et de Gael Briand Skol Vreizh, 2015 ISBN 978-2-9551976-2-2 Ijin édition, Quimper, 2015 Relecture et mise en pages : Jacques Dyoniziak « … en politique aussi bien qu’ailleurs, si l’on n’est pas un sot, ce sont ces deux principes-là qui comptent : ne pas se faire d’illusions et ne pas cesser de croire que tout ce qu’on fait peut être utile. » Italo Calvino, La journée d’un scrutateur « En résumé, une société hiérarchisée n’était possible que sur la base de la pauvreté et de l’ignorance. » George Orwell, 1984 7 Avant-propos La Bretagne est-elle une colonie ? Quand, en 1973, l’Union démocratique bretonne (UDB) édite sa bro- chure « Bretagne = colonie », on pourrait être fondé à le croire. Les fondateurs du parti autonomiste, forts de ce qu’ils ont vu durant la guerre d’Algérie, ont pu com- parer les situations bretonnes et algériennes et ainsi théoriser cette relation de domination, tant politique qu’économique, tout en marquant les esprits avec un titre-choc. Pourtant, alors que Michel Rocard avait fait sien ce vocabulaire peu de temps avant d’être Premier ministre, parler de colonisation aujourd’hui attire for- cément le rire, quand ce n’est pas le mépris. L’assimila- tion est passée par là… Il existe néanmoins des éléments factuels qui prou- vent l’existence d’une relation coloniale qui perdure entre la France et ses territoires, Bretagne comprise. Non que l’individu breton, basque, corse, occitan, cata- lan ou alsacien soit oppressé en tant que tel, mais dès lors que le groupe duquel il se revendique n’a aucune existence légale, on est en droit de s’interroger sur un possible rapport dominant-dominé. Or, comment pourrait-il exister une telle relation puisque juridiquement, en France, il n’y a qu’un seul 8 peuple « un et indivisible » ? « À partir de la Révo- lution française, écrit Ronan Le Coadic, la souverai- neté n’appartient plus au peuple, mais à la nation […] qui délègue sa souveraineté aux organes de gouver- nement, créant ainsi l’État 1 ». Dès lors, c’est l’État qui détient la légitimité de dire ce qui est peuple ou ne l’est pas. Un paradoxe quand on prétend vivre en démo-cratie ! La Révolution dite « française » fut certes une avancée politique individuelle pour les hommes vivant en France 2, qui passaient du statut de sujet à celui de citoyen, mais elle fut surtout nationaliste et une préfiguration du modèle politique dominant dans le monde : l’État-nation. Les États ayant acquis, par accord tacite des peu- ples, un pouvoir écrasant, il est donc tout à fait logique que des minorités opprimées revendiquent chacune leur propre État, et ce, même s’il serait sans doute plus sage de chercher à redonner toute sa place au citoyen en retirant le pouvoir politique à l’État. Mais qu’importe ! Nombre d’ouvrages sont parus sur cette question de l’architecture institutionnelle de la France, sur son caractère monarchiste et autoritaire. Il y aurait tellement à dire encore. L’objet de ce livre est autre : il cherche à donner des pistes de réflexion sur le moyen 1. Ronan Le Coadic, « Les « minorités nationales » : vers un retour du refoulé ? », dans Bretons, Indiens, Kabyles… Des minorités nationales ?, Pres- ses universitaires de Rennes, 2009. 2. Les femmes constituant encore à l’époque et aujourd’hui à bien des égards une classe dominée. 9 de sortir de cette relation coloniale supposée entre les Bretons – du moins ceux qui se revendiquent du peuple breton – et l’État français en traitant le sujet sous son aspect sociologique. Trop peu de réflexions, en Bre- tagne, donnent à penser du point de vue humain, du point de vue du sentiment ressenti face à une oppres- sion et de la façon dont on peut se défaire et de ce ressenti et de l’oppression. Ce livre doit son existence à la découverte, dont je regrette le caractère tardif, d’un auteur abondam- ment cité au cours des lignes qui vont suivre : Albert Memmi. Son Portrait du colonisé et son Portrait du colonisa- teur décrivent si bien les liens unissant le colonisateur et le colonisé que le parallèle avec la relation que l’Emsav (le Mouvement breton) et l’État français entretiennent crève les yeux. En mettant de côté la dichotomie bon/ mauvais, Albert Memmi nous explique comme une évidence qu’en réagissant à l’oppresseur, en opposant aux mythes du dominant ses propres mythes (contre- mythes), on ne fait que vivre à travers le prisme de celui-ci et, par conséquent, que la relation coloniale est d’abord psychologique avant d’être réelle. En somme, il suffirait de penser en dehors du cadre pour imposer sa voie… Or, même s’il est vrai, comme l’écrit en 1922 le militant anticolonialiste Robert Louzon 3, qu’« il n’y 3. « La honte », Bulletin communiste : organe du Comité de la Troisième Internationale, Paris. 10 a pas d’équivalence entre le nationalisme d’un peu- ple oppresseur dont le nationalisme consiste à oppri- mer un autre peuple, et le nationalisme d’un peuple opprimé dont le nationalisme ne tend qu’à se débar- rasser du peuple oppresseur », force est de constater que le mouvement breton, culturel comme politique, est traversé par un courant romantique puissant qui l’empêche d’avancer sur la voie de l’émancipation. Alors qu’il ne cesse d’exprimer sa frustration d’être si faible, alors qu’il ne cesse de se référer à des partis qui ont réussi à percer – tantôt le SNP en Écosse, tan- tôt le Plaid Cymru au pays de Galles, quand ce n’est pas Syriza en Grèce –, ces lignes sont extrêmement critiques envers l’Emsav contemporain (dont je me revendique pourtant). Elles proposent avant tout de penser par nous-mêmes et invitent les différents partis politiques bretons à se pencher sur leur propre projet de société plutôt qu’à se plaindre du traitement que l’État français réserve à la Bretagne. À défaut d’un éventuel Portrait du Breton, cet essai prétend esquisser un autre discours politique, seul à même de réussir une désaliénation du peuple breton, autrement dit son émancipation. Un ami me confiait récemment qu’avant d’accuser les autres, il convenait de balayer devant sa porte et que tout reproche fait à autrui était d’abord un reproche qu’on se faisait à soi-même. Je partage ce constat et c’est la raison de ce travail d’autocritique, nécessaire à 11 une époque où les identités infraétatiques bouillonnent et où le libéralisme met à mal le ciment de l’identité française en détruisant peu à peu les services publics. Se penser aux côtés et non plus à côté, c’est aussi offrir un espoir à ceux qui désespèrent et ont arrêté de voter tout comme à ceux qui souhaitent retrouver, via l’auto- ritarisme de certains partis, le monde d’avant. Gael Briand 12 Bretagne-France : une relation coloniale Le Mouvement culturel et politique breton, aussi appelé Emsav 4, a historiquement été entendu dans une logique de « front », c’est-à-dire d’un mouvement unitaire combattant un adversaire commun : le jaco- binisme et sa volonté d’éradication des spécificités territoriales, en Bretagne comme ailleurs en France. Né à la fin du xixe siècle, notamment avec la création de l’Union régionaliste bretonne (URB), l’Emsav était alors, à quelques exceptions près (Émile Masson, Yann Sohier…), un courant plutôt conservateur défendant la culture bretonne en mettant en avant principale- ment les costumes, les danses et plus généralement les traditions auxquels est associée la langue bretonne. C’est aussi à la fin du xviiie et surtout au xixe siècle que se développe le concept de « nationalisme », en plein dans la période littéraire appelée « romantisme ». À tel 4. Le Mouvement breton, ou Emsav (nom dérivé du verbe breton en em sevel, se (re)lever), désigne un ensemble informel d’organisations politiques, de syn- dicats, de groupes économiques ou d’associations culturelles soucieux de pré- server et de développer la spécificité de la Bretagne, ou certains de ses aspects. Ses activités sont disparates, allant de la simple promotion de la culture bre- tonne à l’expression d’un nationalisme breton qui revendique l’autonomie, voire l’indépendance. L’Emsav est une mouvance polymorphe sans structure, ni représentant, ni porte-parole propre. Les divergences en son sein sont nom- breuses et le poids respectif de ses composantes fluctuant selon les périodes (définition Wikipédia, consultée le 10 avril 2015). 13 point que l’on pourrait parler aujourd’hui d’un « natio- nalisme romantique ». Quiconque connaît l’Emsav sait qu’il est en effet empreint de romantisme, d’une quête perpétuelle de ses « racines », d’un besoin criant de se fabriquer des héros. Piochant dans l’histoire de Bretagne des épiso- des dramatiques ou au contraire épiques, nombreux sont les militants bretons qui voudraient obtenir non pas une reconnaissance en tant que peuple, mais bien une réparation historique de la France vis-à-vis de la Bretagne. Par exemple, depuis la guerre franco-prus- sienne de 1870, durant laquelle les volontaires bretons furent parqués dans le camp uploads/Geographie/bretagne-france-une-relation-coloniale-gael-briand.pdf
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- Publié le Fev 18, 2022
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