Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Erdogan tente

Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Erdogan tente de se concilier les talibans PAR ZAFER SIVRIKAYA ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 24 AOÛT 2021 Des soldats de la force opérationnelle turque autour de l'aéroport de Kaboul, le 23 août 2021. © Photo Aykut Karadag / Agence Anadolu via AFP Le président turc semble très désireux de s’entendre avec les nouveaux maîtres de Kaboul, mais craint de voir arriver une vague de réfugiés fuyant le nouveau régime taliban. Istanbul (Turquie).– Vue depuis le palais présidentiel d’Ankara, la chute de Kaboul aux mains des talibans, vécue dans un mélange d’atterrement et de mauvaise conscience en Europe, ne semble pas si dramatique. Dès le mois de juillet, le président turc islamo- nationaliste Recep Tayyip Erdogan avait fait bondir l’opposition laïque par ses déclarations : « Nous n’avons rien contre les croyances des talibans. » À l’époque, il s’agissait de se concilier les bonnes grâces du mouvement afin d’éviter que les troupes turques ne se retrouvent ciblées, alors que, dans le cadre du retrait américain, la Turquie se proposait d’assurer avec ses soldats la sécurité du très stratégique aéroport de Kaboul. Des soldats de la force opérationnelle turque autour de l'aéroport de Kaboul, le 23 août 2021. © Photo Aykut Karadag / Agence Anadolu via AFP « La volonté d’assurer cette mission découlait d’une tentative de se rapprocher des Américains, avec qui la relation s’est nettement détériorée depuis la défaite de Donald Trump, explique Ilhan Üzgel, chercheur en relations internationales, mais elle n’a pas pu se concrétiser, et c’était de toute façon une aventure dangereuse et qui ne concernait pas la préservation d’un intérêt vital pour le pays. » Les entreprises à l’affût Pour impopulaire qu’il soit, le déploiement turc en Afghanistan se poursuit, et le président Erdogan a même proposé aux nouveaux maîtres de Kaboul que les soldats turcs assurent la sécurité de l’aéroport. Et les talibans ne semblent pas insensibles à l’offensive de charme du Reis. « Nous avons des relations étroites avec la Turquie et nous souhaitons développer notre amitié et notre coopération avec elle, en particulier concernant l’exploitation du sous-sol de l’Afghanistan, très riche en ressources précieuses. Dès que les équilibres internes se seront dessinés nous attendons de nos frères turcs qu’ils jouent un rôle actif dans ce domaine », a ainsi déclaré le 20 août Suhail Shaheen, porte-parole du bureau politique taliban au Qatar. Cuivre, terres rares, lithium, bauxite, l’Afghanistan regorge de gisements stratégiques, sur lesquels lorgnent déjà les Russes et les Chinois, mais aussi les Turcs. « Erdogan s’est efforcé ces dernières années de multiplier les zones de présence militaire turque dans le monde : Syrie, Irak, Somalie, Libye, Qatar, et dans la plupart de ces pays il a aussi fait en sorte que les entreprises turques se déploient le plus largement possible. Toutefois, des investissements importants dans le secteur minier afghan ne semblent pas envisageables tant que des garanties en termes de stabilité ne seront pas fournies », considère Ilhan Üzgel. Afin de s’assurer de bonnes relations avec les nouveaux dirigeants, la Turquie peut compter sur le soutien de deux de ses alliés : le Qatar, qui a accueilli les négociations entre les Américains et le mouvement taliban, et le Pakistan, dont la Turquie s’est beaucoup rapprochée ces dernières années et dont les puissants services secrets, l’ISI, apportent un soutien militaire et logistique à certains talibans. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 « Il faut néanmoins tempérer ces espoirs, concernant le Qatar, analyse Ilhan Üzgel. Dans le dossier afghan, il a plutôt fait cavalier seul jusqu’ici, allant même jusqu’à éclipser la Turquie, qui était elle aussi candidate pour être le pays hôte des négociations entre les talibans et les Américains. Quant au Pakistan, il n’a pas une influence totale et directe sur l’ensemble des talibans, qui restent divisés. » Rejet des migrants S’il espère tirer son épingle du jeu dans la région, le président turc est en revanche mis en difficulté sur la scène intérieure par une vague de ressentiment contre les migrants qui submerge l’opinion publique turque. Déclenché cet été par des images, parfois manipulées, de réfugiés afghans traversant la frontière iranienne pour se rendre dans le pays, ce rejet des migrants est exploité par l’opposition de droite et d’extrême droite, et met en difficulté le bloc au pouvoir (formé de l’AKP islamo-conservateur et de son allié d’extrême droite du MHP), dont les électeurs sont encore plus hostiles à la présence des migrants que ceux de l’opposition. Ankara, le 12 août 2021. Un jeune casse une fenêtre alors que des hommes détruisent des magasins et des maisons de familles syriennes lors de violences après une bagarre entre Turcs et réfugiés Syriens au cours de laquelle un ressortissant turc a été poignardé à mort. © Photo par STR / AFP Le 12 août, le quartier populaire d’Altindag, à Ankara, a été le théâtre d’une nuit d’émeutes contre les domiciles et les magasins appartenant aux réfugiés syriens à la suite de la mort d’un jeune Turc dans une bagarre. Quelques semaines auparavant, le maire CHP (parti laïque d’opposition s’inscrivant dans l’héritage de Mustafa Kemal Atatürk) de Bolu – une ville de 300000 habitants dans le sud de la mer Noire – avait créé la polémique en affirmant qu’il allait proposer au conseil municipal de multiplier par dix les taxes locales pour les migrants installés dans sa ville, « pour qu’ils s’en aillent ». « Il est inquiétant de voir des propos racistes et discriminatoires se répandre dans l’opposition. Le bloc au pouvoir, lui, considère les réfugiés comme une arme à brandir pour exercer un chantage et faire valoir ses intérêts face à l’Europe. Finalement, dans les deux cas, ce sont les réfugiés qui paient l’addition », regrette Mahmut Kaçan, avocat et membre de la commission pour les réfugiés du barreau de Van. Dans cette région, située à la frontière iranienne, les autorités turques ont annoncé la construction d’un mur destiné à stopper les arrivées de réfugiés afghans (qui seraient actuellement 300000 dans le pays, selon les autorités). Prévu pour une longueur totale de 295 kilomètres, 110 kilomètres de tranchées ont déjà été édifiés et 63 kilomètres de mur devraient être construits à la fin de l’année, à l’image du mur déjà en place le long de la frontière syrienne, où les gardes frontières turcs n’hésitent pas à ouvrir le feu sur les réfugiés qui tentent de le franchir. Depuis 2011, 479 personnes dont 87 enfants y auraient péri sous les balles des gendarmes turcs, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. De telles violations des droits humains se multiplient également à la frontière turco-iranienne. « Les migrants sont très souvent victimes de violences diverses de la part des passeurs, mais aussi des autorités turques. Nous avons dénombré des cas de racket et des tirs de la part des douaniers à la frontière, ainsi que des viols par les gardes dans les centres de rétention. Nous essayons d’intervenir quand nous le pouvons mais, la plupart du temps, les réfugiés ont trop peur pour faire appel à nous ou bien sont renvoyés ou continuent leur voyage, et c’est l’impunité qui règne », se désole Mahmut Kaçan. Pour l’instant, les talibans, qui contrôlent l’ensemble des postes frontières de l’Afghanistan, ne semblent pas disposés à laisser leurs opposants quitter le pays, comme le montre leur semi-blocus des accès de l’aéroport de Kaboul, mais les candidats à l’exil ne manquent pas et pourraient tenter de trouver leur chemin à travers la frontière iranienne. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 « On imagine mal ces réfugiés s’installer tous en Iran, alors que le pays est en proie à une grave crise économique. Ils traverseront probablement l’Iran en direction de la Turquie, en espérant finir par gagner l’Europe », estime Mahmut Kaçan. Longtemps satisfait par l’argent de Bruxelles et par la mansuétude des Européens envers sa dérive autoritaire, en échange de son rôle de garde-frontière, le président Erdogan menace déjà d’amorcer un tournant dans sa politique migratoire, afin de préserver une popularité en chute, y compris chez ses électeurs traditionnels. « La Turquie n’a pas la responsabilité ni l’obligation d’être le dépôt de réfugiés de l’Europe », a déclaré le chef de l’État le 20 août. Directeur de la publication : Edwy Plenel Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 24 864,88€. Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel (Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, François Vitrani. Actionnaires directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie- Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, Société des Amis de Mediapart, Société des salariés de Mediapart. Rédaction et administration : 8 passage uploads/Geographie/ erdogan-quiere-convertirse-en-el-nuevo-amigo-de-los-talibanes.pdf

  • 25
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager