TAH AR BEN J ELLOUN de l’Académie G oncourt DOULEUR ET LUMIÈ RE DU MONDE poèmes
TAH AR BEN J ELLOUN de l’Académie G oncourt DOULEUR ET LUMIÈ RE DU MONDE poèmes G ALLIMARD LA SOIF DU MAL Dans la nuit du 16 au 17 décembre 2018 , à I mlil, un village du Haut Atlas, dans la province d’Al Haouz , proche de Marrakech, deux touristes, Maren U eland, une Norvégienne de 28 ans, et Louisa Vesterager Jespersen, une Danoise de 24 ans, ont été égorgées par une bande de terroristes. E lles campaient avant que l’horreur absolue ne s’abatte sur elles. Ils sortent des ténèbres pour répandre l’obscur dans les villes et les campagnes Ils quittent leurs grottes affamés assoiffés nus et sales Ils attendent la tombée du soir pour que le crime sonne l’heure Le glas des pierres brisant les os Pour que le sang qui coule ruisselle longtemps dans la terre brune Terre humble, modeste et hospitalière Ils arrivent d’un pays qui n’existe sur aucune carte Avec un drapeau noir comme des pirates qui ne savent pas écrire Des noms et des mots en blanc sur cette noirceur Linceul sur les cendres, sur les pierres, sur les arbres qui perdent leur dignité Ils sortent d’un livre qu’ils se sont approprié sans avoir appris à lire Qu’importe le savoir la science et le rire Ils ont des sabres et des clous dans les cheveux Des crottes de chiens sous les aisselles Leurs yeux entourés de kohol comme jadis faisait le Prophète La barbe est fournie, lourde de scorpions de poux et de sang séché Ils ont traversé les siècles à pied répétant à l’infini la litanie du Mal La transe avec la panse pleine d’argile et de cailloux Ils ne parlent pas et avancent sans se retourner Tuer ne leur suffit pas Il faut égorger, il faut trancher la tête à la chevelure de soie Il faut crever les yeux bleus et déchirer l’âme aussi blanche que le cœur Il faut que le sang chaud dégouline sur leurs mains très sales Tout le corps est parsemé des furoncles de la haine La haine chaude farouche grosse grasse lourde Elle pèse des tonnes et a tant accumulé de pierres Ils ont habité la haine comme d’autres occupent une vieille cabane Ils sont habillés de haine, un tissu fait de peau humaine Pour ne pas s’étouffer par cette haine fétide Ils viennent déchirer les corps dans leur sommeil Les animaux sauvages les craignent et les évitent Des hyènes, des lions, des loups, des vipères quittent le pays Ils ont peur de ces hommes sortis de nulle part Brandissant un livre qu’ils n’ont pas lu Répétant des prières à l’envers, faisant fuir les chacals et les tigres Mais c’est l’homme humain qu’ils visent Le bruit sec du sabre traversant la poitrine Le goût saumâtre du sang et de la bile amère Leur donne des envies Où sont les vierges à pénétrer puis à égorger ? Où sont les femmes enceintes à découper ? Ah ! les étrangères à la toison d’or entre les cuisses Ah ! les corps célestes comme des agneaux pour le loup affamé Notre devoir est de vous précipiter dans l’enfer qui vous attend Vous êtes des infidèles à Dieu Vous êtes condamnées à mourir longtemps Toute une nuit sans répit sans le moindre souffle d’air Vous êtes arrivées jusqu’à nous pour mourir de nos mains généreuses La montagne ne peut rien pour vous Les larmes sont des coups de couteau lacérant votre beau visage Drapés dans le linceul noir de leur bannière Ils ont accompli leur mission et vont manger des beignets au miel dans le souk Une tête de mouton à la vapeur avec du thé à la menthe Ils vont même faire quelques prières dans la mosquée de la ville Prier Dieu et L’informer de la précision de la lame qui a tranché le cou Ils sont pleins d’eux-mêmes et s’enivrent de leur puanteur Ils aiment leur saleté, l’odeur de la pisse et du pus Ils remplissent leurs mains de cette odeur suffocante Et la sentent longuement comme les enfants des rues qui sniffent l’alcool pur Mais leur saleté du corps n’est rien Leur âme, ce qui tient lieu d’âme, une cruche noircie par le goudron Dégage non pas une odeur mais des vapeurs de morgue et de mort Ils se lèvent, piétinent le livre qu’ils n’ont pas lu Et sortent pisser sur les arbres dont les feuilles sont des larmes Les arbres ont mal dans le cœur et pleurent Et ces déchets d’une humanité pleine de trous pissent et rigolent Un rire gras qui déchire l’air et arrache l’écorce de l’arbre Ils tuent et sont fiers de n’être plus des hommes ni des animaux Leur soif du Mal est une fièvre qui les rassure Ils n’ont ni foie ni cœur ni testicules Ils n’ont jamais été enfants, sont nés vieux vomis par la haine Ils n’ont que ça dans leurs besaces dans leurs yeux qui sont des trous Pleins d’un liquide visqueux qui a besoin du sang des autres pour voir Ni le cœur ni le foie Ni le regard ni la voix Ni la honte ni la rage Sortis de la grotte vifs et déterminés, le livre dans le sac à couteaux Entaché de pisse et de sang Frères humains sachez que ces mottes d’excréments avec des mains Accomplissent la tâche du malheur en chantant, en riant Ils sortent de la décharge publique, avalant les rats morts Ailleurs, loin de la haine qui fait leur lit Des hommes en djellaba blanche, un chapelet de nacre entre les doigts Barbe blanche bien taillée et parfumée Les lèvres balbutiant des versets vite appris Les yeux propres et l’haleine fraîche Le corps gras et la volonté vaillante Des hommes ou des apparences transmettent leurs ordres aux déchets Ils aiguisent les couteaux et donnent un coup de pied au livre C’est le grand soir, c’est l’heure du sang versé et bu Le pays a été contaminé par un mal qui se propage enrobé de versets À l’endroit à l’envers Ni le droit ni la loi n’ont cours dans le paquet nauséabond qu’est leur sort Ils ont chassé Dieu et pris sa place dans le discours Car ceux-là parlent, expliquent la vie et la mort, décident et jouissent en rotant Ceux-là sont propres sur eux, mais le cœur s’est durci, s’est noirci, s’est effrité Le foie s’est dissous dans le verbe qu’ils utilisent à tort et à travers Ceux-là sont des morceaux de tôle compressée animés par un souffle venu de loin Ainsi la terre et les puits ont été empoisonnés Les arbres infiltrés par la haine déposée dans le fruit par des corbeaux mécaniques La terre et les esprits, les puits et les cœurs Une semence blanchâtre les a saupoudrés au nom d’une religion Dont les valeurs ont volé en éclats Ne subsiste que la carcasse pleine de mots creux et de phrases enflammées Plus personne n’a le droit d’invoquer la raison la foi et l’amour Ils tuent, massacrent, saccagent des vies, la panse bien remplie Et l’on se tait et l’on s’écrase et l’on plie l’échine et l’on devient serpillière au seuil des mosquées Le silence est tombé comme la nuit enveloppe les corps qui ne sont plus des corps Le silence et l’absence de tout, de l’air, des oiseaux, des papillons, des chats et des chiens C’est un puits profond où tout ce monde est descendu écrasé par la peur La terreur fait trembler la terre et les tombes, les rivières et les forêts La terreur répand le sang jaune des fantômes et des crapauds La peur avale la voix et renverse les jarres pour l’hiver C’est une saison qui n’était pas prévue par les gens d’Imlil C’est un calvaire qui a dévoré toute la nuit et ses songes Même la boue s’est figée dans une terre qui a honte Alors que la fumée du premier four à pain suit l’échelle de l’aube Des cris d’enfants ont déchiré le ciel et la foudre est tombée L’arbre s’est scindé en deux parts égales Des hommes et des femmes ont baissé les yeux, longtemps La honte a fait un trou immense dans leur esprit La honte et le silence pesant des tonnes se sont installés dans ce village Qui louait ses paysages pour vivre L’horreur n’a pas de mots ni de langue Elle ravage les regards et les visages Les ancêtres, les vieux et les vieilles s’agenouillent et demandent pardon. 22 décembre 2018 . POÈ MES PEINTURES 1 Toi qui viens Donne-moi le sens des choses La direction des vents Le nom de ce que je ne connais pas La couleur de l’espérance La plénitude de l’amour Et la présence Donne-moi ce que tu as Car je suis ce que je peux. 2 Toi qui es né à l’aube Dis-moi la beauté du monde J e sais la douleur et l’absence Alors dis-moi ce qui fait chemin Ce qui rend l’homme meilleur Ce qui se dresse devant toi Que tu sois enfance ou vieillesse Tu as le sens caché de la lumière. uploads/Geographie/ douleur-et-lumiere-du-monde-tahar-ben-jelloun 2 .pdf
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- Publié le Dec 05, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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