11 décembre 2019 Exposé sur Désert de Jean-Marie Le Clézio C’est là que l’homme
11 décembre 2019 Exposé sur Désert de Jean-Marie Le Clézio C’est là que l’homme vient quelquefois à sa rencontre. Elle ne sait pas qui il est, ni d’où il vient. Il est effrayant quelquefois, et d’autres fois, il est très doux et très calme, plein d’une beauté céleste. Elle ne voit de lui que ses yeux, parce que son visage est voilé d’un linge bleu, comme celui des guerriers du désert. Il porte un grand manteau blanc qui étincelle comme le sel au soleil. Ses yeux brûlent d’un feu étrange et sombre, dans l’ombre de son turban bleu, et Lalla sent la chaleur de son regard qui passe sur son visage et sur son corps, comme quand on s’approche d’un baiser (95). Traditionnellement, un voyage vers l’au-delà est une aventure masculine. La poursuite pour découvrir ce qui est dans l’au-delà de l’horizon se transformer toujours en un voyage initiatique, un parcours de la découverte de soi pour enfin retourner au pays d’origine comme un être refait à neuf, métamorphosé. Cependant, cette activité empreinte des stéréotypes masculins est interdite aux femmes. Le voyage est une activité anathème aux rôles traditionnels qui sont attribués à celles-ci : fonder une famille et rester au foyer. Elles sont symboliquement les racines qui nourrissent l’identité d’une communauté ainsi que les récipients de la culture de celle-ci. Cependant, que deviendrait-il de cette activité supposée masculine si les femmes s’embarquaient-elles dans un tel voyage ? Quelles nouvelles significations et dimensions adviendrait-il au voyage si la femme franchissait les seuils du foyer ? Dans cet exposé, je vais étudier Lalla, le personnage principal dans le roman Désert de Jean- Marie Le Clézio. Je vais lire les étapes d’un voyage constitués d’un départ, d’un voyage puis d’un retour, telles les scènes de la vie corporelle et spirituelle, voire mystique d’une femme comme Lalla dans le cas présent. La question à laquelle cet exposé tentera à répondre s’énonce ainsi : Comment le voyage entrepris par Lalla articule-t-il l’identité féminine postcoloniale qui incarne en même temps la dimension mystique et réelle ? Je voudrais commencer mon analyse en affirmant que la matrice départ-voyage-retour d’un voyageur/d’une voyageuse est synonyme de la matrice de conception- douleurs de l’enfantement-accouchement d’une femme. Respectant ce schéma et la façon dont l’histoire de Lalla est divisée, je conçois mon analyse en trois parties. Au premier plan, je reprends le titre « Le Bonheur » que Le Clézio a employé pour nommer le premier chapitre de l’histoire de Lalla. Ici, nous allons analyser la métaphore que joue le corps physique et mystique de Lalla en tant que métaphore d’un peuple colonisé. La deuxième partie, intitulé « La vie chez les esclaves » sera consacrée à l’analyse de la métamorphose de l’identité féminine quand elle se trouve déracinée de son pays natal. C’est la partie qui correspond au voyage entrepris et symboliquement représentera la partie des douleurs d’accouchement d’une mère. La dernière partie de notre analyse se focalisera sur une interprétation du retour de Lalla à son pays natal et comment ce retour montre le cercle du voyage initiatique féminin. I. Le Bonheur : Lalla comme l’allégorie du Désert Le récit sur l’histoire de Lalla débute avec une description pittoresque de son endroit préféré dans son pays. Elle y décrit le ciel très bleu, sans nuages ou oiseaux, les dunes qui s’arrêtent devant la mer, le vent salé, « des insectes çà et là, une coccinelle pâle, une guêpe à la taille si étroite… une scolopendre qui laisse des traces fines dans la poussière » (76). C’est le lieu qu’elle connait bien, avec tous ses chemins et creux. Cet endroit est le point où convergent le désert et la mer, la sécheresse et l’eau. En regardant le ciel, elle rêve aussi de pouvoir voler là-haut. En posant la tête en direction du ciel, elle adore regarder la « minuscule croix d’argent » (87) qui l’amènera dans des pays lointains. La musicalité se fait entendre non seulement au bruit de la nature qu’esquisse Lalla mais aussi sur la seule parole de la chanson qu’elle préfère qui dit « Méditerranée ». La tonalité de l’insouciance enfantine se fait alors entendre. Néanmoins, cette tonalité enfantine est brisée quand elle reprend le chemin vers la ville où elle habite. Ici, Lalla aborde dans sa description de la Cité la contradiction entre son lieu préféré et celui où elle habite. D’abord, les mouches y sont omniprésentes. Ensuite, la Cité n’est qu’un « amoncellement de cabanes de planches et de zinc » et des toits en « grandes feuilles de papier goudronné maintenue par des cailloux » (90). Elle pense aussi que le nom de la Cité fait un mirage pour que ses habitants oublient qu’ils vivent parmi les rats et chiens (87). Lalla est née près d’une source d’après la coutume traditionnelle de son peuple (89). Elle est la descendante de l’Homme Bleu ou de Moulay Ahmed ben Mohammed el Fadel, celui qu’on appelle Ma el Aïnine, l’Eau des Yeux (90). C’est quand elle s’éloigne de la Cité que sa vision d’ « Es Ser, le Secret » lui apparaît. En cela, le voyage pour Lalla prend deux formes : d’abord un voyage dans l’imaginaire et dans le physique et puis dans l’astral et le spirituel. I.A. Voyage imaginaire et physique « Méditerranée », « Algésiras », « Granada », Sevilla », « Madrid », « Marseille » : ce sont les noms d’endroits que Naman le pêcheur et le conteur des histoires aux enfants de la Cité connait surtout pour Lalla. Dans la famille de Lalla, c’est à elle que Naman préfère raconter des histoires ces lieux parce que c’est seulement elle qui écoute sans poser des questions. Naman décrit des « grandes villes blanches au bord de la mer », « des autos noires », des grands magasins et des chemins de fer qui vont vers la grande ville de Paris, là-bas où « l’on ne sait plus rien de la poussière et des chiens affamés, ni des cabanes de planches où entre le vent du désert » (103). Le désir de Lalla grandit à chaque instant quand Naman lui raconte ces histoires et elle lui demande qu’il l’amène là- bas un jour : « Elle rêve aux villes blanches, où il y a tant de rues, de maisons, d’autos. C’est cela qu’elle attend peut-être » (190). Là, nous pouvons voir comment des histoires impriment de façon impressionnante les images de l’ailleurs dans l’esprit d’une jeune fille curieuse et qui veut s’enfuir de l’endroit où elle vit. C’est la première étape vers la naissance du désir de voyage : acquérir des images fabuleuses de l’au-delà, d’un lieu plus beau en tous points que le sien. La façon dont Lalla saisit les histoires racontées de Naman est bien différente de ses cousins. Eux, ils demandent à Naman des choses concrètes, des choses sérieuses comme du travail et de l’argent à gagner ce qu’ils peuvent acheter avec ce « fric ». Ils demandent combien coûtent les vêtements, la nourriture, etc. En outre, Naman raconte aussi de façon épique la trajectoire suivie par ceux qui ont franchi les frontières en fraude, par les montagnes tout en marchant la nuit et en restant invisible le jour, en se cachant dans des grottes et dans des broussailles. Il raconte aussi les chiens des policiers qui attaquent les immigrés lorsqu’ils atteignent la frontière. Lalla sent la peur, le malheur, et la mort en écoutant ces histoires. C’est à travers ce récit de Naman que le thème de migration est abordé, un type de voyage du sud vers le nord et qui est engendré par des besoin socio-économiques. C’est aussi un mouvement engendré par la colonisation des empires européens des pays de l’Orient. Un mouvement des anciens colonisés embarquant pour un voyage vers les métropoles, vers les capitales de leurs anciens colonisateurs pour y chercher une meilleure vie. Naman nous présente deux récits : une image merveilleuse des pays lointains qui impressionne la jeune Lalla ainsi que le thème de la migration : des gens qui veulent tenter leur chance dans des pays riches incarnés par les cousins de Lalla et les mesures désespérées qu’ont prises des immigrés clandestins. Pendant ce temps-là, Lalla se contente de s’enfuir vers son lieu préféré. Elle se dirige, au chagrin de ses voisins, vers le plateau de pierres, le lieu où elle subit la transe de sa vision. C’est en ce lieu qu’elle rencontre Es Er, son aïeul. Nina Yuval-Davis constate que les métarécits d’un pays se situent dans la sphère publique ce qui exclu par conséquence les femmes dont l’espace traditionnel est le foyer, la sphère privée. Son personnage joue un rôle contradictoire dans ce métarécit d’un pays. D’une part, elle est un symbole fantasmagorique, sexué, et maternel qui personnifie les symboles d’une nation ainsi que ses frontières. De l’autre, elle prend activement part à des projets et mouvements nationalistes tandis qu’en même temps elle se trouve victime des violences sexuelles entreprises pour défendre les identités nationalistes ainsi que les frontières. On uploads/Geographie/ expose-desert-le-clezio 1 .pdf
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- Publié le Mai 02, 2022
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