1 Dieudonné Muamba Kasongo Du grabuge sur l’île de souffrance Le rebelle, la ly
1 Dieudonné Muamba Kasongo Du grabuge sur l’île de souffrance Le rebelle, la lycéenne et le pouvoir Roman 2 Du même auteur : * Chez le même éditeur 1. L’Île de souffrance, recueil de nouvelles, 2017 2. L’Appel du sang, roman, 2018 3. Les Cris de révolte des opprimés, recueil de poèmes, 2018 4. Dans le chaudron de l’île de souffrance, recueil de nouvelles, 2018 *Aux éditions Sépia « Putain de guerre », nouvelle, in Chroniques du Katanga, 2007 3 Pour toi, Nadine Luzanga Tshijika Muamba, La moitié de ma vie. 4 5 Chapitre premier L’attaque du lycée Cette journée maussade du mois de mars s’annonçait torride, avec de fortes variations de températures selon les prévisions météorologiques. Gris et bas, le ciel était couvert de cumulo-nimbus et l’orage menaçait d’éclater à tout moment. Alors que les aiguilles de la pendule murale indiquaient 6 heures 30, Garcia Mercedes Monga sentait la moiteur de l’air l’envelopper d’une atmosphère étouffante. Aussi avait-elle préféré arroser ses deux sandwichs au saucisson d’un large verre de lait glacé, les yeux fixés sur son père qui, subitement, leva la tête comme pour fixer un point invisible sur le plafond. Chaque matin, avant de consommer son petit-déjeuner, il aimait à naviguer sur internet et, ce matin-là, il achevait de lire un article alarmant sur la situation politique du pays. Après l’échec des négociations entre le régime de Lushiville majoritairement constitué des Echassiers et la rébellion armée dirigée d’une main de fer par une coalition de Potelés et d’Echassiers modérés, la menace d’une guerre généralisée pointait à l’horizon. Alors que le gouvernement campait sur 6 ses positions de ne point collaborer avec « des bandits qui se comportaient en véritables terroristes », la rébellion ne voulait en aucun cas concéder un seul iota de ses revendications, à savoir l’abolition d’une dictature vieille de plus de vingt ans, la décrispation politique en libérant tous les opposants et tous les prisonniers d’opinion, le retour au bercail de toutes ses filles et tous ses fils contraints à l’exil, l’instauration d’une véritable démocratie pluraliste, l’organisation des élections libres, démocratiques et transparentes deux ans après la fin du mandat constitutionnel du président sortant qui ne voulait plus sortir en reportant la date des élections d’année en année. De plus, cette rébellion qui bénéficiait d’une large assise populaire demeurait intransigeante sur la reconduction du dictateur vomi pour un troisième mandat funeste et fatal, à l’issue d’un chaotique règne qui avait consacré la déliquescence du pays. La cinquantaine révolue et, en prime, quelques cheveux grisonnants à l’occiput, José Santos Monga hocha de désespoir la tête. Il éteignit son ordiphone, puis le glissa dans une poche de son pantalon. C’était son outil préféré pour ses navigations sur internet. Il se mit debout et alla ouvrir les fenêtres en écartant les rideaux pour aérer le salon. Dans un profond soupir, il vida ses poumons : – On n’est pas sortis de l’auberge ! De la cuisine où elle essuyait la vaisselle qu’elle venait de laver, Rebecca Silva suivait d’un œil attentif son mari. A la réaction pourtant prévisible de ce dernier, elle comprit qu’une mauvaise information, concernant leur pays, circulait sur les réseaux sociaux. D’une voix calme et rassurante, elle cria presque pour se faire entendre de son mari qui lui tournait le dos : 7 – Quoi de neuf sur le net, chéri ? José Santos prit le temps de se rengorger, avant de répondre d’une voix pleine de lassitude : – La guerre est inévitable, les rebelles sont décidés de marcher sur la capitale. – Mais n’avons pas une armée pour nous défendre ? protesta-t-elle. – Tu veux dire cette escouade de boy-scouts qui prennent pour cible la population civile pendant que les rebelles avancent ? – C’est notre armée, José. Arrête de te comporter comme un minable Potelé. – Potelé ou Echassier, Echassier ou Potelé, j’en ai marre de cette division artificielle de notre peuple. Quand la guerre éclatera, nous fuirons tous sous le feu conjugué des troupes gouvernementales et des forces rebelles et les balles tirées de part et d’autre ne feront pas de distinction entre les Potelés et les Echassiers ou les Echassiers et les Potelés. Ce qui compte pour moi dans les prochains six mois, c’est foutre le camp de ce bled pourri. Nous fuirons tous les trois ce chaudron du diable où nous sommes en train d’être cuits à petit feu. Hier, je suis passé à l’ambassade du Zyounaïtède. Nous obtiendrons incessamment nos visas. A défaut d’offrir le paradis à ma fille, je ferais mieux de l’amener sous des cieux beaucoup plus cléments où elle évoluera loin des crépitements de balles et des déflagrations de bombes. Ce n’est pas dans cette fournaise où elle fera ses études en médecine comme elle le souhaite bien. – Là, tu parles comme un homme, chéri. Nous n’avons que Garcia Mercedes au monde. Offrons-lui un avenir doré aujourd’hui, et, demain, elle nous donnera une 8 ribambelle de petits-enfants en guise de gratitude. Tirant à lui une chaise pour s’asseoir, José Santos Monga prit la tasse de thé noir et un sandwich au jambon que son épouse venait de déposer à côté de lui sur un escabeau. Il sirota longuement sa tasse de thé noir, avant de croquer à belles dents le sandwich. – Tu sais, Rebecca, bien des fois, je me suis demandé si, en concertation avec toutes les dizaines de millions de Matessonésiens que nous sommes, nous ne pouvions pas vendre au plus offrant ces deux millions de kilomètres carrés de cette terre hostile à notre existence, quand bien même elle serait un patrimoine indivis reçu de nos ancêtres… Quitte alors à nous partager équitablement le magot et, à chacun, muni de sa part, d’immigrer sous des cieux plus cléments à la recherche de la Toison d’or ! Et qu’importe si le nouveau propriétaire transformera la terre de nos ancêtres en une vaste ferme où il élèvera des porcs et des moutons, alternant la culture des cacahuètes et celle de la pomme de terre. Car c’est révoltant ce que nous sommes en train de vivre dans ce merdier d’une autre époque. Tiens, pas plus tard que la veille, les autorités politico-administratives ont pris la mesure de repeindre en jaune tous les véhicules de transport en commun roulant sur l’étendue du territoire national sous contrôle gouvernemental. Bien entendu, moyennant une petite fortune et uniquement dans les installations de la police de circulation routière nationale ! Juste un mois pour se mettre en ordre. Malheur aux récalcitrants. Et dans un pays où nous vivons au taux du jour, les transporteurs menacent de faire la grève à la date butoir ! Note qu’au- delà de toute quête pécuniaire, les autorités politico- administratives amorcent déjà leur propagande pour les 9 prochaines improbables élections présidentielles en mettant en avant la couleur jaune chère au parti politique présidentiel ! Décidément, on n’est pas sortis de l’auberge ! Rebecca Silva éclata d’un rire inextinguible et quand elle se fut apaisée, elle se montra plutôt plus philosophe : – Tu es trop pessimiste, José. Il n’est pas écrit dans les étoiles que nous demeurerons les éternels damnés de la terre. Un jour, l’ordre et la paix régneront dans notre pays. Les souffrances que nous sommes en train d’endurer aujourd’hui ressemblent aux douleurs de la parturition : demain, notre pays enfantera un nouveau peuple, il renaîtra de ses cendres comme le phénix des tropiques ! – Chouette, ça, Rebecca ! Mais, tu attendras longtemps pour que l’ordre et la paix règnent sur cette terre jonchée d’une myriade de tombes anonymes, sans compter des fosses communes dont la densité au kilomètre carré est la plus élevée au monde. Tu sais, Rebecca, j’ai toujours donné raison à Cheko-Love, ce comédien de notre théâtre populaire qui avait agrémenté, quelques années plus tôt, la soirée d’anniversaire de Triple Esse, la fille aînée du Président de la République1. Dans un sketch très hilarant, cet homme de culture, contraint à l’exil depuis lors pour ses prises de position, a bien stigmatisé le drame de notre peuple à travers cette boutade dont il sert comme d’un leitmotiv pour épicer ses productions scéniques : « Depuis l’accession à l’indépendance de l’Île de Souffrance, Satan le Diable ne cesse point de se plaindre auprès de Dieu le Père de compter de redoutables émules parmi les dirigeants de ce pays, tellement que, dans leur gestion de la chose publique, ils le dépassent de loin en cruauté ! » 1 Lire du même auteur L’île de souffrance, aux éditions Edilivre. 10 A l’autre bout de la salle de séjour, une petite toux forcée réprima la verve oratoire de José Santos Monga : c’était Garcia Mercedes qui s’immisçait à sa façon dans le débat de ses parents pour les séparer dos à dos. A la pendule, les aiguilles indiquaient 6 heures 45. Par conséquent, Garcia Mercedes disposait d’au moins vingt- cinq minutes pour arriver à temps à l’école. – J’ai compris, ma chérie. Apprête-toi, nous partons ! Garcia Mercedes se leva. Allongée sur un mètre uploads/Geographie/ du-grabuge-sur-l-x27-ile-de-souffrance.pdf
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- Publié le Dec 01, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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