JACQUES ATTALI RAPPORTEURS Adrienne Brotons, inspectrice des finances Angélique
JACQUES ATTALI RAPPORTEURS Adrienne Brotons, inspectrice des finances Angélique Delorme, auditrice au Conseil d’État Avec la participation de Claudia Vlagea RAPPORT À FRANÇOIS HOLLANDE, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AOÛT 2014 La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable - 1 - INTRODUCTION « Ma patrie, c’est la langue française. » Albert Camus5. Le français est un formidable atout pour la France, trop souvent politiquement, culturellement, économiquement négligé. Le monde d’aujourd’hui est en crise de sens et ne prend pas en compte l’intérêt des générations suivantes. Cette myopie généralisée explique largement la crise économique actuelle. On ne réussira à en sortir qu’en redonnant du sens à l’économie, au service des générations suivantes. Les langues en sont une dimension essentielle. Elles deviennent précaires, et disparaissent même en nombre à grande vitesse. L’uniformisation linguistique accélère la perte de sens du monde par effondrement de sa diversité. L’effacement progressif des frontières nationales impose d’autres critères d’appartenance identitaire : la langue est la nouvelle géographie. Défendre le patrimoine linguistique et culturel, et l’enrichir, pour le transmettre aux générations suivantes, est un enjeu essentiel. La francophonie peut être le porte-voix de la diversité du monde. Elle repose sur un sentiment identitaire puissant. Elle constitue une aire linguistique suffisamment diverse pour éviter la sclérose, et suffisamment cohérente pour prévenir la dispersion. Le français exprime aussi un système de pensée original et spécifique, doté d’une forte capacité d’abstraction et de conceptualisation. Le français a déjà une place de choix dans l’environnement linguistique mondial : il est présent sur les cinq continents ; il est l’une des rares langues enseignées dans les systèmes scolaires et universitaires de tous les pays du monde. L’Inde compte aujourd’hui un million d’apprenants du français6. La Chine compte 100 000 apprenants, l’Indonésie 60 000 et ce nombre est croissant partout. Le nombre d’élèves dans les alliances françaises de Bogota a été multiplié par dix en cinq ans7. Avoir une politique francophone n’est nullement le retour de la colonisation sous une autre forme. Ce n’est pas non plus un enfermement sur un ancien pré carré. Pour mémoire, la francophonie n’a d’ailleurs pas été créée par la France, mais par Senghor, Bourguiba, Sihanouk et Diori à Niamey en 1970. C’est donc l’occasion d’un développement équilibré, qui profitera aussi aux d’autres cultures, tout en affirmant sans complexes ce que la France apporte dans ce dialogue. 5 10 décembre 1957, conférence de presse à la suite de la remise du prix Nobel de littérature. 6 En l’absence de statistiques officielles, ce chiffre d’un million est une estimation. Source : Délégation générale à la langue française et aux langues de France. 7 Source : Délégation générale à la langue française et aux langues de France La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable - 2 - 1. Théorie économique des langues La diffusion d’une langue est un facteur de développement économique. Les théoriciens de la « gravité » démontrent que le partage par les populations de plusieurs pays d’une même langue augmente leurs échanges et leur croissance. Outre la distance, la barrière des langues constitue l’un des plus gros obstacles au commerce. Jacques Melitz et Farid Toubal 8 démontrent que l’utilisation d’une langue commune (conjuguée avec l’alphabétisation) a des retombées commerciales substantielles. Le fait d’avoir un terrain d’entente linguistique avec des partenaires étrangers favorise la communication et la confiance mutuelle qui, combinées, favorisent le commerce. Deux pays partageant des liens linguistiques tendent à échanger environ 65 % de plus que s’ils n’en avaient pas9. A l’inverse, il existe une corrélation négative entre les obstacles linguistiques et le commerce : une augmentation de 0,10 point de l’indice d’obstruction linguistique (qui correspond à une diminution de 10 % des caractéristiques linguistiques communes) réduit les échanges d’environ 6,8 % à 9,8 %10. La barrière de la langue est évidemment beaucoup plus élevée dans le commerce des services que dans celui des biens11. Elle est également l’une des principales entraves au commerce de biens complexes de haute valeur ajoutée nécessitant une communication directe entre l’importateur et l’exportateur. Ce sont les deux secteurs en plus forte croissance. Des espaces linguistiques s’organisent économiquement, comme le monde lusophone (le Brésil se sert notamment de la Communauté des pays de langue portugaise – CPLP – pour favoriser son implantation dans des pays lusophones comme l’Angola ou le Mozambique ainsi que sa pénétration de ces marchés). Le monde hispanophone et le monde arabophone en font autant. La tendance de fond de l’économie mondiale est de périmer l’idée d’espaces économiques construits autour de frontières étatiques et de repenser les espaces d’échanges et de coopération autour de communautés d’autres natures. Dans un monde post-global, où les produits semblent uniformisés, la demande des consommateurs va désormais vers des produits différenciants, correspondant non pas nécessairement à leur identité nationale mais à l’identité qu’ils ont choisie, dans un mouvement de multi-appartenance identitaire. Dans ce contexte, la France peut et doit s’appuyer sur son atout linguistique pour retrouver un chemin de croissance durable. 8Jacques Melitz, Farid Toubal, Native language, spoken language, translation and trade, Journal of International Economics, janvier 2013. 9 Jeffrey Frankel, Ernesto Stein et Shang-jin Wei, « Trading Blocs and the Americas », Journal of Development Economics, vol. 47, 1995. 10Johannes Lohman, Do language barriers affect trade ? , Economics Letters, vol. 110, février 2011. 11 Nicolas Sauter, Talking Trade: language barriers in intra-Canadian commerce, Empirical Economics, vol. 42, février 2012. La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable - 3 - 2. Francophonie, francophilie, « francophilophonie » 2.1. La francophonie 2.1.1. Définition La francophonie peut se définir comme l’ensemble des peuples qui utilisent le français comme langue maternelle, langue d'usage, langue administrative et/ou langue d'enseignement. Pour l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), sont considérées comme francophones les personnes qui savent lire et écrire en français. La francophonie n’est pas une réalité immuable. La francophonie est par excellence un phénomène volontariste : elle peut être perdue ou, au contraire, gagnée si elle est entretenue. Encadré 1 : Histoire de la francophonie Du Moyen-Age au XVIIIème siècle, la France était le pays le plus peuplé d’Europe, et le français était la première langue d’Europe. Le français était la langue des Lumières, et la langue des élites cultivées, y compris de la cour de Prusse ou de celle de Russie. La Révolution française et les conquêtes napoléoniennes provoquèrent un élan nationaliste dans la plupart des pays d’Europe, s’accompagnant d’un recul de l’usage du français en Europe. Le français a continué d’être utilisé à la cour du Tsar de Russie, dans les traités de paix et dans les milieux scientifiques. Le terme de « francophonie » apparaît pour la première fois en 1880 dans l’ouvrage du géographe Onésime Reclus12 intitulé France, Algérie et colonies. Le géographe définit alors comme francophones « tous ceux qui sont ou semblent destinés à rester ou à devenir participants de notre langue ». La francophonie se constitue donc à la fin du XIXème siècle comme une unité linguistique. La francophonie regroupe alors tous les locuteurs du français, essentiellement dans les colonies françaises et belges, mais aussi dans des territoires ayant appartenu au premier empire colonial français, comme Haïti et le Québec. Le terme de francophonie connaît un renouveau au moment de la décolonisation. La francophonie ne se définit plus alors seulement comme une unité linguistique, mais également comme une communauté culturelle et politique. Léopold Sédar Senghor appelle de ses vœux la création d’un « Commonwealth à la française » dès 1955. Source : Trang Phan et Michel Guillou, Francophonie et mondialisation - Histoire et institutions des origines à nos jours, Belin, 2011. 2.1.2. Les pays francophones Cet ensemble regroupe 37 pays. Un premier sous-ensemble est constitué de 31 pays ayant le français comme langue officielle, soit seule, soit parmi d’autres : 13 pays ont le français comme seule langue officielle : - la France et Monaco en Europe ; - 11 pays africains : le Bénin, le Burkina Faso, la République démocratique du Congo (RDC), le Congo, la Côte d'Ivoire, le Gabon, la Guinée, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. A ces 13 pays s’ajoutent 18 pays dans lesquels le français est une des langues officielles : 12 Inventeur également, en français, du terme « géopolitique ». La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable - 4 - - 3 pays européens : la Belgique, le Luxembourg et la Suisse ; - 2 pays du continent américain : le Canada et Haïti ; - le Vanuatu en Océanie ; - 12 pays africains : le Burundi, le Cameroun, les Comores, Djibouti, la Guinée équatoriale, Madagascar, Maurice, la Mauritanie, la République centrafricaine, le Rwanda, les Seychelles et le Tchad. Un second ensemble est constitué de 6 pays n’ayant pas le français comme langue officielle, mais où plus de 20 % de la population parle français. Entrent dans cette définition la Tunisie, l’Algérie et le Maroc, ainsi que le Liban, Andorre et la Moldavie. Au total, ces 37 pays regroupent 492 millions d’habitants en 2014, soit 7 % de la uploads/Geographie/ francophilie.pdf
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- Publié le Dec 16, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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